L'irrésistible Carmen

 

Aïcha Mohammadou

 

Théophile Gautier naquit le 30 août 1811 à Tarbes. Trois ans plus tard, son père, Jean-Pierre Gautier, obtint un poste dans la ville de Paris. Par la suite, la famille Gautier élut domicile à la Place des Vosges. Enfant prodige, Théophile manifesta un vif intérêt pour la lecture, l’écriture et les arts dès l’âge de cinq ans. De son parcours scolaire, il ne reste que très peu de traces. Cependant, dans une correspondance entre sa mère Adélaïde Cocard et sa grand-mère, la première affirmait qu’il se montrait nostalgique et avait beaucoup de difficultés à se lier d’amitié avec ses pairs, ce qu’elle imputait à l’intelligence hors norme de l’enfant. Néanmoins, malgré cette aisance innée, Théophile ne suivait pas assidûment ses enseignements et ses résultats scolaires en pâtissaient. En effet, il était de nature rêveuse et préférait rédiger des récits fantastiques inspirés de l’Illiade plutôt que de pratiquer l’algèbre.

En 1829, Théophile Gautier rencontra Victor Hugo par l’intermédiaire duquel Pétrus Borel lui fut présenté. La rencontre de ces deux personnages illustres fut déterminante, car elle le décida à poursuivre une carrière d’écrivain. Ils partageaient un amour prononcé pour les femmes de petite condition et une excentricité qui leur valut de nombreuses critiques. Lorsque Pétrus s’unit finalement à une danseuse de cabaret, Théophile assista au mariage en tant que témoin et y amena son amie Berthe Courmeil en tant qu’invitée. Cette liaison dura une année durant laquelle les deux amants occupèrent une vieille chambre de bonne par manque de moyens. En raison de son choix de carrière et de sa relation avec Berthe qu’ils n’estimaient pas, Jean-Pierre Gautier et Adélaïde avaient décidé de lui couper les vivres dans le but de le faire revenir à la raison. Il est probable que circonstances eurent raison de leur couple puisqu’on dit qu’il rentra un soir de beuverie et découvrit avec horreur une note d’adieu sur le lit défait. Berthe était retournée chez ses parents dans les Landes et l’encourageait à rejoindre les siens.

Au lieu de cela, il se mit à l’ouvrage avec assiduité, produisit une dizaine d’articles pour divers journaux locaux de manière à gagner sa pitance et publia plusieurs recueils de poèmes. Les thèmes récurrents étaient l’amour, l’enfer et la mort, ce qui était probablement dû à son amour avorté. Durant cette période, il tint également un journal de bord dans lequel il décrivait ses journées et états d’âme. Dans celui-ci apparut pour la première fois le prénom de Carmen. D’après ses écrits, Carmen était une jeune gitane à la « laideur piquante ». Berthe fut vite oubliée et Carmen l’absorba tout entier. Alors qu’il avait vécu reclus après le départ soudain de son amie, il parcourait dès lors quotidiennement les ruelles de Paris comme s’ils s’étaient donné rendez-vous et ce, sans jamais croiser sa route. Bientôt, ce comportement provoqua l’inquiétude de ses amis les plus proches qui tentèrent tour à tour de lui présenter d’autres femmes. Agacé, il s’enferma dans son mutisme et ses quartiers.

Les échanges entre lui et son entourage se firent de plus en plus rares pendant une vingtaine d’années. Au cours de ces années, il reçut plusieurs lettres de ses parents auxquelles il ne répondit pas. Ces derniers avaient réintégré les Hautes-Pyrénées et s’inquiétaient de ne pas recevoir de ses nouvelles. Dans un effort de réconciliation, une pension lui fut à nouveau allouée. En échange, son père le priait de leur rendre visite, car Adelaïde était terriblement souffrante et rongée d’inquiétude.  Selon les registres, Adelaïde Gautier s’éteignit le 28 mars 1855, dix jours après cette missive. Jean-Pierre succomba trois semaines plus tard. Quant à Théophile, le propriétaire de l’immeuble dans lequel il logeait vint lui réclamer un mois de loyer impayé. Sans réponse de la part de son locataire, il ouvrit la porte à l’aide d’un double de clé et découvrit son corps sans vie avachi sur un lit de brouillons. Parmi les brouillons figurait un poème intitulé Carmen.

Vies brèves

Comment inventer une Vie imaginaire, en s’inspirant du plaidoyer de Marcel Schwob en faveur d’un art de la biographie ? Personnages réels, illustres ou minuscules : ces vies forgent, chacune à leur manière, un destin singulier.