Camille-l’Impatiente

 

Maicol Neves Leal

 

Holà, chers lecteurs et chères lectrices ! Je m'en vais vous conter l'histoire encore inconnue à vos jeunes oreilles de Camille-l'Impatiente. Jeune fille aux cheveux courts dont l'aventure vous enseignera sûrement quelque philosophie édifiante.

*

Un jour qu'elle était en voyage... Où ça, me direz-vous ? Ah, mes taquins, là n’est pas la question, ne soyez pas si pressés !  Camille-l'Impatiente dut traverser une rivière. Toutefois, un jeune homme et son attelage l'empêchaient d'emprunter le pont de bois. Le cheval en tête du convoi avait pris peur et refusait d'avancer. Le jeune homme désemparé implorait son compagnon de route sans grand succès. Il restait campé droit sur ses quatre fers, bloquant ainsi les voyageurs le suivant.

Voyant cela, notre jeune Camille-l'Impatiente ne put attendre d'avantage et remonta la file de voyageurs en direction de l'écuyer et de sa monture. Elle ordonna : « Donnez-moi la bride qu'on en finisse ». Elle ne cria pas, elle ne tira pas sur la bride de toutes ses forces, elle ne tendit au cheval ni la carotte ni le fouet. Elle lui murmura une phrase que personne ne réussit à entendre... et le cheval avança. Le cavalier abasourdi lui demanda :

— Comment pourrais-je vous remercier ?

— Je ne sais pas. Je n'ai besoin de rien.

Le jeune homme insista :

— Êtes-vous bien sûre ?

— Mmmm, je sais… j’aurais besoin d’une montre ! Je pourrai ainsi manger, boire et me reposer à heure exacte.

L'homme sortit alors une montre neuve de sa besace, la lui tendit et s'en alla, la remerciant par de grands gestes de plus en plus imperceptibles au fur et à mesure qu'il s'éloignait. Sur ce, Camille-l'Impatiente continua son périple.

Il ne fallut pas attendre bien longtemps avant qu'un nouvel incident ne vienne perturber sa route. La route principale du village, à flanc de montagne, avait été bloquée par la chute de plusieurs blocs de pierre. Des dizaines de voyageurs se trouvaient arrêtés et attendaient la venue des secours pour dégager la voie. Camille-l'Impatiente, elle, ne comptait pas attendre les bras croisés à rouspéter comme les autres. Elle réunit l'ensemble des voyageurs qui patientaient et leur tint un discours d'une force telle que tous se mirent à pousser les blocs de pierre, s'encourageant mutuellement et à l'unisson. Alors que la voie venait d'être dégagée et que chacun des voyageurs poussait un soupir de soulagement, Camille-l'Impatiente (qui s'apprêtait à partir) fut arrêtée par un groupe de pérégrins reconnaissants.

Ils lui demandèrent :

— Comment pourrions-nous vous remercier ?

— Je ne sais pas. Je n'ai besoin de rien.

Les voyageurs insistèrent :

— Êtes-vous bien sûre ?

— Mmmm, je sais… j’aurais besoin d’un cheval ! Je pourrai ainsi parcourir de plus longues distances sans user mes gambettes.

Tous furent heureux de donner un peu de leurs pièces afin d'acheter une monture à la jeune Camille-l'Impatiente. Après que les voyageurs eurent négocié une monture, ils la nommèrent Servio, dans l'espoir que l'équidé serve longtemps sa nouvelle amie.

Camille-l'Impatiente repartit sur son nouveau compagnon de voyage. Ses projets commençaient à changer : pourquoi se contenter de faire le tour du pays à pied quand on peut faire le tour du continent à cheval ? Elle regardait sa montre et connaissait ainsi précisément le temps qu'il lui fallait pour parcourir 10 lieues ; elle en déduisit qu'elle allait entre cinq et huit fois plus vite qu'à pieds, en fonction du poids des objets qu'elle rangeait dans les besaces attachées à la croupe de Servio. À chaque bonne action effectuée en chemin, la même rengaine :

— Comment pourrions-nous vous remercier ?

