Au-dehors et au-delà

 

Elise Gressot

 

Comment s’en sortir sans sortir ?

En guise de murs, des arbres, d’abord épars, puis une jungle dense et farouche. En guise de sol, une terre poussiéreuse lorsque le soleil brûle, qui se mue régulièrement en boue durant la saison des pluies. En guise de toit, la cime de manguiers vertigineux, et les brisures de cieux qu’elle laisse apparaître, avec leurs astres évanescents. Barrières de l’esprit, qui, trop souvent, s’en mêle.

 

Comment s’en sortir sans sortir ?

L’accès se fait nécessairement par le fleuve : au saut d’une embarcation allongée, en bois peint de couleurs vives, le rivage sert de perron. Des escaliers terreux nous éloignent de la berge, et nous font gagner en hauteur. On entre par un couloir qui relie le belvédère à la salle d’eau et la salle à manger au garde-manger, que le temps cyclique émaille de mangues encore vertes, mûres à point ou déjà gâtées.

Sur la gauche, une toiture en tôle revêt l’espace qui, tel un belvédère, sert principalement de chambre et de cuisine, mais la chambre se déplace parfois dans le salon, et la cuisine dans la salle à manger. Plus loin, la salle d’eau, délimitée par des cloisons de bambou et de fougères, signale la frontière imminente de notre surface vitale avec celle de la forêt souveraine. Même ici, se font jour les affres de la finitude de l’être, de l’espace et du temps ; le besoin essentiel de déborder ce cadre, et de s’en affranchir.

 

Comment s’en sortir sans sortir ?

Sur la droite, la salle à manger se révèle par une longue table en bois massif, et se prolonge sur la véranda, dotée d’un tapis d’herbe ardemment entretenue, et ouverte sur les flots en contre-bas, la rive opposée et l’azur. Attenant, le salon s’y confond, et jouit de l’ombre d’un pamplemoussier, ainsi que de vastes hamacs qui abritent nos rêveries, nos lectures, nos causeries, et parfois même, nos nuits. À proximité des degrés creusés dans la terre, les abords du fleuve impétueux accueillent tantôt nos bains et nos baignades, tantôt notre blanchissage, et manifestent, eux aussi, le paradoxe des limites, entre possible et impossible.

Si l’on emprunte à nouveau le couloir, se profile le garde-manger à ciel ouvert, où poussent des végétaux bigarrés et biscornus. Un poulailler le surplombe, d’où les volatiles s’évadent librement. Au-delà encore, une seconde galerie de feuilles ombrageantes mène à une volée de marches qui file vers le fleuve, mais suspend sa course pour accéder à un cabinet secret, promontoire plane de bambou, niché entre les branches d’un arbre monumental. Et c’est ainsi, peut-être, que la liberté momentanément égarée pourra être retrouvée : en prenant de la hauteur, en s’aventurant hors des sentiers battus de la pensée, et en sautant dans le vide.

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Échappées belles

Trois paragraphes qui s’ouvrent sur une même question, empruntée à Ghérasim Luca.

Trois mots d’ordre : variation, progression, expansion.

Mille possibilités