Des os plus solides grâce à la chaleur et au microbiote
Des scientifiques de l’UNIGE démontrent comment l’exposition à la chaleur améliore la solidité des os, et décryptent le rôle du microbiote intestinal dans ce phénomène. Des perspectives innovantes dans le traitement de l’ostéoporose.
La chaleur prévient la perte osseuse. (DR)
Maladie osseuse liée au vieillissement, l’ostéoporose se caractérise par une perte de densité osseuse, une détérioration micro-architecturale des os et un risque accru de fracture. Un tiers des femmes ménopausées en sont atteintes, un problème majeur en termes de santé publique. Au travers d’analyses épidémiologiques, d’expériences de laboratoire et d’outils métagénomiques et métabolomiques de pointe, une équipe de recherche de l’Université de Genève (UNIGE) a observé que l’exposition à des températures ambiantes plus élevées (34 °C) augmente la solidité des os, tout en empêchant la perte de densité osseuse typique de l’ostéoporose. Ce phénomène, lié à une modification de la composition du microbiote intestinal déclenché par la chaleur, a pu être répliqué en laboratoire en transplantant le microbiote de souris vivant dans un environnement chaud à des souris atteintes d’ostéoporose. L’ossature de ces dernières a été renforcée et solidifiée, et la perte de densité osseuse amoindrie. Ces résultats, à découvrir dans la revue Cell Metabolism, promettent de futures interventions efficaces et novatrices pour prévenir et traiter l’ostéoporose.
De nombreux biologistes connaissent la règle d’Allen, édictée par le naturaliste Joel Asaph Allen au XIXe siècle, selon laquelle les animaux vivant dans des régions chaudes ont une plus grande surface corporelle par rapport à leur volume que les animaux vivant dans des environnements froids. En effet, une grande surface de peau permet l’évacuation optimale de la chaleur corporelle. «Lors d’une expérience, nous avons placé des souris nouveau-nées à une température de 34 °C, afin de minimiser le choc thermique lié à leur naissance. Nous avons constaté qu’elles avaient des os plus longs et plus solides, confirmant ainsi que la croissance osseuse est affectée par la température ambiante», explique Mirko Trajkovski, professeur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme et au Centre du diabète de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé cette étude. Mais qu’en est-il à l’âge adulte?
La chaleur contre la perte osseuse
En plaçant plusieurs groupes de souris adultes dans un environnement chaud, les scientifiques ont observé que si la taille des os restait inchangée, leur solidité et leur densité étaient, elles, nettement améliorée. L’expérience a été reconduite avec des souris après une ovariectomie, afin de modéliser l’ostéoporose post-ménauposale. «L’effet était très intéressant,» raconte Claire Chevalier, alors chercheuse dans le laboratoire du professeur Trajkovski et première auteure de ces travaux. «Le simple fait de réchauffer le cadre de vie de nos souris les a protégées de la perte osseuse typique de l’ostéoporose!»
Des données épidémiologiques concordantes
Qu’en est-il des êtres humains? L’équipe de recherche a analysé les données épidémiologiques mondiales sur l’incidence de l’ostéoporose en fonction de la température moyenne, de la latitude, de la consommation de calcium et des taux de vitamine D. Le constat est intéressant: plus la température est élevée, moins il y a de fractures de la hanche ¬une des principales conséquences de l’ostéoporose— et ce, indépendamment des autres facteurs considérés.
«Nous avons identifié une corrélation évidente entre la latitude géographique et les fractures de la hanche, ce qui signifie que dans les pays du nord, l’incidence est plus élevée que dans le sud, plus chaud», explique Mirko Trajkovski. «Inclure ou exclure de l’analyse les facteurs connus tels que la vitamine D ou le calcium n’a pas modifié cette corrélation. Cependant, lorsque nous avons exclu la température comme facteur déterminant, la corrélation a été perdue. Cela ne veut pas dire que le calcium ou la vitamine D ne jouent pas un rôle, que ce soit seuls ou en combinaison. Cependant, le facteur déterminant est bien la chaleur, ou son absence.»
Le microbiote s’adapte
Spécialistes du microbiote, l’équipe genevoise a voulu savoir connaître le son rôle que celui-ci joue dans ces modifications métaboliques. Ils ont pour cela transplanté le microbiote des souris vivant dans un environnement à 34° à des souris ostéoporotiques, dont la qualité osseuse s’est rapidement trouvée améliorée. « Ces résultats indiqueraient ainsi une extension de la règle d’Allen, et suggéreraient que la chaleur, indépendamment de l’allongement des os, favorise principalement la densité et la solidité des os à l’âge adulte grâce à des modifications du microbiote », explique Mirko Trajkovski.
Grâce à des outils métagénomiques de pointe développés au sein de leur laboratoire, les scientifiques genevois sont parvenus à comprendre le rôle joué par le microbiote. Lorsque ce dernier est adapté à la chaleur, il entraîne un dérèglement de la synthèse et de la dégradation des polyamines, des molécules qui jouent un rôle dans le vieillissement, et particulièrement dans la solidité des os.
«Avec la chaleur, la synthèse des polyamines augmente, alors que leur dégradation est réduite. Elles influent ainsi sur l’activité des ostéoblastes (les cellules qui construisent les os) et sur la réduction du nombre des ostéoclastes (les cellules qui dégradent les os). Avec l’âge et la ménopause, le délicat équilibre entre ostéoblastes et ostéoclastes est perturbé, ce qui entraîne la fragilisation des os», explique Claire Chevalier. «Cependant, la chaleur, en agissant sur les polyamines qui sont partiellement régulées par le microbiote, peut maintenir l’équilibre entre ces deux groupes cellulaires.» Ces données indiquent que l’exposition à la chaleur pourrait constituer une stratégie de prévention contre l’ostéoporose.
Développer de nouveaux traitements
La compréhension de l’influence du microbiote sur le métabolisme progresse. Cependant, pour pouvoir développer des stratégies thérapeutiques, les effets d’une bactérie donnée sur une maladie doivent être connus. Dans le cadre de leurs travaux sur l’ostéoporose, l’équipe du professeur Trajkovski a pu identifier des bactéries importantes. «Nous devons encore affiner nos analyses, mais notre objectif à relativement court terme serait d’identifier des bactéries candidates et de mettre au point de véritables cocktails de bactéries pour traiter certains troubles osseux et métaboliques, comme l’ostéoporose, mais aussi améliorer la sensibilité à l’insuline par exemple,» concluent les auteurs.
10 sept. 2020