La féminisation de l’homme augmente l’homophobie
Des chercheurs de l’UNIGE ont démontré que pour compenser la féminisation de la société et de la condition masculine, certains hommes trouvent en l’homophobie le moyen de réaffirmer leur masculinité.
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Avant la révolution féministe de la fin des années 60, les hommes construisaient leur masculinité principalement par opposition aux caractéristiques attribuées aux femmes. Mais depuis que la société tend vers l’égalité des genres, les hommes ne peuvent plus se fonder sur cette norme anti-féminité. Quelles en sont les conséquences sur l’affirmation de la masculinité ? Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) ont démontré que pour compenser cette féminisation de la condition masculine, certains hommes affirment leur virilité en renforçant l’importance de leur hétérosexualité, marquant de ce fait un net rejet envers les homosexuels, considérés comme l’incarnation de l’homme féminin. Ces résultats, à lire dans la revue Sex Roles, rendent compte de la difficulté dans les sociétés occidentales à accorder aux homosexuels les mêmes droits qu’aux hétérosexuels, certains hommes s’appuyant sur cette homophobie pour trouver leur place dans une société toujours plus égalitaire.
Avant Mai 68, les normes sociales qui construisaient l’identité masculine étaient fondées principalement sur l’opposition homme-femme. Par exemple, une femme devait être sensible, à l’écoute et devait prioriser la famille au détriment de la vie professionnelle. Par contre, un homme devait être assuré, autonome, fort, mais surtout, il ne devait pas être féminin. Construite sur cette opposition, la masculinité était un concept plus fragile que celui de la féminité, un homme devant prouver sa virilité à la société par des actes réguliers montrant qu’il n’était pas une femme.
La perte de repères de la construction masculine
Mais depuis la révolution féministe, la société occidentale tend toujours plus vers l’égalité des genres. Les femmes peuvent être carriéristes, indépendantes et fortes. Les hommes peuvent montrer leurs émotions et s’occuper de leur famille. La norme anti-féminité ne peut plus servir de socle à la construction masculine. On parle d’une crise de la masculinité. Quelles en sont alors les conséquences sur la manière d’être un homme ?
Pour répondre à cette question, l’équipe de Juan M. Falomir, professeur à la Section de psychologie de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) de l’UNIGE, s’est intéressée au rapport entre le déclin de la norme anti-féminité et l’homophobie. «En effet, le stéréotype de l’homosexuel est, entre autres, quelqu’un qui transgresse l’identité de genre en incarnant la féminité chez l’homme, relève Juan M. Falomir. Nous nous sommes alors demandés si la féminisation de l’homme avait un impact direct sur la diminution ou l’augmentation de l’homophobie.»
Anti-féminité et hétérosexualité : les vases communicants
Afin de tester les conséquences de la disparition de la norme anti-féminité, les psychologues de l’UNIGE ont utilisé un questionnaire incluant une cinquantaine d’items qui mesuraient l’accord avec les principales dimensions de la masculinité : l’évitement de la féminité, la restriction de l’émotivité, l’assurance en soi, l’agressivité, la domination, l’attirance pour les rapports sexuels et l’homophobie. Trois groupes d’hommes hétérosexuels ont ensuite indiqué leur accord ou désaccord avec une cinquantaine d’items renvoyant à ces normes. «Le premier groupe était un groupe contrôle, c’est-à-dire qu’il devait compléter le questionnaire sans autre information. Au deuxième groupe, nous soulignions la masculinité et l’anti-féminité des hommes dans la société actuelle à travers différentes études, avant de leur faire remplir le questionnaire. A l’inverse, nous disions au troisième groupe que l’homme actuel n’avait jamais été aussi féminin», explique Juan M. Falomir. Lors d’une deuxième étude, les chercheurs ont gardé uniquement ces deux derniers groupes et les participants ont répondu à un autre questionnaire mesurant l’attitude envers les homosexuels (leurs droits, leur moralité, les émotions ressenties et leurs comportements) et l’affirmation de leur propre hétérosexualité. Contre toute attente, les résultats ont globalement montré que l’homophobie et la réaffirmation de l’hétérosexualité étaient bien plus fortes pour le dernier groupe, où l’homme était présenté comme étant de plus en plus féminin, que pour les deux autres groupes.
«Il s’agit d’un système de vases communicants : en diminuant l’importance de la norme d’anti-féminité, un homme compense en renforçant l’importance de la norme de l’hétérosexualité, et trouve en l’homophobie le moyen alternatif d’affirmer sa masculinité», résume Juan M. Falomir. En poursuivant leur étude, les psychologues de l’UNIGE ont relevé que l’augmentation de l’homophobie n’est pas directement provoquée par une volonté de réaffirmer l’opposition homme-femme (dichotomie des genres). En effet, la féminité n’est plus considérée comme étant une caractéristique propre aux femmes, car les hommes deviennent plus sensibles et émotifs. Mais cette acceptation de la féminisation de l’homme semble se faire au détriment des homosexuels, car la masculinité se trouve désormais davantage affirmée par l’hétérosexualité. Relevons toutefois que cette augmentation de l’homophobie se trouve principalement chez les hommes davantage «traditionnels». Au contraire, les hommes dits «modernes» réagissent mieux à la féminisation de l’homme et ont une meilleure perception des homosexuels.
La féminisation de la société retarde l’acceptation des droits des homosexuels
Ces résultats rendent compte du fait que nos sociétés occidentales, qui établissent l’égalité hommes-femmes comme un principe fondamental, connaissent encore une réticence envers les droits des homosexuels. «Car plus on égalise les genres, et plus il devient difficile aux «hommes traditionnels» de gérer cette égalité pour continuer à construire leur masculinité. Ne pouvant plus se différencier des femmes, ils voient en l’homophobie le moyen de rétablir leur virilité», conclut Juan M. Falomir.