2019

Des amibes pour remplacer les souris de laboratoire

L’Université de Genève décerne son prix 3R à une recherche qui permet de réduire le nombre d’animaux en expérimentation grâce à un meilleur filtrage des composés à tester.

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Photographie de microscopie électronique d’une amibe infectée par une mycobactérie (colorée en bleu pour faciliter la visualisation). © UNIGE

 

Réduire au maximum le nombre de composés anti-infectieux à tester sur un modèle animal en les triant au préalable sur des amibes infectées pour ne retenir que les plus efficaces. C’est le but de la recherche publiée en 2018 dans la revue Scientific Report et récompensée cet automne par le prix 3R de l’Université de Genève (UNIGE). Ce prix distingue et valorise depuis 2016 une chercheuse ou un chercheur de l’UNIGE pour sa contribution aux 3R. Les principes 3R – pour «réduire», «raffiner», «remplacer» – visent à réduire le nombre d’animaux utilisés en expérimentation, à raffiner la méthodologie pour minimiser les contraintes subies par l’animal tout en améliorant la qualité des résultats obtenus, et à remplacer le modèle animal par des méthodes alternatives dès que cela est possible.

En développant une technique pour tester des composés anti-infectieux sur l’amibe infectée afin de ne retenir que les plus efficaces, le groupe de Thierry Soldati, Professeur Associé au Département de biochimie de la Faculté des sciences de l’UNIGE, permet de réduire considérablement le nombre de tests qui devront ensuite être menés sur la souris. Ses recherches répondent aux critères de la politique 3R «qui s’est imposée comme le standard éthique international en matière d’expérimentation animale», souligne Marjolaine Philit, directrice de l’expérimentation animale de l’UNIGE.

La première ligne de défense de notre système immunitaire est constituée de cellules macrophages, une variété de globules blancs, capables de distinguer ce qui appartient à l’organisme de ce qui lui est étranger afin de l’éliminer. Mais dans le cas d’une infection comme la tuberculose, ces macrophages n’arrivent pas à terminer leur travail et éliminer les bactéries. Il faut donc les aider en utilisant des antibiotiques. La pharmacopée mondiale d’antibiotiques contre le bacille de la tuberculose est de plus en plus souvent mise en échec à cause de l’émergence de bactéries résistantes. La réponse passe donc par le développement de nouveaux composés chimiques, de synthèse ou naturels. Pour sélectionner des antibiotiques, l’industrie pharmaceutique teste leur efficacité directement sur la bactérie de la tuberculose, mais la vaste majorité de ces composés échouent lorsque la recherche se poursuit sur des cellules ou des animaux infectés, car la bactérie ne se comporte pas de la même manière.

L’enjeu est donc d’ éliminer le plus rapidement possible ces composés qui ne permettent pas de soigner l’infection chez l’animal, et pour cela, le groupe de Thierry Soldati a mis en place un système de sélection de composés qui joue le rôle de filtre et prédit de façon fiable quels composées seront les meilleurs anti-infectieux. «Nous nous sommes appuyés sur un échantillon de 180 composés mis à disposition par GlaxoSmithKline, tous efficaces contre la bactérie responsable de la tuberculose», témoigne Thierry Soldati. Mais au lieu de les employer sur la bactérie, l’équipe de chercheurs a utilisé des amibes, qui sont des êtres unicellulaires des sols de forêts qui se comportent de manière comparables à nos macrophages. Ces derniers utilisent en effet les mêmes «outils» que les amibes pour identifier et tuer une bactérie, et tous deux peuvent être infectés par les bactéries de la tuberculose, d’où la pertinence de ce modèle. «Recourir à une amibe infectée est une technique simple utilisée par la recherche depuis déjà une quinzaine d’années. Nos dernières publications montrent que l’on peut s’en servir pour sélectionner des composés chimiques anti-infectieux», explique encore le chercheur. C’est donc un modèle performant, et c’est ce que vient réaffirmer le prix 3R.

«Nous avons pu montrer que seuls 5% des composés chimiques efficaces contre la bactérie continuaient à donner des résultats sur l’amibe infectée et restent éligibles pour la phase suivante, le test sur des animaux infectés. Grâce à cette sélection beaucoup plus fine des nouveaux composés, l’équipe de Thierry Soldati permet de réduire d’un facteur de 10 à 100 le nombre d’individus nécessaires lors du passage à l’expérimentation animale. Sans cette recherche, on testerait sur la souris des centaines de composés qui n’auraient eu que peu de chance d’être efficaces.

«Nos recherches s’orientent maintenant vers la sélection de composés naturels dont la médecine traditionnelle africaine ou autre indiquent souvent la présence dans les plantes médicinales. Nous pouvons ainsi associer les techniques du 3R avec l’utilisation du modèle amibe, les sciences pharmaceutiques pour isoler les composés à tester, et la connaissance ancestrale, pour développer de nouvelles classes de composés anti-infectieux !» conclut Thierry Soldati.

13 nov. 2019

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