Réformythe

Olivier MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation

1er février 2002

Texte paru dans l'Educateur (n°2), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).


Faut-il ou non changer l’école ? Faut-il préférer l’innovation ou la tradition, l’invention ou la conservation, la pédagogie de demain ou celle d’hier ? Qui est le mieux inspiré : le Moderne ou l’Ancien ? Qui tombe de plus haut : la dernière averse ou la neige d’antan ? Un peu de bon sens et la chanson de Georges Brassens apportent, on le sait, la réponse qui s’impose : le temps ne fait rien à cette affaire. Les traditions d’aujourd’hui sont les innovations d’hier, et ce que nous-mêmes inventons, d’autres après nous le conserveront, l’adapteront ou l’abandonneront. Ce qui serait idiot, c’est de nous priver a priori de l’une ou l’autre des solutions. La médecine moderne a dépassé la saignée, mais elle a gardé l’aspirine et perfectionné la radioscopie. C’est peut-être parce qu’elle trie le bon grain de l’ivraie, parce qu’elle combine ce qui est bon dans la tradition et ce qui bon dans l’innovation, qu’elle fait mieux que des changements : des progrès.

A lire nos journaux, l’école serait plutôt du côté des malades. Sclérosée les jours pairs, hyperactive les jours impairs. Tantôt prisonnière de ses habitudes, tantôt souffrant de réformite aiguë. Incapable de " vivre avec son temps ", ou alors affolée par le " jeunisme " et l’" utilitarisme " ambiants. Réformateurs d’un côté, conservateurs de l’autre : les camps semblent bien établis. Pourtant, le débat est confus. " Faut-il des cycles ou des degrés, des compétences ou des savoirs, des notes ou une évaluation formative ? " D’un canton ou d’une époque à l’autre, les front se renversent. Ce qu’un parti politique soutient à Genève, il le conteste à Lausanne. Ce que les militants pédagogiques demandaient hier, l’autorité le leur impose aujourd’hui. De quoi allonger la liste de nos nostalgies : comme il était simple le temps où les " progressistes " réclamaient le changement et où ils buttaient contre le " conservatisme " des puissants. Aujourd’hui, on sent bien, comme le dit Pierre Bourdieu, que certaines innovations sont réactionnaires, et que réagir à ces réactions est peut-être la seule façon de ne pas se tromper de camp. Mais on sent aussi que toutes les réactions ne se valent pas, et que la critique n’est crédible qu’à condition de ne pas entretenir la confusion. Où est la critique quand tout est critiqué ?

On peut prétendre que le changement est toujours un progrès. C’est une fable. On peut aussi prétendre que le progrès est toujours une fable. Mais c’est encore une fable. Le contraire d’une fable, ce n’est pas la vérité, c’est une autre fable. Ceux qui dénoncent la " réformite ", ne font que retourner la logique qu’ils prétendent dénoncer : si l’école est malade, si elle réforme pour réformer, par désoeuvrement ou par lubie, toutes les réformes vont dans le même panier, et il n’y a plus besoin de les trier. Or, penser, c’est trier. C’est faire la différence entre les vrais progrès, les arrangements cosmétiques et les vraies régressions. Ce n’est pas choisir, une fois pour toutes, la tradition contre l’innovation, ou l’innovation contre la tradition. C’est choisir la raison contre les mythes, la complexité contre les simplifications. Et si ce choix n’est pas complètement conforme à nos traditions, eh bien : innovons !