James-Webb détecte du CO2 dans l’atmosphère d’une exoplanète
Le nouveau télescope spatial a mis en évidence la présence de dioxyde de carbone sur la géante gazeuse WASP-39b. Une première à laquelle l’UNIGE et l’UNIBE ont participé.
Cette illustration montre ce à quoi l’exoplanète WASP-39 b pourrait ressembler, selon les connaissances actuelles de la planète. Cette illustration est basée sur les observations indirectes de transit de Webb ainsi que d’autres télescopes spatiaux et terrestres. Webb n’a pas capturé d’image directe de cette planète. © NASA, ESA, CSA, Joseph Olmsted (STScI)
Lancé fin 2021 par la NASA, avec la collaboration de l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence spatiale canadienne (ASC), le télescope spatial James-Webb livre un premier résultat scientifique exceptionnel: pour la première fois, du CO2 a pu être clairement détecté dans l’atmosphère de WASP-39b, une planète située en dehors du système solaire. Des chercheurs et chercheuses de l’Université de Genève (UNIGE), de l’Université de Berne (UNIBE) et du Pôle de recherche national (PRN) PlanetS ont participé à cette découverte qui marque une nouvelle étape dans la recherche de la vie dans l’Univers. Ces résultats seront publiés prochainement dans la revue Nature.
En raison de son rôle-clé dans la régulation du climat, le dioxyde de carbone est un composant central de l’atmosphère terrestre. Détecter clairement sa présence dans l’atmosphère d’exoplanètes lointaines est donc une étape essentielle dans la recherche de mondes propices à la vie. C’est précisément ce qu’une équipe internationale de chercheurs et chercheuses, comprenant des scientifiques de l’UNIGE, de l’UNIBE et du Pôle de recherche national (PRN) PlanetS, est parvenue à accomplir grâce aux observations réalisées avec le télescope spatial James-Webb. Lancé fin décembre 2021 et exploité conjointement par l’Agence spatiale européenne (ESA), l’Agence spatiale américaine (NASA) et l’Agence spatiale canadienne (CSA), le télescope a débuté son travail scientifique en juin 2022. Ces premiers résultats feront l’objet d’un article qui sera publié la semaine prochaine dans la revue scientifique Nature.
Déceler la composition de l’atmosphère en filtrant la lumière
La planète WASP-39b est une géante gazeuse chaude qui transite devant son étoile. Cette dernière, semblable au Soleil, se situe à 700 années-lumière de la Terre. Lorsqu’une planète passe juste devant son étoile - ce que l’on appelle un «transit» en astronomie - une partie de la lumière de l’étoile passe à travers l’atmosphère de la planète avant d’atteindre le télescope. «L’atmosphère filtre alors certaines couleurs plus que d’autres, ceci en fonction de la matière dont elle est composée, de son épaisseur et de la présence ou non de nuages», explique Monika Lendl, coauteure de l’étude, professeure au sein du Département d’astronomie de l’UNIGE et membre du PRN PlanetS. «En utilisant le télescope James-Webb pour décomposer la lumière en ses couleurs, nous pouvons identifier des ‘‘empreintes digitales’’ caractéristiques de différents gaz et déterminer la composition de l’atmosphère.»
Contrairement aux géantes gazeuses de notre système solaire, WASP-39b tourne autour de son étoile dans une orbite étroite - à seulement un huitième de la distance entre le Soleil et Mercure – et met seulement un peu plus de quatre jours terrestres pour effectuer une révolution. La planète est ainsi soumise à un intense rayonnement solaire qui la chauffe à une température d’environ 900°C. «La chaleur provoque la dilatation de l’atmosphère de la planète. Ainsi, la taille de WASP-39b est d’un tiers plus grande que Jupiter, la plus grande géante gazeuse de notre système solaire, alors qu’elle ne possède qu’un quart de sa masse», explique Monika Lendl.
Première détection claire de dioxyde de carbone sur une exoplanète
En utilisant le spectrographe proche infrarouge (NIRSpec) du télescope James-Webb, l’équipe de recherche a pu détecter l’«empreinte digitale» du dioxyde de carbone dans la lumière qui traversait l’atmosphère de WASP-39b. «Dès que nous avons vu les données, il était clair que nous avions affaire à une découverte spectaculaire», explique Dominique Petit dit de la Roche, chercheuse à l’UNIGE, coauteure de l’étude et membre du PRN PlanetS. «C’est la première fois que le dioxyde de carbone est clairement détecté sur une planète hors du système solaire».
