UNIVERSITÉ DE GENÈVE

FACULTÉ DE MÉDECINE

Section de Médecine Clinique
Département de Psychiatrie
Division de Neuropsychiatrie

Les cellules de Betz du cortex moteur primaire

analyse stéréologique et fonctionnelle

Thèse
présentée à la Faculté de Médecine de l'Université de Genève
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine

par

Claire-Bénédicte RIVARA

(de Chêne-Bougeries / Suisse)

sous la direction du
Dr Constantin Bouras

Thèse n° Méd. 10333

Genève, 2003


      Dr C. Bouras, who directed and created the start idea for this study. He provided all the materials and technical assistance needed with great interest and was always trustful.

      All my gratitude goes to Dr P.R. Hof, who gave the final direction to this study and allowed to finish the stereological work in his laboratory. He gave the right impulsion when needed, stimulated the scientific reflection and made incontestable corrections to exploding ideas. His sushishaped encouragements will stay impressed in my taste neurons forever.

      Special thanks to Chet and Shannon Sherwood, for very helpful scientific discussion and endless technical and...logistic assistance.

      Dr E. Kövari provided valuable advice on stereology and Betz cell identification and helped to support this long-lasting work.

      M. Surini-Demiri and A.P. Leonard for expert technical assistance.

      Drs. P. Perl, and J.H. Morrison for helpful discussion.

      The Neuro Club group and Prof. J. Kiss who first aroused my interest in neurosciences.

      Finally, to all my friends and family, who helped and believed in this transatlantic study.


      Cette thèse fait l'objet d'une publication parue sous :

      Rivara CB, Sherwood CC, Bouras C and Hof PR. 2003. Stereologic charxcterization and spatial distribution patterns of betz cells in the human primary motor cortex. Anatomical Records 270:137-151.


      Les cellules de Betz sont des motoneurones géants situés dans la cinquième couche du cortex moteur primaire des primates. Une analyse stéréologique des cellules de Betz et des neurones pyramidaux adjacents a permis d'établir leur volume, leur nombre total et leur distribution spatiale tout en corrélant ces résultats à une cartographie fonctionnelle du cortex cérébral. Les données obtenues montrent que les cellules de Betz suivent un gradient médio-latéral le long du gyrus précentral, leur forme et leur densité variant selon leur localisation. Ces résultats suggèrent que les cellules de Betz possèdent une distribution subrégionale particulière qui pourrait correspondre à certains aspects de la parcellisation fonctionnelle de l'aire 4. Cette étude établit un lien entre l'histologie et l'imagerie fonctionnelle, le vieillissement du cerveau, les pathologies neurodégénératives telles que la sclérose latérale amyotrophique et à complexes dégénératifs de Guam et la spécialisation du cortex à travers l'évolution des espèces de primates.


      Le cerveau est à la mode. Depuis environ une décennie, l'étude des neurosciences est en constante progression, portée, soutenue, suivie par l'engouement du grand public qui a soudainement pris conscience de l'importance de cet organe impalpable et en apparence amorphe. On serait tenté d'affirmer que tout ce qui se rapporte à l'étude du cerveau n'a atteint que récemment le domaine public. Toutefois, force est de constater que cette mode qui voudrait que les progrès des neurosciences soient l'apanage de ces dernières décennies ne résiste pas à une étude plus attentive, car le cerveau est un organe qui a suscité bien des interrogations au fil des siècles, tant d'ordre métaphysique et philosophique qu'anatomique et fonctionnel. L'avènement du microscope optique, il y a bientôt quatre siècles, a permis de lever un coin du voile et d'orienter le débat à propos de la structure et de la fonction du cerveau dans d'autres directions.

      Pour mieux cerner l'héritage que les croyances et techniques anciennes ont laissé à la recherche moderne, et notamment à notre étude basée sur l'observation et la description microscopique de la morphologie neuronale, un bref survol de la genèse des neurosciences nous permettra de mettre en lumière les progrès qui ont déjà été accomplis et l'immense champ de ceux qui restent à accomplir.

