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Informez-vous sur les compétences de votre enfant avec l'entretien du Pr. Edouard Gentaz "Petits, mais déjà si compétents"
Comment se déroule une séance d'observation?
Après vous avoir accueillis, nous laissons votre enfant jouer avec vous et nous quelques minutes afin qu’il s’habitue à ce nouvel environnement. Nous vous expliquons en détails le déroulement de la séance et si celui-ci vous convient, nous vous demandons de signer le formulaire de consentement pour réaliser l’observation. Selon l'état d'éveil de votre bébé et votre désir, nous commençons par la phase d'observation d'une durée maximum de 10 minutes ou par un questionnaire (5 minutes) auquel vous devez répondre. Lors de la plupart de nos études, votre enfant sera confortablement assis dans un siège bébé face à un écran. Nous enregistrons son temps de regard à l'aide d'un eye-tracker ainsi que d'une caméra. Si votre enfant pleure ou s’agite, nous arrêtons l’observation en lui laissant tout le temps nécessaire afin qu’il se calme.
Comment étudier les compétences des bébés?
L’étude des compétences des bébés n’est pas facile car la gamme de comportements de ceux-ci est limitée. On ne peut bien évidemment pas utiliser le langage pour leur expliquer une tâche ! On va alors s’appuyer sur leurs capacités sensori-motrices comme par exemple sucer, regarder ou toucher. Ce sont ces comportements que les chercheurs vont mesurer et utiliser comme de précieux indicateurs d’une compétence. Les chercheurs analyseront ainsi par exemple, l’amplitude et le nombre de succions, le temps de regard, le temps de tenue d’un objet ou le rythme cardiaque.
En utilisant ces indicateurs, les chercheurs en psychologie ont mis au point, depuis une trentaine d’années, différentes méthodes scientifiques pour étudier la présence ou non de certaines compétences perceptives et cognitives chez des bébés âgés aussi bien de quelques jours que de plusieurs mois. Voici les trois principales méthodes qui sont utilisées par les chercheurs pour répondre aux questions abordées dans l'ouvrage d'Edouard Gentaz et Karine Mazens, Les compétences des bébés.
Associer des événements
La première méthode, appelée « le conditionnement », s’appuie sur un principe simple et universel qui est notre capacité à associer deux événements indépendants qui se répètent souvent de façon concomitante.
Ce phénomène est présent dans tous les instants de la vie quotidienne : par exemple, faire un sourire à votre bébé à chaque fois qu'il en fait un, ou plus généralement à chaque fois qu'il vous fait quelque chose d'agréable, ou encore venir le voir à chaque fois qu'il crie. Ces associations de comportements sont des conditionnements.
S’ils sont présents dans la vie quotidienne, ils sont difficiles à mettre en œuvre chez les nouveau-nés dans un laboratoire. Prenons un exemple de conditionnement classique : à chaque fois que le bébé fait un geste (par exemple tourne la tête vers une image précise), on lui donne une stimulation agréable comme récompense (par exemple sa mère lui fait « coucou »). Cette situation apparemment simple exige en fait que le bébé établisse un rapport temporel entre les divers événements qui se succèdent : rotation de la tête, possibilité de voir l'image un moment, coucou. Si à un moment quelconque, son attention se relâche, ce qui est relativement fréquent chez les bébés, tout le cycle est interrompu. Une autre difficulté du conditionnement est située dans le coût moteur des réponses que peut produire un bébé. Dans ce type de situation, en effet, on demande au bébé d'effectuer un acte moteur (tourner la tête, remuer le bras ou la jambe) et nous savons que cela reste très difficile pour les jeunes bébés en général, et encore plus pour le nouveau-né (excepté pour la succion qui est efficace dès la naissance).
En conclusion, cette méthode, qui témoigne de la capacité d’apprentissage des nouveau-nés humains, est beaucoup moins utilisée dans les recherches que les méthodes suivantes.
Regarder ce que l'on préfère
Une seconde méthode, appelée « la méthode du temps de fixation relatif », consiste à présenter simultanément, à des bébés assis dans un siège adapté, deux scènes, l’une à droite (scène A) et l’autre à gauche (scène B), et à comparer, grâce à une caméra placée entre les deux scènes, le temps de regard sur chacune de ces scènes (Figure 1).
