Une solution au plus grand flux de déchets: fabriquer du sable
Des scientifiques de l’UNIGE et de l’UQ proposent de réduire le flux de déchets miniers en produisant du sable durable issu de résidus de minerai.
Au cours des deux dernières décennies, la demande en sable a triplé, principalement en raison de l’urbanisation et de la croissance démographique. (c) UNIGE / UQ
Après l’eau, le sable est la ressource naturelle la plus exploitée de la planète. Son extraction des mers, rivières, plages et carrières a cependant un impact sur l’environnement et les communautés environnantes. Une nouvelle étude menée par des chercheurs/euses de l’Université de Genève (UNIGE) et du Sustainable Minerals Institute (SMI) de l’Université du Queensland a révélé qu’un changement radical dans le traitement des minéraux pourrait réduire considérablement les déchets miniers - le plus grand flux de déchets au monde - tout en créant une source durable de sable. Appelé «ore-sand», ou «sable de minerai», ce matériau a le potentiel de relever simultanément deux défis mondiaux en matière de durabilité. Ces résultats sont à lire dans le rapport «Ore-sand: A potential new solution to the mine tailings and global sand sustainability crises».
Béton, asphalte, verre, puces électroniques: les applications du sable sont nombreuses. Composé de petites particules minérales, ce matériau granulaire provient d’environnements dynamiques sensibles tels que les mers, les plages, les lacs et les rivières, ou d’environnements terrestres statiques tels que les anciens dépôts fluviaux et les carrières de roche. On estime que 50 milliards de tonnes de sable sont utilisées chaque année. Au cours des deux dernières décennies, la demande a triplé, principalement en raison de l’urbanisation et de la croissance démographique. La tendance devrait se poursuivre avec une utilisation de granulats dépassant les 50 milliards de tonnes par an d’ici 2030.
Outre les risques de pénurie locale, l’extraction d’un tel volume de sable a des conséquences environnementales et sociétales. Par exemple, elle entraîne l’érosion des berges des rivières, ce qui augmente considérablement le risque d’inondation. Dans certains pays, elle a également engendré la perte des moyens de subsistance de certaines communautés.
Deux défis, une solution
Des chercheurs/euses de l’Université de Genève (UNIGE) et du Sustainable Minerals Institute (SMI) de l’Université du Queensland (UQ), en Australie, ont étudié le potentiel d’une alternative viable au sable naturel. Ce matériau, présenté dans un récent rapport publié par les deux universités, a été baptisé «ore-sand» ou «sable de minerai».
Professeur titulaire au Département F.-A. Forel pour les sciences de l’environnement et les sciences aquatiques de la Faculté des sciences de l’UNIGE, Pascal Peduzzi explique: «Provenant des résidus miniers, l’ore-sand est l’alternative qui présente le plus grand potentiel en volume pour réduire la quantité de sable prélevée dans le milieu naturel. Ce projet donne un élan important vers une économie plus circulaire.»
Issus de l’exploitation des minerais, ces résidus miniers représentent actuellement le plus grand flux de déchets de la planète, soit environ 30 à 60 milliards de tonnes par an. Directeur de projet au sein du SMI, le professeur Daniel Franks estime que ce sable de minerai a donc le potentiel de relever simultanément deux défis mondiaux en matière de durabilité. «Séparer et réutiliser ces matériaux avant qu’ils ne soient ajoutés au flux de déchets permettrait non seulement de réduire considérablement le volume des déchets générés, mais aussi de créer une source de sable responsable.»
Des émissions de carbone réduites
Cette étude, d’une durée de 12 mois, a permis d’échantillonner et d’examiner de manière indépendante le sable produit par l’extraction du minerai de fer au sein d’une exploitation de Vale S.A., au Brésil, qui a connu des défaillances de digues de retenue. Après une analyse des propriétés chimiques et quelques opérations de raffinage, les chercheurs/euses ont pu démontrer qu’une partie du flux de matériaux qui se retrouvaient dans les résidus miniers pouvait être utilisée comme substitut du sable de construction et industriel, de la même manière que le béton recyclé et les scories d’acier. «Si ces résultats peuvent être reproduits avec d’autres types de minerais, il est alors possible de réduire considérablement la quantité de résidus miniers dans le monde.»
Une carte montrant les sites miniers (en rouge) et les zones où la demande d'agrégats est importante (en bleu). (c) UNIGE / UQ
«En cartographiant les sites miniers du monde entier et en modélisant la consommation mondiale de sable, nous avons découvert que près d’un tiers des sites miniers peuvent trouver au moins une demande d’ore-sand dans un rayon de 50 km. Cela pourrait contribuer à réduire d’au moins 10 % le volume de résidus générés sur chaque site. Simultanément, près de la moitié du marché mondial du sable, en volume, pourrait trouver une source locale de sable. Il pourrait potentiellement remplacer un milliard de tonnes de sable en Chine, par exemple», explique Daniel Franks.
En outre, l’analyse du cycle de vie de ce substitut, fondée sur le cas de Vale, montre que le remplacement du sable d’origine naturelle par ce nouveau matériau pourrait entraîner une réduction nette des émissions de carbone pendant la production du sable. La question des émissions de CO2, lors de son transport, est aussi une considération essentielle qui doit encore être étudiée.
Un avantage pour les sociétés minières
«Envisager la coproduction d’ore-sand est un avantage significatif pour les sociétés minières: cela réduit les grands résidus qui entravent les activités minières opérationnelles, tout en générant des revenus supplémentaires. Le sable de minerai est une première étape vers une «mine sans résidus», explique Pascal Peduzzi. Les pays en développement ont moins de possibilités d’utiliser des matériaux granulaires recyclés, étant donné que leurs infrastructures sont plus récentes. Cependant, nombre d’entre eux possèdent des exploitations minières qui peuvent générer du sable de minerai comme sous-produit.»
Les prochaines étapes consisteront à collaborer avec les acteurs du marché des granulats pour démontrer la facilité d’utilisation, les performances et le processus d’approvisionnement de ce matériau de substitution. Les résultats de l’étude ont été présentés lors de la 5e Assemblée des Nations Unies pour l’environnement.
Une nouvelle résolution de l’UNEA (UNEP/EA5/L18/REV.1) sur les «aspects environnementaux de la gestion des minéraux et des métaux» appelle à un renforcement des connaissances scientifiques, techniques et politiques concernant le sable, afin de soutenir les politiques et les actions mondiales en faveur d’une extraction et d’une utilisation du sable respectueuses de l’environnement.