— Je ne sais pas. Je n'ai besoin de rien.

Puis, comme toujours ils insistent (car la proposition est sincère), toujours Camille-l'Impatiente trouve un ustensile dont elle pourrait avoir besoin.

*

Camille-l'Impatiente était à présent sur le chemin d'un charmant petit village du doux nom d'Inventio ; elle profitait des rayons de soleil qui jetaient un voile ocre sur sa peau. Quand soudain, rouvrant les yeux après une vague rêverie, elle se retrouva nez à nez avec un drôle d'être... un esprit, semblait-il, à l'allure mortifère, qui lui dardait un regard étrangement calme. Servio prit peur. Il se redressa et, cambré sur ses pattes arrière, jeta à terre Camille-l'Impatiente. Mais lorsque Camille-l'Impatiente reprit conscience, elle ne vit ni le diable qui l'avait détournée de sa route, ni Servio qui était parti au galop après avoir pris peur. Elle voulut vérifier l'heure à son poignet, mais sa montre était cassée. Elle tenta alors de se relever et de marcher, mais une douleur vive au dos et à la cheville gauche l’empêchait de se déplacer, chaque mouvement se faisant plus pénible et plus douloureux que le précédent.

Elle trouva finalement refuge chez Malter, une femme aux traits travaillés par les années dont on avait l'impression particulière de découvrir l'âme avant le corps. Malter sourit lorsque la jeune femme raconta la rencontre funeste qui lui fit perdre les objets qu'elle avait si durement gagnés. Camille-l'impatiente lui tendit même sa montre cassée, avec une profonde tristesse.

Malter lui demanda alors avec un sourire un peu narquois :

— Tu finiras par remercier cet intriguant diable qui n’a rien d'un vilain, crois-moi ! N'avais-tu pas vu le mauvais tour que tu te jouais à toi-même ? Qu'avais-tu besoin de t'asservir avec tant d'objets, aussi inutiles pour toi que lourds pour ta monture ? Servio aurait fini par ne plus pouvoir supporter autant de poids sur sa croupe. Toi-même, tu aurais fini par vendre quelques breloques pour posséder une autre monture qui puisse supporter d'autres possessions. De fil en aiguille il t'aurait fallu gérer la sécurité de ton convoi en payant des gardes, tu aurais dû faire escale dans les hôtels de chaque capitale pour nourrir hommes et bêtes, sans oublier de faire tes comptes et de vérifier l’arrimage de chacune de tes possessions. Tu aurais ainsi découvert que tu n'étais jamais satisfaite de tes achats, car les prix à l'achat sont toujours trop élevés et cela t'aurait rendue irrémédiablement mélancolique au moment de la vente et insatisfaite en raison des prix à la vente que tu aurais jugé trop bas. Pour faciliter la gestion de tes biens, tu aurais fini par t'établir dans une contrée reculée, derrière de hautes murailles qui n'auraient laissé apparaître que le ciel gris qui aurait alors envahi ton esprit. Ainsi, tu n'aurais découvert le monde qu'à travers le commerce que tu y fais avec d'autres isolés, tout aussi prisonniers que toi de leur négoce et de leur ciel gris. Est-ce donc pour cela que tu pris la route ?

— Non, évidement, répondit Camille-l'Impatiente qui commençait à comprendre. Mais que faire ?

— Pour l'instant, tu attendras au moins deux mois pour que ton corps se repose et guérisse. Puis tu repartiras découvrir le monde, avec tes jambes et ta volonté. Car la seule possession qui ait une utilité est une volonté bien dirigée. Souviens-toi du cheval qui ne voulait plus avancer, des voyageurs qui libérèrent la voie. Tout cela, c'est le fruit de ta volonté.

 

Variations sur un conte de fées

En collaboration avec l’association Mondes Imaginaires, active dans le domaine de la médiation culturelle, cet exercice proposait une plongée dans les contes de fées du monde entier, pour des réécritures entièrement inédites.

Noah Grisoni

Camille-l'Impatiente
Maicol Neves Leal