Les neurones olfactifs s'adaptent à leur environnement
Une équipe de l’UNIGE a mis en lumière la très grande variabilité et l’adaptation continue des neurones olfactifs.
Coupe de la cavité nasale d’une souris (vue large). Au sein de la population dense de neurones olfactifs (en bleu), les neurones olfactifs exprimant un type de récepteur spécifique (Olfr151) sont marqués en vert vif. © Madlaina Boillat
Les récepteurs olfactifs, présents à la surface des neurones sensoriels de la cavité nasale, reconnaissent les molécules odorantes et transmettent cette information au cerveau. Comment ces neurones parviennent-ils à détecter une grande variabilité de signaux et à s’adapter à différents niveaux de stimulation? Une équipe conjointe de la Faculté des sciences et de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE) s’est intéressée au profil d’expression des gènes de ces neurones, en présence ou en absence de stimulation odorante. Les scientifiques ont découvert une variabilité insoupçonnée dans ces profils en fonction du récepteur olfactif exprimé et des expositions précédentes aux odeurs. Ces résultats, à lire dans la revue Nature Communications, mettent en évidence un large éventail d’identités de neurones olfactifs, et leur adaptation au milieu environnant.
Chez les mammifères, la perception des odeurs est assurée par des millions de neurones olfactifs, localisés au niveau de la muqueuse de la cavité nasale. Ces neurones possèdent à leur surface des récepteurs capables de se lier spécifiquement à une molécule odorante. Chacun des neurones olfactifs n’exprime qu’un seul gène codant pour un récepteur olfactif, choisi parmi un répertoire d’environ 450 chez l’humain et 1,200 chez la souris.
Lorsqu’une molécule volatile est reconnue par un récepteur, celui-ci est activé et génère un signal transmis au bulbe olfactif dans le cerveau, un signal qui se traduit ensuite en une odeur. Le système olfactif répond à des environnements très variables et doit pouvoir s’adapter très rapidement. Par exemple, lors d’une stimulation en continu par certaines molécules odorantes, l’intensité perçue diminue progressivement pour parfois finalement disparaitre.
Le groupe du Professeur Ivan Rodriguez du Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences, en collaboration avec celui du Professeur Alan Carleton du Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine, s’intéresse aux mécanismes adaptatifs des neurones, et en particulier des neurones olfactifs chez la souris. Dans une étude précédente, les scientifiques avaient découvert qu’après la stimulation d’un récepteur par une molécule odorante pendant moins d’une heure, l’expression du gène codant pour ce récepteur diminuait dans le neurone, indiquant un mécanisme d’adaptation très rapide.
Des neurones au profil spécifique
Les biologistes ont poursuivi cette approche et ont exploré la possibilité que cette adaptation à une expérience olfactive n’affecte pas seulement le gène codant pour le récepteur, mais également d’autres gènes. Pour ce faire, le profil des gènes exprimés avant et après stimulation olfactive, a été déterminé dans des milliers de neurones olfactifs en séquençant leurs ARN messagers (les molécules permettant par la suite la production des protéines).
«A notre grande surprise, nous avons constaté qu’au repos, c’est-à-dire dans un environnement sans stimulation, les profils des ARN messagers des populations de neurones sensoriels olfactifs de la souris sont déjà très différents les uns des autres, et sont spécifiques au récepteur olfactif qu’ils expriment», rapporte Luis Flores Horgue, doctorant au Département de génétique et évolution et co-premier auteur de l’étude. Les neurones exprimant le même récepteur ne partagent donc pas uniquement ce récepteur mais se distinguent également par l’expression de centaines d’autres gènes. Des gènes dont le niveau d’expression semble être dirigé par le récepteur olfactif exprimé, qui jouerait donc un double rôle.
Une molécule change l’expression de centaines de gènes
Les biologistes ont ensuite analysé l’expression des gènes dans ces neurones après stimulation par des molécules odorantes. Ils ont observé que celles-ci induisent des changements massifs de l’expression de gènes dans les neurones activés. «Alors qu’on pensait que la liaison d’une molécule odorante entraînerait uniquement l’activation du récepteur correspondant, on découvre que les neurones olfactifs changent drastiquement d’identité en modulant l’expression de centaines de gènes après activation. Et cette nouvelle identité est à nouveau dépendante du récepteur exprimé. Nous faisons face à un mécanisme d’adaptation inattendu, massif, rapide et réversible», explique Ivan Rodriguez, co-dernier auteur de l’étude.
Ces travaux révèlent ainsi que les neurones olfactifs ne sont pas à considérer comme des senseurs passant simplement d’un état au repos à un état stimulé, mais que leur identité est en évolution permanente, non seulement en fonction du récepteur exprimé mais aussi en fonction des expériences passées. Cette découverte ajoute un niveau supplémentaire à la complexité et à la flexibilité du système olfactif. Mieux comprendre comment cette identité est déterminée sera le prochain challenge de l’équipe genevoise.