Cerveau: les cellules souches ont bonne mémoire
En parvenant à faire rajeunir des cellules souches progénitrices cérébrales, des chercheurs de l’UNIGE révèlent une dimension insoupçonnée de la plasticité cellulaire.
Image de microscopie électronique d’une cellule neurale. (© UNIL / N. Toni)
Le cortex cérébral constitue le centre de contrôle de nos pensées et actions, et, au cours de la phase embryonnaire, des dizaines de types de neurones aux fonctions distinctes s’assemblent pour former les circuits permettant ces fonctions. Ces neurones naissent à partir de cellules souches progénitrices, qui les produisent l’un après l’autre et dans un ordre très précis. Alors que les manuels de neurosciences établissent le caractère irréversible de ce processus de spécialisation, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) apportent aujourd’hui la preuve du contraire. En effet, lorsque chez la souris on transplante des cellules progénitrices dans un embryon jeune, elles rajeunissent et récupèrent leurs compétences passées. Ces résultats sont à découvrir dans la revue Nature. Ils modifient en profondeur notre compréhension de la construction cérébrale en révélant une plasticité cellulaire insoupçonnée. A terme, ils ouvrent de nouvelles perspectives pour la régénération de circuits corticaux endommagés.
Du cortex cérébral naît notre compréhension du monde et notre capacité à interagir avec lui. Ainsi, la diversité des neurones corticaux et des circuits qu’ils composent conditionnent la diversité de nos pensées et de nos comportements. Mais comment ces neurones sont-ils générés? Chez la souris, à chaque jour embryonnaire, les cellules progénitrices fabriquent un type de neurones bien précis avant de passer à un autre type cellulaire le jour suivant. Des recherches menées dans les années 90 avaient montré que cette progression allait de pair avec une restriction des compétences, comme si, au fur et à mesure, les cellules progénitrices oubliaient comment produire le type neuronal précédent.
La plasticité des cellules progénitrices décryptée
Le développement de cette partie du cerveau essentielle à nos processus de cognition est au cœur des travaux de Denis Jabaudon, professeur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE: en mai dernier, il avait déjà dévoilé, dans la revue Science, les schémas temporels régissant la progression de la compétence des progéniteurs donnant naissance aux différents types des neurones qui constituent les réseaux corticaux. «Cette fois-ci, nous nous sommes penchés sur la potentielle plasticité de ces cellules souches progénitrices. Le processus de maturation auquel les progéniteurs sont soumis est-il réellement définitif ? Ne pourraient-ils pas revenir en arrière pour générer des types de neurones précédemment fabriqués?»
Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont transplanté chez la souris des progéniteurs provenant d’embryons âgés dans des embryons plus jeunes, comment l’avaient fait les neuroscientifiques des années 90. Mais avec des résultats opposés, révélant que certains progéniteurs pouvaient rajeunir dans le nouvel environnement. «En utilisant des techniques plus précises, nous avons pu identifier des progéniteurs agissant comme de véritables cellules souches. Une fois dans leur nouvel environnement, ils rajeunissent pour devenir identiques aux progéniteurs non transplantés. L’environnement dans lequel se trouve la cellule agit donc comme une véritable cure de jouvence!». De plus, les neuroscientifiques genevois ont identifié le mécanisme moléculaire responsable de ce rajeunissement cellulaire : la protéine Wnt. «On savait que Wnt contribuait à maintenir les cellules souches dans un état indifférencié, mais ici elle semble capable de faire un pas de plus en reversant le processus de différenciation cellulaire,» souligne Denis Jabaudon.
Les chercheurs ont ensuite essayé sans succès d’accélérer le processus de vieillissement en transplantant des progéniteurs jeunes dans un environnement plus âgé. «A notre grande surprise, nos résultats démontrent l’exact opposé de ce que la communauté scientifique tenait pour acquis, soit que le rajeunissement des progéniteurs était impossible, mais que mais leur vieillissement accéléré l’était. Nous sommes parvenus à rajeunir nos cellules, mais pas à les faire vieillir.»
Ainsi, la notion de progression des compétences allant de pair avec une restriction de celles-ci, si ancrée en neurosciences, apparaît aujourd’hui comme fausse. Néanmoins, la capacité de régénération ne semble pas concerner tous les progéniteurs. Pourquoi? Sur ce point, le mystère reste encore entier.
Une preuve de principe pour la neurorégénération corticale
Les adultes ne conservant que très peu de progéniteurs, comment exploiter ces découvertes à des fins thérapeutiques ? A la fin du processus de différenciation, les progéniteurs deviennent des astrocytes, un type cellulaire que l’on conserve à tous les âges de la vie. Serait-il possible, alors de retransformer les astrocytes en cellules progénitrices afin de produire un type précis de neurones qui auraient disparu suite à un accident ou à une maladie? «Nos travaux apportent la preuve de principe d’une grande malléabilité cellulaire», explique Denis Jabaudon. «Il serait intéressant de comprendre comment utiliser ce phénomène à des fins de régénération.»
28 août 2019