«La détection d’un signal aussi clair de dioxyde de carbone sur WASP-39b est de bon augure pour la détection d’atmosphères sur des planètes plus petites, de taille terrestre, ainsi que pour la mesure des abondances d’autres gaz comme l’eau et le méthane», déclare Natalie Batalha de l’Université de Californie à Santa Cruz, cheffe de l’équipe de recherche internationale qui a réalisé ces observations.
Comprendre la composition de l’atmosphère d’une planète permet également de mieux comprendre l’origine de la planète et son évolution. «Les molécules de dioxyde de carbone sont des traceurs sensibles de l’histoire de la formation des planètes», explique Elspeth Lee, coauteure de l’étude, boursière Ambizione à l’UNIBE et membre du PRN PlanetS. «La détection claire du dioxyde de carbone dans WASP-39b nous donne des informations sur l’inventaire des molécules de carbone et d’oxygène dans l’atmosphère. Cela nous donne une idée des divers processus chimiques qui se déroulent dans des atmosphères soumises à des conditions aussi extrêmes, ainsi que des éventuels matériaux rocheux et gazeux que la planète a pu amasser lors de ses phases de formation», poursuit Lee.
Early Release Science
L’observation NIRSpec de WASP-39b n’est qu’une partie d’un grand projet d’observation mené avec le télescope James-Webb. Celui-ci comprend d’autres observations de WASP-39b ainsi que de deux autres planètes hors de notre système solaire. Ces observations s’inscrivent dans le cadre du programme Early Release Science, développé pour mettre à la disposition de la communauté scientifique internationale les données scientifiques du télescope James-Webb le plus rapidement possible et assurer ainsi la meilleure utilisation scientifique possible du télescope spatial.
Les exoplanètes à Genève: 25 ans d’expertise couronnés par un prix Nobel
La première exoplanète a été découverte en 1995 par deux chercheurs de l’Université de Genève, Michel Mayor et Didier Queloz, lauréats du prix Nobel de physique 2019. Cette découverte a permis au Département d’astronomie de l’Université de Genève de se situer à la pointe de la recherche dans le domaine avec notamment la construction et l’installation de HARPS sur le télescope de 3,6m de l’ESO à La Silla en 2003. Ce spectrographe est resté pendant deux décennies le plus performant du monde pour déterminer la masse des exoplanètes. HARPS a cependant été surpassé cette année par ESPRESSO, un autre spectrographe construit à Genève et installé sur le Very Large Telescope (VLT) à Paranal, au Chili.
La Suisse s’est aussi engagée dans les observations depuis l’espace des exoplanètes avec la mission CHEOPS, résultat de deux expertises nationales, d’une part le savoir-faire spatial de l’Université de Berne avec la collaboration de son homologue genevoise, et d’autre part l’expérience au sol de l’Université de Genève secondée par sa consœur de la capitale helvétique. Deux compétences scientifiques et techniques qui ont également permis de créer le pôle de recherche national (PRN) PlanetS.
Recherche en astrophysique bernoise: parmi l’élite mondiale depuis le premier alunissage
Le 21 juillet 1969, Buzz Aldrin, deuxième homme à descendre du module lunaire, a été le premier à déployer la voile à vent solaire bernoise et à la planter dans le sol lunaire avant même le drapeau américain. Le Solarwind Composition Experiment (SWC), planifié, construit et évalué par le Prof. Dr. Johannes Geiss et son équipe à l’Institut de physique de l’Université de Berne, a été le premier moment fort de l’histoire de la recherche en astrophysique bernoise.
La recherche en astrophysique bernoise fait depuis lors partie de ce qui se fait de mieux au niveau mondial : l’Université de Berne participe régulièrement aux missions spatiales de grandes organisations spatiales comme l’ESA, la NASA ou la JAXA. Dans le cadre de la mission CHEOPS, l’Université de Berne partage la responsabilité avec l’ESA pour l’ensemble la mission. En outre, les scientifiques bernois font partie de l’élite mondiale dans le domaine des modélisations et des simulations relatives à la naissance et au développement des planètes.
Les travaux fructueux du Département de recherche en astrophysique et planétologie (RAP) de l’Institut de physique de l’Université de Berne ont été consolidés par la fondation d’un centre de compétence universitaire: le Center for Space and Habitability (CSH). Le Fonds national suisse a en outre accordé à l’Université de Berne le financement du pôle de recherche national (PRN) PlanetS, qu’elle dirige avec l’Université de Genève.