Docteurs honoris causa
M. Guy Brousseau

Né en 1933, le Professeur Guy Brousseau est considéré l'un des pères fondateurs de la didactique des mathématiques francophone et grâce à sa Théorie des situations didactiques, il est désormais reconnu comme une référence majeure pour l'ensemble des didactiques des disciplines. Cette théorie est à l'origine d'une autre théorie fondamentale du champ: la théorie de la transposition didactique qui est l'œuvre d'un élève de Brousseau (Yves Chevallard). L'étude de l'enseignement des nombres décimaux est le meilleur exemple de la puissance de la Théorie des situations, puisque Brousseau intègre l'étude épistémologique et didactique en prenant appui sur une très vaste démarche empirique (65 leçons répétées dans deux classes pendant 10 ans). Ses travaux personnels portent, par ailleurs, sur l'enseignement des probabilités et des statistiques, sur celui de la géométrie et de l'algèbre élémentaires, enfin sur celui de la logique et du raisonnement. Ces divers contenus sont convoqués dans une théorisation des phénomènes d'enseignement des mathématiques afin de permettre l'analyse, la production et le contrôle des moyens de faire approprier les mathématiques par les élèves. La question: "que doit-on et que peut-on enseigner à "tous" et à quelles conditions?" revient avec insistance dans les travaux de ce chercheur passionné. En cherchant à répondre inlassablement à cette question, la théorisation de Guy Brousseau tend à unifier et à intégrer les apports d'autres disciplines et elle donne une meilleure compréhension des possibilités d'amélioration et de régulation de l'enseignement des mathématiques et de la formation des enseignants.

Dès les années 60, Guy Brousseau propose des éléments théoriques et méthodologiques pour une future science de la diffusion des connaissances mathématiques. Il hésite à cette occasion entre "Epistémologie expérimentale" et "Didactique" pour désigner ce champ visant à comprendre, soutenir et améliorer la diffusion de connaissances mathématiques. Pour faire avancer son projet scientifique il crée et dirige diverses institutions originales qui s'avèrent décisives pour l'essor de la didactique comme discipline académique: le Centre d'observation et de recherches sur l'enseignement des mathématiques (COREM), qui comprend une école primaire et une école maternelle à Talence près de Bordeaux (de 1972 à 1997), et qui archive des matériaux de la plus grande importance pour la recherche; le Laboratoire de didactique des sciences et des techniques (LADIST) à l'Université Bordeaux 1 (de 1986 à 1998). Il est également parmi les fondateurs à la fois d'un Séminaire national (à Paris), d'une Ecole d'été de didactique des mathématiques et de la revue Recherches en didactique des mathématiques. Le rayonnement de son œuvre est attesté désormais dans de nombreux pays d'Europe, d'Amérique Latine et d'Amérique du Nord, mais aussi d'Afrique du Nord et d'Asie du Sud-Est.

Les missions de recherche et de formation auprès d'enseignants (de la maternelle à l'université, avec une attention particulière pour les maîtres de l'école obligatoire) et de chercheurs, sont marquées par l'investissement de ce savant passionné à la fois par les questions épistémologiques et les expérimentations dans les classes.

Au fil de sa carrière, Guy Brousseau trouve auprès de mathématiciens et de psychologues des interlocuteurs décisifs pour l'élaboration de son œuvre et l'émergence de la didactique comme domaine de recherche scientifique (Gréco, Lichnérowicz, Malgrange, Papy, Wermus). Fort de sa double formation en mathématiques et en sciences de l'éducation, il est amené à introduire une approche nouvelle de l'enseignement des mathématiques en mettant en évidence le rôle fondamental des situations dans l'apprentissage mathématique. Sa Théorie des situations didactiques en mathématiques s'appuie sur les différences de conditions qui discriminent les actions et leurs répertoires implicites, les formulations et leurs répertoires sémiologiques et les preuves et leurs répertoires scientifiques ou culturels. Cette typologie de situations peut aussi bien permettre la modélisation et l'analyse d'activités observées que la création d'activités originales. Elle est pensée en correspondance à une typologie des statuts de la connaissance identifiables en épistémologie des mathématiques et permet une classification en niveaux de connaissance. Cette théorisation permet de mettre en évidence des sauts de complexité dans l'apprentissage (reprise de la notion bachelardienne d'obstacle épistémologique), tout en étudiant finement les interactions entre professeur et élèves: les concepts de dévolution des problèmes, d'institutionnalisation des savoirs, de mémoire des systèmes didactiques, d'épistémologie des professeurs sont parties intégrantes de la théorie. La méthodologie est celle des modélisations systémiques dont la confrontation à la contingence combine les méthodes expérimentales et cliniques. L'œuvre scientifique de Guy Brousseau contribue ainsi à éclairer l'articulation entre conditions macrodidactiques et processus microdidactiques en mettant en évidence à quel point des conditions macrodidactiques peuvent bloquer l'amélioration de l'enseignement alors que des solutions microdidactiques sont mises en évidence par des études sur des individus ou petites institutions apprennent ou utilisent des concepts mathématiques.

Depuis une trentaine d'années, le Professeur Guy Brousseau entretient des relations étroites avec divers professeurs de la FPSE et, en particulier, avec des chercheurs en sciences de l'éducation travaillant sur les phénomènes d'enseignement et d'apprentissage à l'école. La collaboration entre la Faculté et cette autorité incontournable dans le domaine des didactiques des disciplines, s'est concrétisée sous forme de publications, d'organisation de symposiums et conférences ainsi qu'à travers des jurys de thèse et des Ecoles d'été de didactique des mathématiques.

En lui conférant le titre de docteur honoris causa, l'Université désire honorer un des pionniers de la didactique des mathématiques comme discipline académique; pour son rôle essentiel dans le développement de cette discipline; pour son infatigable combat visant à donner à chacun l'accès aux mathématiques; pour la conception d'une Théorie des situations didactiques en mathématiques dont la portée s'étend à l'ensemble des didactiques des disciplines; pour la richesse et la fertilité de ses recherches fondamentales et appliquées.

Par la collation du titre de docteur honoris causa, l'Université de Genève tient également à saluer la grande rigueur intellectuelle, ainsi que l'éthique professionnelle de ce chercheur et enseignant auquel l'Université de Montréal a déjà décerné le même titre.