      I. Croyances anciennes

      A l'apogée de la civilisation de l'ancienne Egypte, les médecins et magiciens n'accordaient pas de rôle particulier au cerveau ni dans le fonctionnement mécanique du corps humain ni dans l'acquisition de l'immortalité de l'âme du défunt. Lors de l'embaumement les viscères creux étaient soigneusement extraits de l'abdomen et conservés dans des vases canopes afin que le corps du défunt puisse se reconstituer dans son intégralité dans l'au-delà, tandis que le cerveau était enlevé de la boîte crânienne et éliminé sans aucun rite ni tentative de conservation. Nous savons toutefois que le papyrus Edwin Smith (~1550 av. J.-C.), véritable traité de pathologie, est le premier à faire état de malades présentant des symptômes neurologiques sans pour autant y voir un dysfonctionnement du cerveau (Halioua, 2002).

      Il faudra attendre les écoles grecques de médecine autour de l'an 450 avant J.-C. pour que la pensée magique qui prévalait jusqu'alors ne s'estompe devant l'idée que le cerveau constitue un substrat matériel à l'esprit humain. Avant l'ère hippocratique, le coeur était considéré comme le centre de toutes pensées et émotions, bien que la localisation de l'âme (à interpréter en tant que souffle vital) ne puisse y être établie avec certitude. Alcmaéon (~450 av. J.-C.) supposa, sur la base de ses dissections, que les deux nerfs optiques étaient «des chemins de clarté » dirigés vers le cerveau et que les yeux étaient deux organes pleins de lumière. Démocrite (~425 av. J.-C.) considérait que la psyché (l'âme, le souffle vital) était constituée d'atomes (c-à-d., de particules) et que ces atomes spécifiques de la psyché étaient concentrés dans le cerveau, bien qu'on pût les trouver dans tout le corps en quantité moindre. Par la suite, le cerveau humain fut considéré comme un organe sécrétant des fluides visqueux empoisonnant l'homéostasie corporelle.

      Autour de 350 av. J.-C. certains médecins de l'école hippocratique situent dans le cerveau l'origine de la vision, de l'audition, des émotions, du sommeil et de la pensée. Platon et Aristote (387 et 335 av. J.-C) soutinrent respectivement que le cerveau et le coeur étaient la source de la pensée. Après que Galien (130-199 av. J.-C.) eut marqué l'histoire de la médecine par ses leçons d'anatomie où il décrivit précisément les ventricules, source du (l'esprit), très peu de témoignages de la haute Antiquité et du bas Moyen-Âge nous sont parvenus, d'une part par un certain désintérêt du haut Moyen-Âge pour toute pensée antique et d'autre part à cause de la destruction des sources écrites des textes anciens. Par ailleurs, la paucité de traces écrites des écoles de médecine arabes et persanes nous empêche d'avoir une vision globale de la naissance de la pensée médicale, et en particulier neurologique, en Europe et au Moyen-Orient.

      Au XVème et XVIème siècle, le monde est fasciné par la construction de machines hydrauliques qui mettent en mouvement des mécanismes compliqués : c'est la naissance des automates. Léonard de Vinci, qui pratiqua des dissections complètes et détaillées du cerveau (fig. 1), et par la suite René Descartes, imaginèrent que le fluide qui remplissait les ventricules devait permettre le mouvement du corps à la manière des automates, tout en considérant que l'âme ne se situerait pas dans la boîte crânienne (Rosenzweig et coll., 1996). Les circonvolutions et le cortex cérébral étaient vus comme un coussin protecteur de matière amorphe pour les ventricules. Tant que les études anatomiques demeurèrent limitées à une tentative de corréler l'anatomie macroscopique à des principes philosophiques ou religieux, la fonction même des structures cérébrales fut mal appréciée. Au début du XVIIème siècle, les théories révolutionnaires de Galilée et Copernic donnèrent un nouveau souffle à l'observation scientifique grâce à l'avènement du microscope : la voie était ainsi ouverte pour se plonger dans l'infiniment petit.

