Lumière égarée

 

Agathe Magand

 

Comment s’en sortir sans sortir ? Mes yeux se voilent, recherchent la lumière. Ils se perdent sur un horizon qui n’existe plus. Il faudrait tenter quelque chose de nouveau, essayer. J’effectue une pression sur ma paupière droite, comme pour raviver une braise. Depuis le coin de ma cornée, un cortège de pensées s’élèvent. Je les observe. S’évanouir. Jusqu’à la dernière. Sans prévenir, des pas se font entendre depuis le seuil de la porte. Je crois reconnaître la cadence du retour, le chant des impasses. Le vacarme sourd au creux du bois soulève en moi une vague de dégoût. Ce qui se cache au fond, ce que je ne veux pas voir, revient, inlassablement. Il m’est devenu insupportable de regarder les jours me devancer, à travers la fenêtre.

 

Comment s’en sortir sans sortir ? J’entends une rumeur remonter des profondeurs. Des cliquetis nauséabonds. Ma voix se mélange au désordre ambiant. Je me trouve au milieu de cette place, à bord de l’invisible courant. Je suis au milieu d’un lac vide. Il faudrait activer une manivelle ou quelque chose comme cela. Appuyer sur l’interrupteur — ou imiter le bruit du soleil. Mais je n’y arrive pas. La rumeur remonte, de plus belle. Chaude, lourde, visqueuse. Elle atteint mes tempes. Je suis tiraillée entre l’envie de cesser de respirer et le désir de me laisser porter. Mes yeux sont clos, à poings fermés. Ils ne craignent rien, eux. Ils sont partis, se sont hissés à bord d’une barque, tôt le matin. En me réveillant, j’avais pu l’apercevoir un instant, mais cette vision s’est dissipée, emportant avec elle un vent de sentiers, sur l’eau qui palpite. Au milieu de ce cadre sans borne, je me raccroche aux paysages qui subsistent encore, derrière mes yeux, au-delà du temps.

 

Comment s’en sortir sans sortir ? Le chaos est total. Une cloche sonne, quelque part. Mais dans quelle ville, sur quel rivage? Mes yeux sont cousus par le manque de lumière. Ils ne peuvent plus traverser la vitre, regarder au-delà. Entretemps, j’ai apprivoisé cette faille, me concentrant sur ce qu’il restait. Sur les morceaux de terres qui, autrefois, hébergeaient l’eau du lac. Mes oreilles aussi se sont coupées du va-et-vient des flots, inexistant. Je n’entends plus les pas de la peur, ni la rumeur du néant. Il faudrait tenter quelque chose de nouveau, essayer. Il faudrait activer une manivelle ou quelque chose comme cela. Appuyer sur l’interrupteur. Il faudrait que nous trouvions assez de courage pour allumer notre lumière intérieure. Lentement, je prends conscience de la douleur. Mes muscles se relâchent. Quelques larmes salées coulent sur ma peau. J’attrape un soleil — un stylo. L’encre prend la forme de mes pensées. Elles aperçoivent la sortie. Une entrée, sur laquelle sont inscrits les mots : « Attention, risque de noyade ». Cela ne m’affecte pas, je continue. Lorsqu’on ne peut pas sortir, les intempéries n’en sont pas moins nombreuses. Après avoir survécu à la perte des sens et à la conscience des peines, j’ai enfin trouvé la lumière. Je me suis hissée sur une bouée de sauvetage, j’ai commencé par écrire pour ne pas sombrer. J’ai commencé à croire que « maintenant » existe encore. Alors, pour que nous nous en sortions, j’ai rédigé un petit poème que j’ai placé dans une bouteille et, à travers la fenêtre d’espoir, je l’ai jeté dans le lac.

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Échappées belles

Trois paragraphes qui s’ouvrent sur une même question, empruntée à Ghérasim Luca.

Trois mots d’ordre : variation, progression, expansion.

Mille possibilités