52% des troubles auditifs de l'enfant sont génétiques
Une étude dirigée par les HUG et l'UNIGE révèle un taux remarquablement élevé (52%) de causes génétiques aux troubles auditifs neurosensoriels des enfants, dont la moitié s’intègre dans un syndrome plus large.
L’étude porte sur les troubles auditifs neurosensoriels ou de perception. Il s’agit de troubles qui ne guérissent pas et qui nécessitent la pose d’un appareil auditif ou d’un implant cochléaire. Ils se distinguent des troubles auditifs de transmission, dus par exemple à une otite ou un bouchon de cire, qui sont plus fréquents, souvent temporaires et qui se soignent plus facilement. © 2015 Julien Gregorio/phovea/HUG
La plateforme online MDPI a publié une revue de pratique clinique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) sur les troubles auditifs neurosensoriels de l’enfant, tirant parti d’une collaboration inédite en Suisse entre spécialistes de l’ORL et de la médecine génétique. S’appuyant sur des techniques rapides et modernes de séquençage d’ADN, cette étude révèle un taux remarquablement élevé (52%) de causes génétiques aux troubles auditifs neurosensoriels des enfants, dont la moitié s’intègre dans un syndrome plus large. Elle souligne toute l’importance de l’approche génétique pour intervenir précocement et adéquatement, tant sur la déficience auditive que sur d’autres atteintes potentiellement graves, comme le syndrome d’Alport (atteinte rénale) ou le syndrome d’Usher (atteinte visuelle). La déficience auditive neurosensorielle touche un enfant sur 500 et augmente avec l’âge jusqu’à concerner 1,5 milliard de personnes dans le monde. Des résultats à lire dans la revue Genes.
«Chez l’enfant et le nouveau-né, la majorité des troubles auditifs neurosensoriels est d’origine génétique. La littérature scientifique reste néanmoins floue, avec une large fourchette de 10 % à 80 % selon les études», indique Ariane Giacobino, Médecin adjointe au Service de médecine génétique des HUG et Professeure au Département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE). Pourtant, un diagnostic précis est important pour la prise en charge ORL, car les causes génétiques peuvent impacter non seulement le fonctionnement de l’oreille et le pronostic thérapeutique, mais également la prise en charge globale du/de la patient·e et ses autres organes.
La génétique au cœur de l’audition
Au vu de l’hétérogénéité des causes génétiques de surdité, l’avènement de l’analyse par séquençage à haut débit de l’ADN constitue une approche efficace pour le diagnostic. L’équipe des HUG a étudié une cohorte de 70 patient·es suivi∙es en ORL, composée de neuf adultes et de 61 enfants avec des troubles de l’audition ou de perception, réhabilités par un appareil auditif ou un implant cochléaire, sans contexte de syndrome identifiable ni d’autres problèmes de santé. La cohorte a été soumise à un séquençage de la portion codante du génome suivi de la lecture ciblée de 189 gènes candidats, une approche connue sous le nom de séquençage de l’exome.
L’étude révèle un taux très élevé de diagnostics génétiques chez les enfants. 52% d’entre eux montrent une cause génétique au trouble auditif. Elle révèle également que 46% des enfants avec un diagnostic génétique ont en fait un trouble auditif dans un contexte syndromique plus large. «C’est un résultat stupéfiant, puisque leur bilan ORL et de santé ne permettaient pas de soupçonner de telles affections», explique Hélène Cao Van, co-auteure de l’étude et Médecin adjointe responsable de l’unité d’ORL pédiatrique et de pédo-audiologie du Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale des HUG.
Les avantages de l’approche génomique
«Le bénéfice est immense pour la santé des enfants syndromiques identifiés par cette approche. Les reins, les yeux ou encore le cœur peuvent être surveillés de manière anticipée pour prévenir d’éventuelles complications», souligne Dre Cao Van. De plus, en cas d’hérédité potentielle, l’approche apporte un bénéfice pour les familles en leur permettant de se savoir porteuses des mutations à l’origine de ces troubles. Elles peuvent être ainsi surveillées.
L’étude démontre toute l’importance du séquençage de l’exome dans les troubles auditifs de perception de l’enfant. Concrètement, elle permet d’adapter la prise en charge auditive, de rechercher d’éventuels problèmes somatiques associés, d’éviter des examens complémentaires inutiles en cas de déficits auditifs isolés, de proposer un diagnostic précoce et d’établir les bases d’une éventuelle thérapie génique future.
Le séquençage de l’exome
«La technique du séquençage de l’exome permet d’étudier une myriade de gènes plutôt que de se focaliser sur un ou deux gènes cibles et de devoir répéter des analyses coûteuses. De plus, le résultat du séquençage reste disponible et questionnable par la suite, selon l’évolution de la recherche et l’identification de nouveaux gènes impliqués dans la perte d’audition», précise Ariane Giacobino.
Les troubles de l’audition dans le monde
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la déficience auditive touche 1,5 milliard de personnes dans le monde, dont un nouveau-né sur 500. «Par ailleurs, la moitié des plus de 60 ans et 80% des plus de 80 ans en sont affectés», précise Hélène Cao Van.
Les personnes touchées développent principalement des problèmes de langage avec un impact négatif sur leur vie sociale et leur santé psychoaffective. C’est pourquoi, depuis 2001, la Suisse procède à un dépistage auditif systématique des enfants et nouveau-nés en mesurant les otoémissions acoustiques (OEA), c’est-à-dire l’activité spontanée de l’oreille en réponse à une stimulation sonore extérieure. Ce test est néanmoins insuffisant pour identifier toutes les déficiences auditives, le trouble pouvant notamment être évolutif et non exprimé à la naissance.
Prochaines étapes
Cette collaboration entre les Services d’ORL et chirurgie cervico-faciale et de médecine génétique est inédite en Suisse. Leur analyse a contribué à faire accepter le séquençage de l’exome dans la prise en charge des troubles de l’audition chez l’enfant. «Nous allons lancer une étude à plus grande échelle qui pourrait attester de l’intérêt d’inclure systématiquement le séquençage de l’exome dans la prise en charge des troubles de l’audition de perception du jeune enfant», concluent Ariane Giacobino et Hélène Cao Van.