Ratiocinations

 

Frédéric Lathion

 

« Comment s’en sortir sans sortir ? » Honnêtement, je n’en ai pas la moindre idée... Pas la moindre idée, c’est un peu peu, tout de même, j’en conviens. Et pourtant, cela n’enlève rien à la valeur de vérité de mon affirmation. De fait, je n’ai rien à dire à ce propos, pas plus que je n’en ai envie. « La raison ? », me direz-vous ? La question me semble mal formulée, voilà tout. « Comment s’en sortir ? »… c’est bien beau, mais m’a-t-on déjà demandé si je souhaitais en sortir ? Non. Il s’agit donc de mettre un peu d’ordre dans tout cela. En lieu de réponse, j’avancerai plutôt cette interrogation : « Pourquoi s’en sortir ? ». Et si l’on s’en sort sans trop de dégâts, nous verrons éventuellement comment – sans sortir.

 

« Comment s’en sortir sans sortir ? » Non, non et non ! « Pourquoi s’en sortir ? », vous dis-je. Si l’on cherche à « s’en sortir », c’est sans doute d’un problème qu’il est question. On règlera d’abord ceux du quotidien, dont dépendent à la fois notre personne et celle des autres, car impossible de les traîner derrière soi, cela coule de source. Difficile, en effet, de mettre au placard un pied cassé, une facture impayée, ou d’ignorer les conversations nocturnes d’un voisin pyromane avec ses allumettes, aussi intéressantes soient-elles. Laissons de côté ce type (de soucis, et de voisin). Venons-en alors aux problèmes dont il faudrait se sortir bien que nul ne le requière. À cet égard, chacun sera libre de faire ses petites emplettes dans son marché personnel de tourments, que l’on choisisse pour ce faire le rayon des souvenirs torturés, l’aile des considérations sinueuses (dont les batteries dernier-cri fonctionnent même la nuit), ou l’exposition universelle des mille et une humiliations. À noter que la galerie des glaces – à laquelle les plus fervents défenseurs ont pris soin d’adjoindre une extension sobrement baptisée « L’enfer, c’est les autres » fermera exceptionnellement ses portes en vue d’une énième tentative de rénovation.

 

« Comment s’en sortir sans sortir ? » En me laissant terminer, sans m’interrompre de la sorte, merci bien. Tout ceci est suffisamment compliqué ainsi, pour vous comme pour moi. Reprenons. J’ai mes démons ; vous, les vôtres, et nous faisons de notre mieux pour les tenir en respect. Bien. Maintenant, la question se pose : pourquoi voudrais-je m’en sortir ? Certes, un démon se domestique mal, nos intérieurs en sont témoins. C’est aussi parce qu’à défaut d’attention, on les nourrit de révulsion ; et dès lors que la compréhension n’est plus de mise, la négation prend le relais. « Pourquoi ne pas s’en sortir ? » Voilà qui ferait une belle question – bien plus subtile que vos bégaiements... Car, parfois, s’en sortir, c’est s’écarter du mal, mais sans en sortir. Cela étant dit, je peux maintenant rebondir, revenir à votre question et en proposer une alternative plus adaptée. Étudions donc à présent la formulation suivante : « Comment ne pas s’en sortir en sortant ? » Ce programme peut aisément être accompli en quelques étapes. Veillez tout d’abord à ne rien changer à vos habitudes sociales, celles qui vous corsettent sournoisement depuis toujours. Fouillez dans votre esprit et attelez-vous, dans cette grande casse, à un minutieux exercice de recyclage. Récupérez quelques morceaux de remembrances éparses, ajoutez-y les rouages d’une vie rêvée, et soudez vaguement le tout avec un peu d’imagination. Il ne reste alors qu’à revêtir cet épatant masque de carnaval, à prendre l’air, et à fréquenter le monde.

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Échappées belles

Trois paragraphes qui s’ouvrent sur une même question, empruntée à Ghérasim Luca.

Trois mots d’ordre : variation, progression, expansion.

Mille possibilités