      II. Genèse de la neurohistologie

      Déjà au Ier siècle avant J.-C., Pline l'Ancien et Sénèque avaient décrit l'utilisation de verres grossissants par des personnes âgées. Dès le XIIIème siècle, l'utilisation de lunettes de vue nous est rapportée ; cependant, il faudra encore attendre près de quatre siècles pour que la technique de taille et de polissage du verre soit suffisante afin de permettre l'observation et l'étude de ce qui est loin dans le ciel et de ce qui est infiniment petit, à savoir les composants de la matière.

      En 1590, les frères Janssen, lunetiers hollandais, découvrent que deux lentilles dans un tube permettent un grossissement de l'objet regardé : l'ancêtre du microscope composé était né. Après que Galilée se fut servi de cette découverte pour développer, seize ans plus tard, un télescope doté d'un mécanisme de mise au point des images, l'essor de la microscopie optique commença et se poursuivit à la fin du XVIIème siècle, permettant à Anthony Leeuwenhoek et Robert Hooke de décrire les premiers des cellules végétales et des bactéries. Dès lors, l'opportunité de pouvoir examiner des structures difficilement visibles à l'oeil nu aiguisa la curiosité de nombreux scientifiques qui s'étaient jusqu'alors limités à la description macroscopique du corps humain et plus particulièrement du cerveau. Pendant deux siècles, les descriptions de fibres nerveuses et de «glandules » (Malpighi, 1628-94) dans le cortex et la substance blanche se succédèrent dans un climat de théories contradictoires. En 1839, le concept même de «cellules » composant tous les tissus fut défini par Schwann et Schleiden permettant ainsi une approche plus structurée de l'analyse des tissus ; ainsi en 1867, Théodore Meynert décrivit les différentes composantes du cortex humain.

      L'étude microscopique des tissus fut grandement améliorée à la fin du XIXème siècle par Robert Nissl, Camillo Golgi et Santiago Ramòn y Cajal avec la mise au point de techniques de coloration permettant un plus grand contraste entre les structures observées. L'imprégnation au nitrate d'argent, ou coloration de Golgi, permit la première description détaillée du soma et des dendrites d'un neurone pyramidal. Encore aujourd'hui, la méthode de Golgi et la coloration de Nissl sont à la base de bien des études sur le cerveau, dont celle-ci. Les concepts énoncés par la suite par les pères de la neurohistologie moderne tels que von Bonin, C. et O. Vogt, Brodmann et von Economo servent aujourd'hui encore de référence dans nombre d'études de neuropathologie modernes bien que la comparaison de leurs résultats avec ceux obtenus actuellement mette en évidence les limites de leur technique (Bracegirdle, 1993).

      III. L'histologie, parent pauvre des neurosciences

      Les cellules de Betz sont des neurones pyramidaux situés dans le cortex moteur de l'homme et des autres primates, qui ont été décrites pour la première fois par Vladimir Betz en 1874 (Betz, 1874). Ces cellules géantes ont stimulé la curiosité et l'imagination des neuroanatomistes à cause de leur taille et de leur distribution particulière dans le cortex moteur (von Economo et Koskinas, 1925). Bevan Lewis fut le premier à découvrir leur fonction motrice en 1878 ; il décrivit aussi leur tendance à former des agrégats, mais sans pouvoir donner de signification fonctionnelle à ce phénomène (Lewis, 1878). Par la suite, l'étude morphologique et topographique des cellules de Betz fut oubliée au profit d'études neuropathologiques ou encore comparatives. Depuis un demi-siècle, rares sont les scientifiques publiant des études morphologiques descriptives microscopiques ; un fait étonnant si l'on considère que l'étude de maladies dégénératives des motoneurones telles que la sclérose latérale amyotrophique, qui impliquerait le cortex moteur primaire, repose sur des descriptions morphologiques et des dénombrements n'ayant pas été corrélés à de nouvelles mesures effectuées avec des techniques d'analyse différentes. De même, il est ardu de pouvoir comparer de manière précise les neurones entre les différentes espèces de primates si les données de base manquent. Pourtant, la description histologique détaillée des neurones et de cellules de Betz en particulier pourrait être le chaînon manquant entre la biologie moléculaire, l'anatomie macroscopique et les circuits de connexions interneuronales qui font que les êtres vivants intègrent et traduisent des informations chimiques et électriques en actes et en pensées bien individualisés.

