Sida

Le sida à l'écran

                                                       Le sida à l'écran

La fiction cinématographique s’est emparée du VIH/ sida dès le milieu des années 1980. Découvrez ici une sélection de films (y compris quelques documentaires marquants) qui, en rendant visibles les enjeux humains, médicaux et économiques de la maladie, ont été des acteurs de l’histoire du sida.

de la peste au sida : l'imaginaire des maladies

En 1990, l’historien Jean-Pierre Peter relevait que « par son mode d’action immunopathogène, le virus HIV [avait] créé les conditions d’une pandémie de nature toute nouvelle, biologiquement et cliniquement. » La fulgurance de cette maladie nouvelle, la peur qui s’est répandue comme une onde de choc, néanmoins, n’étaient pas sans précédent : « dans son déroulement vécu, la maladie rencontre la longue durée des représentations, des symboles et des mythes liés aux grandes épidémies. » (JP Peter, 15).

On relève en effet des similarités dans les réactions des hommes face aux grands fléaux qui les ont décimés. Parmi ces maladies anciennes qui ont marqué les esprits figure la lèpre, dont la progression lente et froide suscite l’horreur et le dégoût. Ou la peste à la fureur foudroyante, qui effectue des coupes sombres dans la population, crée l’épouvante et la panique. Enfin la syphilis, qui décompose les corps et les esprits, et les marque de la honte liée à la transmission sexuelle.

 

l'épidémie comme désordre 

Les épidémies ont toujours été facteur de désordre. En temps de peste, les voies de circulation sont coupées, le commerce est interrompu. Les liens sociaux fondamentaux sont suspendus : il faut éviter toute concentration de personnes susceptible de favoriser la contagion – commensalité, mariages, réunions politiques, etc. Les rites même en pâtissent : les célébrations religieuses et les enterrements sont hâtivement expédiés. La crainte va de pair avec les rumeurs et la désinformation. On recherche des boucs émissaires (dans l’Europe des siècles passés Juifs ou vagabonds, aujourd’hui gays ou sans domicile fixe).

Les médecins sont en première ligne. Avant même de guérir, leur rôle consiste à soumettre la maladie à un ordre rationnel. Il s’agit de nommer le mal, de l’ordonner au sein d’une nosographie. Cet effort de maîtrise par le langage est exemplairement illustré par la syphilis : les premiers médecins ont en effet recouru aux contraintes de rythme et de rimes de la forme versifiée pour rendre compte de sa symptomatologie, de son mode de propagation, et même de sa dénomination (“syphilis” vient d’un poème latin de 1530, Syphilis sive morbus gallicus, par le médecin véronais Girolamo Fracastoro).

À l’ordre des mots s’adjoint l’ordre policier du règlement sanitaire, la logique du lazaret de quarantaine. Il faut retrancher les malades des bien-portants, les parquer pour les contrôler, comme en attestent les lépreux de la célèbre île crétoise de Spinalonga, en service jusque à la fin des années 1950.

 

« gay plague »

En 1981, à l’apparition de ce qui deviendra le sida, la dénomination du mal fait explicitement référence aux archétypes du passé : « gay plague » aux États-Unis ou « peste homosexuelle » en France. L’incompréhension – le désordre – entraînée par un fléau qui frappe les homosexuels, puis bientôt les hémophiles, les héroïnomanes et les Haïtiens engendre des rumeurs sur une transmission par simple contact ou même par l’air. L’histoire du sida sera émaillée de cas d’entreprises de pompes funèbres refusant de s’occuper de malades décédés, d’élèves séropositifs rejetés de leur école, de personnel soignant préférant la démission au soin des sidéens.

 

cinéma et sida

Philadelphia (1993, réal. Jonathan Demme) est à ce jour le principal blockbuster traitant du sida et la fiction qui a bénéficié du plus gros budget. Mais depuis le milieu des années 1980 de nombreux autres films ont contribué à construire l’image des porteurs du VIH et du sida auprès du grand public. Parmi les films ci-contre, certains sont ouvertement militants tandis que d’autres semblent d’abord divertissants (qu’ils soient mélodramatiques, d’horreur, ou même comiques). Mais tous, ils font partie de l’histoire du sida et de ses représentations car – faut-il rappeler cette évidence ? – un film n’est jamais l’enregistrement d’une réalité qui lui préexiste, il est pleinement acteur de cette réalité.

