Intégrer un orchestre augmente les capacités cognitives
Le projet EmoDémos, mené auprès d’enfants de 7 à 12 ans et dirigé par l’UNIGE, démontre que pratiquer un instrument au sein d’un orchestre peut faciliter l’acquisition des aptitudes cognitives et émotionnelles en deux ans.
Élèves participant au projet EmoDémos, qui vise à ouvrir les portes de la musique classique à des enfants de 7 à 12 ans habitant dans des quartiers relevant de la politique de la ville (QPV) ou dans des zones de revitalisation rurale (ZRR) éloignées des lieux de pratique en France. © Romain Bassenne
Faire partie d’un orchestre dès le plus jeune âge a-t-il un impact sur les capacités cognitives et émotionnelles? Pour répondre à cette question, la Cité de la musique – Philharmonie de Paris a mandaté des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique de Paris (IRCAM) et l'Université de Gêne, afin qu’ils étudient durant deux ans le développement et l’évolution des aptitudes cognitives et sociales de 300 enfants âgés de 7 à 12 ans et résidant dans des quartiers relevant de la politique de la ville ou des zones rurales insuffisamment dotées en institutions culturelles en France. Leurs résultats, qui seront publiés dans l’ouvrage Together in Music: Participation, coordination, and creativity in ensembles aux Presses Universitaires d’Oxford, relèvent qu’au bout de deux ans de musique en collectivité, la mémoire, la flexibilité cognitive, l’autonomie et l’empathie des enfants se sont améliorés à un rythme plus élevé, soit cinq fois plus, en comparaison de mesures publiées sur des tests standards.
Depuis 2010, la Cité de la musique – Philharmonie de Paris coordonne le projet Démos, qui vise à ouvrir les portes de la musique classique à des enfants de 7 à 12 ans habitant dans des quartiers relevant de la politique de la ville (QPV) ou dans des zones de revitalisation rurale (ZRR) éloignées des lieux de pratique. Aujourd’hui, plus de 40 orchestres d’une centaine d’enfants ont déjà été créés avec succès. Mais en dehors de l’acquisition d’un savoir-faire musical, jouer dans un orchestre influe-t-il sur les aptitudes de ces enfants?
Le Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA) de l’UNIGE, en collaboration avec l’IRCAM, a été mandaté afin d’étudier l’évolution des capacités cognitives et émotionnelles de ces apprentis musiciens. «Notre objectif était de développer des outils d’évaluation scientifiques que l’on puisse ensuite transmettre aux praticiens, c’est-à-dire aux professeurs de musique et aux éducateurs prenant part au projet, selon le principe de la science participative», explique Donald Glowinski, chercheur au CISA et directeur du projet EmoDémos.
Un projet de deux ans mené sur 300 enfants
Les chercheurs ont suivi durant deux ans 300 enfants répartis dans trois orchestres de niveaux différents: débutant, intermédiaire et avancé. «Nos recherches ont porté sur plusieurs aspects cognitifs et moteurs que l’on associe au développement de l’empathie et de la sociabilité, des aptitudes difficiles à mesurer directement sans risquer d’y introduire des biais», relève le chercheur genevois. «En effet, la difficulté de l’empathie est de reconnaître les émotions d’autrui, sans pour autant les confondre avec les siennes, précise Didier Grandjean, professeur à la Section de psychologie de l’UNIGE. Il s’agit de se mettre à la place de l’autre, d’interpréter sa réaction et de synchroniser sa propre réaction avec la sienne.»
Ils ont effectué trois types de tests visant à mesurer l’évolution des aptitudes cognitives et émotionnelles des petits musiciens. Le premier était un questionnaire général portant sur leurs relations aux autres, au travail, au projet Démos lui-même. Le deuxième test portait sur des jeux sur tablettes visant à mesurer la mémoire de travail (combien d’information l’enfant peut retenir), les émotions (comprendre une situation et choisir l’émotion adéquate pour y répondre), le processus d’attention et la flexibilité cognitive (intégrer la consigne, agir en conséquence et s’adapter rapidement aux changements de règles). Pour le troisième test, les chercheurs ont mis au point des applications interactives permettant de mesurer la précision et la synchronisation du mouvement des apprentis musiciens chargés d’imiter leur professeur de musique ou d’autres enfants.
Des aptitudes cognitives et émotionnelles globalement en progrès
Dès la première année au sein de l’orchestre, les chercheurs ont observé une évolution significative du développement des capacités cognitives et émotionnelles des enfants de l’orchestre, en comparaison avec des résultats publiés. «Mais c’est surtout entre la deuxième et la troisième année de pratique que les résultats sont les plus époustouflants : tant la mémoire que la reconnaissance émotionnelle et la flexibilité cognitive sont fortement améliorées et proches d’être multipliées par cinq chez un enfant de 9 ans au sein de l’orchestre», s’enthousiasme Donald Glowinski. Ces résultats sont d’ailleurs corrélés aux retours des professeurs et éducateurs sur leurs perceptions de l’évolution des enfants, qui voient également d’énormes progrès au fil des ans. «Ici, science et intuition se rejoignent», souligne Didier Grandjean.
EmoDémos a ainsi amené des éléments originaux sur l’impact sur le cerveau de la musique en orchestre, qui permet une mise en relation entre les enfants et la création d’une coordination et d’une synchronisation entre eux. La méthodologie participative, créée en étroite collaboration avec les éducateurs de terrain, a permis de créer de nouveaux outils pour étudier les effets de la pratique musicale. «Grâce au projet Démos, ces enfants ont gagné en autonomie, en capacité d’écoute et ont appris à vivre ensemble autour d’un projet commun autour de la musique classique», conclut Donald Glowinski.