Sexisme à l'UNIGE: rapport de la commission indépendante
L’Université de Genève rend public le rapport de la commission d’enquête indépendante sur les cas de sexisme et de harcèlement, et annonce un train de mesures.
Au cours de l’année 2017, l’Université de Genève a été confrontée à des accusations récurrentes de sexisme ou de mobbing au sein du rectorat à l’égard de femmes cadres, relayées à plusieurs reprises par des articles de presse. En accord avec la politique de tolérance zéro adoptée par l’institution à l’égard du harcèlement sexiste et sexuel, le recteur Yves Flückiger a annoncé le 1er décembre 2017 l’ouverture d’une enquête indépendante. Au terme de plus de deux mois d’auditions, la commission d’enquête a remis son rapport au recteur et au président du Comité d’éthique et de déontologie de l’UNIGE. Il est aujourd’hui rendu public dans son intégralité et des mesures sont annoncées par le rectorat. Le professeur Michel Oris a par ailleurs présenté sa démission de ses fonctions de vice-recteur.
L’enquête a été confiée à la commission d’enquête indépendante en matière de sexisme et de harcèlement liés au genre envers des femmes cadres de l’Université de Genève (CEISH), composée de Madame Sabine von der Weid, présidente suppléante de la Chambre des relations collectives du travail, vice-présidente de la Croix-Rouge genevoise, et de Monsieur Luc Recordon, avocat et docteur en droit de l’Université de Lausanne, conseiller aux États vaudois de 2007 à 2015. La commission devait notamment vérifier si des agissements relevant du sexisme et du mobbing lié au genre pouvaient être reprochés aux membres du rectorat. Elle devait également confirmer ou infirmer l’incident du stylo tel que relaté dans la presse, faisant état d’un échange supposé entre un membre du rectorat et une collaboratrice, et vérifier si le vice-recteur mis en cause par les médias entretenait des relations dignes et correctes avec ses subordonnées et subordonnés.
La CEISH a procédé à l’audition de 52 personnes entre le 11 janvier et le 16 mars 2018 ; elle a mené l’essentiel de ces auditions à Lausanne. Elle a «sciemment privilégié la recherche la plus large d’indices (caractère inquisitoire des investigations) par rapport à la capacité de se défendre des personnes mises en cause (qui aurait supposé le caractère contradictoire des investigations), afin de ne pas rendre illusoire la condition de l’anonymat des déclarations reçues». Son rapport doit donc être compris comme une enquête préliminaire dont les constats «ne peuvent que servir de base à l’ouverture éventuelle d’une ou de plusieurs enquêtes administratives formelles respectant le caractère contradictoire».
Synthèse du rapport
La CEISH n’a pas relevé d’agissements relevant du sexisme et du mobbing liés au genre envers des femmes cadres de la direction de l’université et pouvant être reprochés aux membres du rectorat. Elle remarque au contraire qu’il «a été relevé à plusieurs reprises la volonté du recteur de lutter contre toute forme de sexisme ou de mobbing. La création du groupe de confiance, en vigueur depuis novembre 2017, par exemple, est perçue comme une excellente mesure.» En revanche, deux cas de souffrance au travail et un cas de grand inconfort sont identifiés par la commission sans toutefois être qualifiés de sexisme.
Par ailleurs, l’incident dit «du stylo» n’a pas pu être confirmé et «doit être considéré comme n’ayant pas existé, du moins pas sous la forme sexiste alléguée». La CEISH souligne qu’aucune des personnes entendues «n’en a le moindre souvenir, sauf une, et même la victime supposée, désignée par la seule personne ayant relaté l’incident, ne se rappelle rien de cet ordre»; cela permet «avec une quasi-certitude d’exclure la réalité de l’événement tel qu’il a été relaté dans la presse».
Les deux situations de souffrance manifeste et la troisième de grand inconfort sont imputables pour partie à des difficultés structurelles entre le personnel académique et administratif, mais aussi à «une certaine inadéquation relationnelle du vice-recteur en charge des ressources humaines». Ce dernier pouvant être «clivant», son langage est «en lui-même souvent inapproprié à la fonction».