      IV. L'apport de la stéréologie

      La stéréologie est une technique d'analyse histologique en trois dimensions dont l'essor a été permis par le développement récent de l'analyse informatique et de la microscopie optique. Le principe est de pouvoir analyser l'ensemble d'un tissu selon un échantillonnage systématique dans une zone prédéfinie et selon un fractionnement aléatoire dans ces limites, afin d'effectuer des mesures de taille, de volume et de distribution d'éléments figurés par extrapolation pour cette même région, mais sans la partialité de l'oeil humain. Ainsi, est-il possible de compter les neurones dans la zone choisie d'une coupe histologique, de les marquer et, une fois les mesures terminées, de pouvoir en estimer le nombre tout en étant sûr de ne jamais les avoir comptés deux fois ni d'être allé inconsciemment dans la région qui semblait la plus densément peuplée. La fiabilité de cette technique à été testée à maintes reprises (Schmitz et Hof, 2000) : par exemple, elle est maintenant employée pour des études comparatives entre tissu sain et malade pour l'étude des maladies neurodégénératives. La différence de l'approche stéréologique par rapport aux méthodes traditionnelles de comptage manuel est qu'une coupe histologique est analysée dans ses trois dimensions, sans répétitions.

      V. Le choix des cellules de Betz 

      Les cellules de Betz représentent une description purement histologique d'un type particulier de motoneurones. Leur fonction serait d'effectuer la contraction des muscles fléchisseurs des membres par des efférences directes dans la moelle épinière (Lewis, 1878). Cette caractérisation fonctionnelle nous a paru insuffisante dans la mesure où les cellules pyramidales adjacentes, que l'on peut trouver dans la cinquième couche du cortex moteur primaire, ont aussi des efférences médullaires directes sans pour autant former une population particulière se caractérisant par des détails morphologiques, tels que la taille ou la distribution topographique.

      Le but de cette étude est d'analyser la morphologie et la distribution des cellules de Betz le long du cortex moteur primaire et d'utiliser les résultats de l'imagerie fonctionnelle pour tenter d'effectuer une corrélation entre la localisation et la fonction de ces cellules. De plus nous voulions comparer le nombre de cellules de Betz qui avait été estimé précédemment notamment par Campbell, (1905) et Lassek (1940) avec celui obtenu en utilisant de nouvelles techniques telles que la stéréologie et la tessellation (Duyckaerts et Godefroy, 2000).

      Un des problèmes majeurs de cette étude à été la définition même d'une cellule de Betz. En effet, il n'existe pas de critères histologiques pour distinguer avec certitude une cellule de Betz d'un gros neurone pyramidal, ces deux populations se trouvant dans la même couche et ayant les mêmes caractéristiques morphologiques et immunohistochimiques (p.ex. la réaction avec l'anticorps SMI-32). Nous verrons par la suite qu'une autre définition des cellules de Betz par rapport à leur distribution volumétrique s'est imposée au cours de cette étude. Les données ainsi obtenues sur cette lamination spécialisée du cortex moteur primaire permettent d'effectuer une comparaison avec le vieillissement normal du cerveau, les maladies neurodégénératives telles que la sclérose latérale amyotrophique et l'évolution du cortex cérébral à travers les différentes espèces de primates.


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