Maxime Isaac, le petit viking à l’oreille de la raison

 

Laura Stresemann

 

La légende raconte que, le jour de sa naissance, les colombes ont chanté, que le ciel s’est découvert, puis voilé, que la pluie a coulé sur les terres desséchées et que des arbres ont jailli du sol. Les cymbales des anges se sont embrassées et, sur leurs harpes, leurs doigts se sont mis à courir. On dit aussi que Dieu ôta son tympan gauche au nouveau-né pour que seule l’oreille de la raison subsiste. C’est pourquoi le prénom qui veut dire « le plus grand » lui fut donné.

En réalité, la naissance de Maxime n’avait rien eu de spectaculaire ce 29 septembre 1997. Elle n’avait rien eu de magique, mais elle fut spéciale, parce que d’elle, en un temps réduit, allait éclore un bonheur immense et une tristesse incommensurable. Il allait ouvrir la marche, arriver le premier à destination. Naviguer devant nous tous, voiles bombées, propulsé par un vent qui ne connait pas d’égal. Un destin de sage.

De son enfance, on sait qu’il était curieux, petit viking aux jambes potelées, le regard perdu dans le vide. On dispose de quelques éléments : bêtises, cauchemars, gourmandises, canulars, premières chutes à ski, bricolages, dessins poétiques, joues qui rougissent, pupitres qui claquent, doudou perdu, punitions, pyjama et nez enfoui dans le cou des parents. 

A mesure qu’il grandissait, son esprit, les routes, les montagnes, son cœur, les trains, les rencontres lui étaient pleins de promesses. Ses cheveux blonds devenaient châtains, sa carrure hésitante était désormais sûre. Certains racontent qu’il évoluait si vite que de partout on venait pour que sa seule oreille nous aide. C’est que son écoute avait quelque chose de particulier. Si on le connaissait, on ne pouvait pas l’oublier.

En racontant une vie fulgurante on raconte une mort. Celle de Max se passa en sous-marin et fit place à la légende. Le chant des sirènes avait attiré son oreille, disait-on. C’est dans les profondeurs d’un lac que son existence trouva son repos, qu’il partit découvrir ce qui se cache derrière ce qu’on nomme « fin ». Mystère magique, petit viking armé de courage. Que peut-on raconter d’une vie qui s’arrête, alors qu’elle semble commencer ? Les biographes les plus illustres s’y essayent. Faut-il inventer ? Que le silence blanc de cette vie arrêtée cède sa place à la légende pigmentée et son imaginaire fécond. Que l’épitaphe gravé dans l’immuabilité froide fonde et se répande dans la terre comme une coulée de lave faisant jaillir des arbres gueulant leur luxuriance. Que la fatalité se taise pour écouter les chants célestes des pierres tombales changées en lait nourricier. La légende émanant de ce sol fertile dessine une arborescence infinie, un cénotaphe lumineux fait d’un cristal qui aveugle le néant.

Le matin suivant sa mort, des photographies de Maxime, des affiches représentant un petit garçon au chapeau de viking, témoins d’une vie courte, avaient étaient placardées dans la ville par ses amis. Derrière cette image fixe, je me fais défiler le film de ses vies infinies.

 

Mon ami Maxime Isaac s’est noyé le 30 juillet 2021.

Vies brèves

Comment inventer une Vie imaginaire, en s’inspirant du plaidoyer de Marcel Schwob en faveur d’un art de la biographie ? Personnages réels, illustres ou minuscules : ces vies forgent, chacune à leur manière, un destin singulier.