La CEISH n’est pas pour autant convaincue «que son comportement puisse être qualifié de sexisme délibéré». Elle rappelle ses «qualités de grand travailleur et [ses] compétences techniques et pédagogiques (…) indiscutables» ainsi que le soutien de «la nette majorité des personnes travaillant ou ayant travaillé avec lui». Ce vice-recteur a également été mis en cause par quatre de ses anciens doctorantes et doctorants ou collaboratrices et collaborateurs pour les avoir traités de manière discriminatoire mais, pour la CEISH, «il ne s’agit à l’évidence pas de problèmes genrés».
L’enquête a par ailleurs mis en lumière deux cas dans les facultés: une situation de grande souffrance affectant une doctorante discriminée par rapport à son unique collègue, masculin, et un cas de harcèlement sexuel touchant une professeure victime de l’un de ses subordonnés. Dans les deux cas, la hiérarchie s’est saisie de l’affaire avant même que la CEISH n’en fasse état.
Le vice-recteur Michel Oris quitte le rectorat
Doutant que les conditions d’un travail serein et utile à l’institution puissent être reconstruites et lassé des attaques répétées dont il a fait l’objet, Michel Oris a présenté sa démission de ses fonctions de vice-recteur au recteur qui a décidé de l’accepter. Conformément au Règlement sur le rectorat de l’Université de Genève, cette démission sera effective à l’issue d’un délai de trois mois, le 31 juillet 2018. Le recteur et l’équipe rectorale tiennent à relever les mérites de Michel Oris dont ils reconnaissent l’immense capacité de travail qui manquera au rectorat et la générosité dans son engagement institutionnel sans faille.
Les mesures adoptées par le rectorat
Le rectorat prend acte du rapport final de la CEISH et remercie ses membres pour l’enquête longue et délicate qu’ils ont conduite. Sur la base des faits énoncés dans ce rapport et des recommandations qu’il formule, le recteur a pris les décisions suivantes:
- Présentation au rectorat, dans un délai de six mois, par les structures concernées, du bilan des différentes mesures mises en place pour lutter contre le harcèlement sexuel et sexiste et la souffrance au travail, assorti d’une analyse détaillée de chacun des instruments existants et de propositions visant à pallier les éventuelles lacunes constatées. La CEISH observe en effet que l’université dispose de moyens suffisants mais qui sont peu utilisés, «le plus souvent par peur du non-respect de l’anonymat, de représailles ou d’obstacles susceptibles d’interrompre une carrière».
- Poursuite de la procédure formelle concernant le premier cas de souffrance au travail relevé par la CEISH. Les faits ne relèvent en aucune façon du harcèlement ni du mobbing, et ne seront pas évoqués, la procédure étant en cours.
- Investigation et prise en charge du deuxième cas de souffrance au travail relevé par la CEISH, afin de permettre à la personne concernée de rétablir des relations de travail correctes avec sa hiérarchie.
- Concernant les autres situations relevées par la CEISH et déjà suivies par la hiérarchie, le rectorat veillera à la qualité de leur prise en charge.
- Ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de la personne ayant relaté l’incident non-avéré du stylo.
Les remarques structurelles concernant l’organisation générale du rectorat et ses relations avec ses divisons et services ne faisaient pas formellement partie du mandat confié à la CEISH. Cependant, elles rejoignent une réflexion déjà engagée par le rectorat, conscient de l’importance d’une bonne relation et d’une communication fluide entre personnel académique et administratif, prévenant une hiérarchisation excessive des rapports entre les deux mondes et assurant ainsi la bonne gouvernance de l’université. Cette thématique ainsi que le fonctionnement apparent «en silo» de l’institution sont l’objet de réflexions et de travaux qui déboucheront sur des propositions faites au Conseil d’Orientation Stratégique à la fin du semestre de printemps 2018.