Poésie marchombre

 

Cécile Fischer

 

Une lumière à l’intérieur

De soi

Renouveau

 

Calle 12, 879

Il est 22 heures, le repas est prêt. Tour à tour, les huit membres de la famille Sandoval prennent place autour de la grande table de la salle à manger. À la même place qu’hier, à la même place que demain. Les plats fumants absorbent leurs regards, mais personne ne touche aux empanadas, au poulet ou aux pommes-de-terre. Il faut d’abord prier. Les mains se joignent, les yeux se ferment, et le son de la voix du père, presque mélodieux, s’élève au-dessus du silence respectueux. Ce sont les mêmes mots qu’hier, et les mêmes mots que demain. La prière se termine, la mère se lève pour servir le repas, la lumière s’éteint. La maison est plongée dans un noir complet.

« Ils ont encore coupé l’électricité ? »

Silence.

« On n’a plus de bougies. »

« C’est pas grave, on mangera dans le noir. »

 

Liberté : On associe souvent la notion de liberté au fait de vivre sans attache. Je ne suis pas d’accord. Vivre sans aucune attache est impossible, et je ne considère pas la liberté comme un idéal inatteignable. Cette définition ne me satisfait donc pas. Dans ma conception de la vie, la liberté est d’être en accord avec soi-même, avec les autres, ou d’être en accord avec le fait d’être parfois en désaccord avec le monde. La liberté peut se trouver au sein des liens les plus forts, des plus grosses responsabilités, tout autant que seul.e en haut d’une montagne, à respirer le peu d’air pur qu’il nous reste. Attention, je ne dis pas que cela doit être soit l’un, soit l’autre – simplement qu’il ne faut pas courir après quelque chose de prédéfini qui ne nous correspond pas. Pour être plus précise, je ne pense pas qu’il existe une seule vraie définition. Chacun.e a, ou devrait avoir, sa propre définition de la liberté.

 

Le Chat

Se prélasser au soleil, sachant qu’au premier coup de vent, j’irai me prélasser sur un canapé, bien au chaud. Je n’ai jamais froid, je n’ai jamais faim. Seul ou accompagné, meurtrier ou joueur, ma journée a toujours le goût du bonheur à son état premier.

 

Mort

Peur ou soulagement, toujours tristesse. Immensément injuste, malgré tout inévitable, rien ne nous fait nous sentir plus cruellement vivant que la mort des autres.

 

Vie

Lutte ou croisière, parfois les deux. Souvent injuste, malgré nous égocentrique, rien ne nous fait nous sentir plus cruellement mort que la vie des autres.

 

Les Mûriers

C’est les grandes vacances d’été, je viens de fêter mes neuf ans. Comme chaque année, je suis avec mes parents, mes frères et ma tante dans notre maison de vacances. Dans mon petit paradis perdu au milieu du Languedoc-Roussillon. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens fière de connaître le nom de la région. Avec mes frères, on joue dans la piscine. Mes parents et ma tante discutent un peu plus loin, à l’ombre des deux mûriers. Mes frères m’embêtent un peu trop, alors je rejoins les adultes. Ma tante porte un foulard qui tient son bras contre son corps. Elle dit qu’elle a mal au dos. Elle dit que mettre son bras comme ça lui fait du bien. Elle allume une cigarette, et j’ai l’impression que c’est la centième de la journée. Et comme pour les nonante-neuf d’avant, je lui dis que fumer c’est mal. Fumer c’est égoïste parce que ça nous embête tous. Fumer ça donne le cancer. Et puis surtout, fumer ça tue. Comme à chaque fois, elle me répond que tous ces malheurs n’arrivent qu’aux autres.

C’est les grandes vacances d’été, je viens de fêter mes vingt-trois ans. Comme chaque année, je suis avec mes parents et mes frères dans notre maison de vacances. C’est toujours le paradis, mais on dit maintenant qu’il est perdu au milieu de l’Occitanie. Je ne sais pas pourquoi, mais je me fous d’où il se trouve. Avec mes frères, on ne joue plus trop dans la piscine. Et puis ils ont enlevé les mûriers. Il paraît qu’ils étaient malades. Il paraît qu’ils allaient tomber. Je m’assieds, mais je regrette leur ombre protectrice. Je me roule une cigarette et l’allume. Je souris. Tout ça est quand même bien absurde.

Vers l’autoportrait

En s’inspirant de divers textes (Georges Bataille, Michel Leiris, Roland Barthes, Gérard Genette, Gustave Flaubert, Seî Shonagon), cet exercice s’attelle à la présentation de soi au travers de la forme du dictionnaire, du lexique ou du glossaire.