Figure 1: Schéma d'une situation d'expérience. Le nouveau-né est installé par sa maman dans un siège adapté. Ensuite, les psychologues présentent pendant environ 1 minute sur chacun des écrans des scènes qui diffèrent par une propriété, comme par exemple le type de trajectoire effectuée par un point lumineux (un cercle sur l'écran de gauche et une ellipse sur l'écran de droite).
On peut ainsi déterminer si les bébés préfèrent regarder une scène plutôt qu’une autre, et donc s’ils sont capables de percevoir une différence entre les deux scènes. Si pendant les 60 secondes, les nouveau-nés regardent autant (ou avec très peu de différence) la scène A que la scène B, alors il est impossible de conclure quant à une préférence éventuelle d’une scène. On ne peut donc pas savoir dans cette situation si les nouveau-nés perçoivent une différence entre les deux scènes. En revanche, si pendant les 60 secondes, les nouveau-nés regardent nettement plus longtemps la scène B que la scène A, alors il est possible d’affirmer qu’ils perçoivent bien une différence entre les deux scènes. Les chercheurs utilisent des tests statistiques pour être certains que les différences entre les moyennes des temps de regard ne soient pas dues au hasard ou aux performances exceptionnelles d'un ou deux nouveau-nés. En d’autres termes, les chercheurs s’assurent que les différences entre les deux scènes existent bien chez la plupart des nouveau-nés testés exactement dans les mêmes conditions.
Regarder ce qui est nouveau
La troisième méthode, appelée « la méthode d’habituation et de réaction à la nouveauté », s’appuie sur un principe simple et universel qui est le désintérêt progressif que nous manifestons pour une scène familière et le regain d’attention que nous avons pour une scène nouvelle (par exemple, le changement d’enseigne d’un magasin qui se trouve sur notre chemin quotidien pour nous rendre au travail).
Cette méthode consiste donc à présenter plusieurs fois de suite la même scène au bébé jusqu’à ce qu’il s’y habitue, c’est-à-dire qu’il s’y intéresse de moins en moins (le temps de regard diminue progressivement). Cette phase d’habituation terminée, on passe alors à la phase test qui consiste à présenter une scène nouvelle. Si le temps de regard sur la scène nouvelle est nettement supérieur à celui sur la scène habituée, on en conclut que le nouveau-né réagit à la nouveauté et qu’il a donc discriminé la scène nouvelle de la scène familière. Si le temps de regard est similaire entre les deux scènes, on peut conclure que les nouveau-nés ne sont pas capables de percevoir une différence entre les deux scènes.
Cette méthode d’habituation et de réaction à la nouveauté peut être utilisée dans d’autres sens que la vision, comme le toucher, l’audition ou l’olfaction. Elle montre que les nouveau-nés ont une mémoire. S'ils n'en avaient pas, ils ne s'habitueraient pas. Ils cesseraient de regarder au bout d'un moment par fatigue, mais ce n'est pas de fatigue dont il s'agit, sinon, ils ne s'intéresseraient pas plus à quelque chose de nouveau. En fait, la manière dont les spécialistes analysent l'habituation est qu'il s'agit, à chaque fixation, d'une prise d'information sur l'objet regardé, et d'un stockage de cette information en mémoire à court terme. Quand les bébés commencent à avoir ainsi une image de l'objet en question, ils comparent cette image à ce qu'ils voient. Si c'est la même chose, ils cessent très vite de regarder. Si c'est différent, ils s'y intéressent bien plus. Les nouveau-nés sont ainsi des consommateurs de nouveauté, et donc des apprenants en herbe. Tout ce qui est nouveau les intéresse... à condition toutefois que ce ne soit pas trop nouveau. Tout se passe en effet comme si les nouveau-nés aimaient bien en fait comparer ce qu'ils connaissent déjà à ce qu'ils ne connaissent pas. Les savoirs nouveaux s'organisent par rapport aux savoirs anciens et la mémoire joue donc un rôle considérable dans cette boulimie de nouveauté et cette mise en place de connaissances nouvelles.