Insomnie

 

Margaux Gloor

 

Des flots de rêve se déversaient sur moi, j’étais couché dans mon lit, las et sans espoir de trouver le sommeil. Mon lit était un radeau isolé dans un océan interminable. Le calme de l’eau me berçait. Les « flots » de rêve, à dire vrai, ressemblaient plutôt à une brume onirique qui m’humidifiait le visage et collait quelques mèches contre mon front. En réalité, je ne pouvais pas assurer que j’étais las. Et pour ne rien cacher, j’avais encore une once d’espoir. Une voix s’éleva doucement, résonnant en mon for intérieur : « Et si tu commençais par être honnête avec toi-même ? Arrête de vouloir tout dissimuler ; raconte la vérité ». Je recommençai avec cette seule affirmation authentique : j’étais couché dans mon lit.

 

Des flots de rêve se déversaient sur moi, j’étais couché dans mon lit, las et sans espoir de pouvoir m’endormir bientôt. Ces flots – bien loin d’être de puissantes vagues dévastatrices et se rapprochant plutôt d’une légère pluie éphémère – se déversaient sur moi par petits plocs plocs et ne pouvaient que glisser sur ma peau imperméable, sans parvenir à m’emporter. J’étais couché dans mon pauvre petit lit, las et sans plus aucun espoir face à cette pluie onirique qui tapait éperdument contre mes tempes sans pouvoir s’emparer d’à peine une partie de ma conscience. Les flots de rêve éparpillés tardaient à pénétrer mon âme. Mes préoccupations avaient pris possession de mon esprit et la perspective de passer encore plusieurs heures à les supporter me paraissait profondément pesante. Mes pensées, qui se présentaient à moi de manière transparente, ne parvenaient pourtant pas à m’apaiser ; elles me pétrifiaient. Enfin, las et sans espoir, je pris une pastille pour permettre aux rêves d’ouvrir la porte de mon esprit.

 

Des flots de rêve se déversaient sur moi, j’étais couché dans mon lit, las et sans espoir de retrouver un crachin rafraichissant et apaisant qui m’aurait permis de rejoindre de doux songes. La pluie devenue progressivement lourde et chaude avait amené la tempête dans son sillage. J’étais couché dans mon lit, las, et j’avais observé – résigné –l’orage arriver. Maintenant, chaque éclair assombrissait un peu plus ma conscience. Le grondement du tonnerre était un bruit sourd que surpassait aisément le fracas des flots contre mon lit. J’étais désormais sans espoir de pouvoir mettre un ordre dans ces idées anarchiques qui luttaient à l’intérieur de moi. Chacune d’entre elles tentait de prendre le dessus avant d’être chassée par la suivante, telles des vagues qui s’enchaînaient continuellement. D’ailleurs, j’étais incapable de déterminer si les vagues étaient à l’intérieur ou à l’extérieur de moi. Tout ce que je parvenais à identifier était que ces flots me submergeaient, puis me repoussaient inlassablement. J’avais de plus en plus de mal à reprendre mon souffle. Sous les rafales cauchemardesques, je n’étais même plus couché ; j’étais balloté par des vagues acharnées qui cherchaient à noyer mon dernier soupir. Accroché par un bras à mon lit, je me laissais peu à peu convaincre par les flots. Je ne parvenais plus à récupérer suffisamment d’air. En avais-je besoin ? J’étais las. Las et sans espoir. Les flots de cauchemar se déversaient sur moi. Une dernière vague atteignit le fond de mes poumons.

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Photo : © Schäferle

Suites et variations

À la manière de Pierre Senges, il s’agit de poursuivre un incipit donné de Kafka. Comment construire un texte nouveau à partir d’un point de départ imposé ?

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