 

de Dracula à Kids

Certains films abordent le sida par un biais indirect et comme métaphorisé, à l’opposé du documentaire. C’est le cas de Mauvais sang (1986, réal. Léos Carax), qui présente une idylle dans un Paris imaginaire, marqué par une maladie nouvelle qui contamine les amants faisant l’amour sans être amoureux. Dans Dracula (1992, réal. Francis F. Coppola), malgré une scène centrale au cours de laquelle le Dr Van Helsing assimile vampirisme et syphilis, le lien avec le sida peut sembler ténu. Pourtant, le film qui mêle le sexe et le sang à la « contagion vampirique » a immédiatement été reçu comme une allégorie du sida par voie sexuelle et par transfusion.

À l’inverse de ce type d’imaginaire de la maladie se situent des films tels que Kids (1995, réal. Larry Clark), dont la caméra très crue filme des adolescents new yorkais en quête de sexe et d’ivresse. Le sida y apparaît moins comme le sujet du film que comme une menace planant sur une jeunesse vulnérable. À ce titre, il se distingue également de la majorité des fictions au tournant des années 1990 qui, comme Philadelphia, imposent le stéréotype du sidéen : un blanc, pas un noir ; un homme, pas une femme ; un gay, pas un hémophile. Si les films sur le sida contribuent à la reconnaissance de la maladie, ils valent en effet autant par l’image qu’ils imposent que par celles qu’ils rejettent. Les personnages féminins, présents dans certains films tels que Boys on the Side (1995, réal. Herbert Ross) ou dans le documentaire All of Us (2008, Emily Apt), sont ainsi globalement sous-représentés. C’est le cas aussi des hémophiles, à l’exception notable de The Ryan White Story (1989, réal. John Herzfeld), qui reprend l’histoire réelle d’un garçon hémophile contaminé suite à une transfusion et rejeté de son école alors qu’il n’avait que treize ans.

 

sida et communauté gay

La majorité des films du corpus – et tout spécialement ceux de la fin des années 1980 au début des années 1990 – porte sur les communautés gays californienne et new yorkaise. Cela s’explique par le fait que ces communautés ont été les premières à avoir été frappées par le sida, mais aussi parce que différents films n’ont été rendus possibles que grâce au community-based funding. Il y a une grande proximité temporelle entre les mouvements de revendication des droits des gays et l’arrivée du sida ; les très bons Parting Glances (1985, réal. Bill Sherwood) ou Longtime Companion (1989, réal. Norman René) filment et affirment un mode de vie autant qu’ils témoignent des premières années de la maladie.  À l’opposé du discours des autorités politiques, qui se veut rassurant en niant l’évidence du mal et qui exprime surtout la peur de l’establishment envers l’autre (l’homosexuel et sa vie débridée), la scène du décès du sidéen gay, fût-elle aussi crue que dans le documentaire Silverlake Life (1993, réal. Tom Joslin et Peter Friedman), cherche à montrer la douleur universelle liée au deuil.

 

David Kirby, militant gay revenu de Californie dans son Ohio natal pour y mourir du sida. Photo initialement publiée dans le magazine Life de nov. 1990, puis reprise colorisée par Benetton dans sa campagne publicitaire de 1992.]

le combat par l'image

Ces films se présentent donc comme les acteurs d’un combat médiatique visant à faire reconnaître le sida comme une maladie et non comme la sanction d’un mode de vie particulier. Ce combat par l’image englobe également la photographie : celle de David Kirby sur son lit de mort, entouré des siens a plus fait parler du sida que de nombreux articles scientifiques. Auparavant, l’activiste gay Bobbi Campbell posant en une de Newsweek ou les clichés de l’acteur Rock Hudson peu avant son décès avaient frayé la voie. Le film And the Band Played on (1993, réal. Roger Spottiswoode) illustre exemplairement ce combat de l’image, mené sur les différents fronts de la politique, de la science, des médias de masse et du lobbyisme financier.

 

aw

références 

- Dodier Nicolas, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, coll. Cas de figure, 2003, 359 p.

- Favre Pierre, « L’émergence des problèmes dans le champ politique » dans Pierre Favre (dir.), Sida et politique. Les premiers affrontements 1981-1987, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 5-37.

- Jean Marcel, « Les nuits fauves : Dracula de Francis Ford Coppola », 24 images, N° 65, février-mars 1993, p. 60-61.

- Marigny Jean, « Les épidémies dans la science-fiction », dans Jérôme Goffette et Lauric Guillaud (dir.), L’Imaginaire médical dans la science-fiction, Bragelonne, 2011, pp. 35-44.

- Peter Jean-Pierre, « Dimension mythique des épidémies et Sida », Actions et Recherches Sociales (1990 : 1), 15-31.

 Pour citer cette page : Wenger A., “Le sida à l’écran”, CinéMed (2017).

www.unige.ch/cinemed/sida-ecran