2015

De l’eau pour comprendre le cerveau

Pour observer le cerveau en action, scientifiques et médecins utilisent des techniques d’imagerie, dont la plus connue est l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRM-f). Celles-ci ne reposent pas sur l’observation directe des impulsions électriques des neurones activés, mais sur une de leurs conséquences. En effet, cette stimulation déclenche des modifications physiologiques dans la région cérébrale activée, des changements qui deviennent dès lors visibles par imagerie. On croyait jusqu’alors que ces différences étaient uniquement dues aux modifications de l’afflux de sang vers les cellules. En utilisant l’imagerie des signaux optiques intrinsèques (SOI), des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), ont démontré que, contrairement à ce que l’on pensait, une autre variation physiologique était à l’œuvre: les neurones activés gonflent à cause d’une entrée massive d’eau. Cette découverte fournit la preuve qu’une analyse beaucoup plus fine du fonctionnement du cerveau – et de ses dysfonctionnements – est possible. Des résultats à lire dans la revue Cell Reports.

Il existe principalement deux types d’imagerie cérébrale permettant de déterminer quelles zones cérébrales sont stimulées lors d’une activité particulière. L’une d’entre elles est l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRM-f), dont le signal reflète les variations d’oxygène et du flux sanguin dans les zones stimulées. La localisation de ces régions se base sur un effet appelé «BOLD» (Blood Oxygen Level Dependant), lié aux propriétés magnétiques de l’hémoglobine, propriétés qui varient selon son état d’oxygénation.

L’autre technique détecte les modifications de la réfraction de la lumière sur les cellules cérébrales en action. Il s’agit de l’imagerie des signaux optiques intrinsèques (SOI), qui enregistre une intensité lumineuse moindre dans les zones activées. Ce procédé est utilisé comme alternative à l’IRM fonctionnelle, en particulier lorsqu’un champ magnétique risque de perturber l’examen. Jusqu’alors, les scientifiques pensaient que cette modification du comportement de la lumière était également due aux changements hémodynamiques.

Un effet en décalage

Alan Carleton, professeur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, utilise l’imagerie des SOI pour observer le fonctionnement du bulbe olfactif. «Nous obtenons des images très contrastées en réponse à une odeur, car des milliers de cellules sensorielles du nez exprimant le même récepteur olfactif convergent sur un tout petit volume dans le cerveau. Nous avons toutefois observé avec surprise que, si les signaux sont visibles immédiatement après l’émission du stimulus sensoriel, le flux de sang ne se modifie que plus d’une seconde plus tard», explique le scientifique. Le décalage temporel est suffisamment important pour confirmer que, contrairement à un consensus pourtant bien établi, le signal détecté n’a pas une origine hémodynamique.

Quelle est alors l’origine cellulaire des signaux? Une collaboration avec l’équipe d’Ivan Rodriguez, professeur au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE, a permis d’étudier l’activité électrique des différentes cellules impliquées dans la réponse aux odeurs. Ceci grâce à des souris modifiées génétiquement pour que chaque type de cellules du bulbe olfactif devienne fluorescent en cas de stimulation. «Nous n’avons pas trouvé de signal lié au changement d’oxygénation de l’hémoglobine. Par contre, nous avons observé un signal émis par les neurones sensoriels eux-mêmes, en réponse à leur propre activité électrique», note le chercheur.

De l’importance de l’eau

A quoi pouvait donc correspondre ce signal ? Les chercheurs ont découvert qu’il est en fait provoqué par un mouvement d’eau vers l’intérieur du neurone activé, plus précisément au niveau de son axone, le «câble» sur lequel chemine l’impulsion électrique vers une autre cellule. Ils ont en outre démontré que le signal d’imagerie – le flux d’eau dans les axones - est directement couplé à l’activité électrique. «Nous observons un effet mécanique et immédiat de l’activation des neurones, plutôt qu’une modification du flux sanguin a posteriori, note Alan Carleton. On évite ainsi les incertitudes d’interprétation des signaux liés aux flux sanguins, qui, en agissant avec retard et plus globalement sur la région cérébrale étudiée, ne reflètent pas exactement la zone activée.»

Les mouvements d’eau observés grâce à l’imagerie des SOI peuvent également être détectés par l’IRM fonctionnelle. Les scientifiques genevois apportent aujourd’hui la preuve du mécanisme cellulaire en jeu, démontrant ainsi le potentiel de cette technique. «Les deux types d’imagerie convergent: l’observation des mouvements d’eau, plutôt que celle de l’oxygénation du sang, améliore la localisation des neurones actifs et permet de détecter d’éventuelles pathologies. Le problème ne réside pas dans le fait de voir un signal, mais d’en déterminer l’origine pour pouvoir interpréter ce que l’on voit», conclut Ivan Rodriguez.

Contact

Alan Carleton, tél. 022 379 54 26

30 juin 2015

2015

Nos expert-es

Parler aux spécialistes de toutes disciplines

La photothèque

Découvrir et télécharger les images de l’UNIGE

Les archives

Tous nos communiqués depuis 1996

S'abonner aux communiqués de presse
media(at)unige.ch

Université de Genève

24 rue Général-Dufour

CH-1211 Genève 4

T. +41 22 379 77 96

F. +41 22 379 77 29