Introduction
Le nouveau-né reconnaît-il le visage, la voix ou l’odeur de sa mère ? Qu’est-il capable de percevoir avec ses différents sens ? Est-il capable de vous imiter ou faire la différence entre de petites quantités ? Telles sont les questions auxquelles essaie de répondre cet ouvrage. Son but est de dresser un portrait global des compétences ou capacités d’un nouveau-né arrivé à son terme à travers des questions-réponses. Vous allez découvrir que le nouveau-né n’est pas simplement une « machine à réflexes » ou un « être végétatif ». Vous serez certainement impressionné(e)s des étonnantes compétences présentes chez les bébés les premiers jours après la naissance. Vous serez aussi probablement étonné(e)s de l’inépuisable ingéniosité des chercheurs pour élaborer des expériences qui permettent de mettre en évidence ces compétences très précoces.
Une sélection de questions
Les questions choisies sont issues du croisement entre les interrogations récurrentes de jeunes parents rencontrés dans les maternités et les recherches disponibles permettant de répondre scientifiquement à ces questions. En d’autres termes, certaines questions ne sont pas traitées (par exemple, comprend-il ce que je lui dis ?) ou seulement partiellement (par exemple, existe-t-il des différences entre les filles et les garçons à la naissance ?) fautes de données scientifiques adéquates et disponibles à ce jour. Cependant, même si peu de laboratoires dans le monde s’intéressent aux compétences du nouveau-né humain, probablement pour des raisons techniques et institutionnelles, les medias font largement échos de toutes nouvelles découvertes. En définitive, nous pensons que les réponses à ces vingt questions vous donneront un portrait des principales compétences observées chez les nouveau-nés par les chercheurs en psychologie.
Les raisons d’une tranche d’âge si restreinte
Les compétences à la naissance peuvent être différentes de celles des mois suivants.
L’âge choisi, entre quelques heures après la naissance et 4 jours environ, pour présenter certaines compétences du bébé résulte d’une évolution récente chez les chercheurs. Jusqu’à récemment, les auteurs qui observaient une compétence chez des bébés de quelques mois avaient tendance à généraliser ce résultat et à considérer qu’elle devait être présente aussi à la naissance. Or, plusieurs recherches montrent que ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, les recherches sur la sensibilité des bébés aux visages montrent que la préférence pour un schéma de visage à un schéma n’ayant pas la structure d’un visage, est présente à la naissance mais absente à 6 semaines. De même, la capacité à reconnaître visuellement une forme touchée préalablement avec sa main droite évolue en quelques mois : elle est présente à la naissance, et à deux mois, puis elle disparaît à 4-5 mois pour réapparaître quelques mois plus tard. En résumé, comme il peut exister des changements notables en quelques mois dans l’observation de certaines compétences, nous avons choisi de les cerner autour d’un événement unique pour le bébé, i.e. sa naissance.
La naissance n’est pas un « état initial »
L’étude du bébé à sa naissance ne doit pas nous laisser croire que ce dernier serait dans un « état initial » et que son développement commencerait seulement à partir de ce moment là. Le fœtus vit déjà dans un environnement riche de stimulations variées. Il peut déjà percevoir certaines propriétés de son environnement (exemples : musique, voix, battement du cœur, goûts, pressions exercées sur le ventre de sa mère). Il est aussi capable d’agir, ses mouvements sont variés, il suce son pouce, ou change souvent de position. Avec sa naissance, le bébé passe d’un état de quasi impesanteur à un état de pesanteur, d’un milieu liquide à un milieu aérien, et d’une alimentation continue quasi-passive (via le cordon ombilical) à une alimentation discontinue active (avec la succion). Il est obligatoire pour le nouveau-né de s’adapter très rapidement à ces changements. Nous verrons que le fœtus garde en mémoire ses expériences vécues in utero car elles sont capables d’influencer certaines préférences observées à la naissance. En résumé, il n’y pas de rupture au niveau du développement des compétences du bébé à sa naissance, mais seulement une adaptation à son nouvel environnement.
Utilité et précautions
L’étude des compétences des nouveau-nés en particulier et des bébés en général est-elle utile ? Notre réponse est bien évidemment affirmative. Le premier intérêt est d’ordre théorique et scientifique : ces études contribuent à une meilleure connaissance et compréhension de la nature humaine. Le deuxième intérêt est d’ordre social : ces études et leur diffusion dans les media participent aux conceptions ou représentations que les adultes ont, à un moment donné de l’Histoire, des bébés et de leurs compétences. Il est facile d’imaginer que la nature de cette conception peut influencer la façon dont les parents se comportent avec leur bébé. Schématiquement, si nous avons une « conception d’un bébé végétatif et incompétent », nous serons peu enclins à développer les interactions avec lui, étant persuadé qu’il ne perçoit rien alors qu’une « conception d’un bébé compétent » favorisa ces interactions.
S’il est donc très important d’étudier les compétences du nouveau-né, cela peut engendrer parfois deux excès – la sur-stimulation du nouveau-né et sa comparaison à une norme. Ainsi, une prise de conscience de toutes les compétences du nouveau-né ainsi qu’une forte pression sociale peut conduire certains parents à sur-stimuler leur bébé afin de l’éveiller davantage et ainsi augmenter ses chances de réussite pour plus tard. Cette sur-stimulation n’est, la plupart du temps, pas nécessaire car le nouveau-né est « naturellement et/ou culturellement » déjà largement bien stimulé dans un environnement familial « bienveillant ». Il faut que l’attention apportée par les parents à leur « petit génie » reste un plaisir (et non une obligation) et prenne en compte ces spécificités. Par exemple, il est peu pertinent de jouer avec lui de manière trop prolongée ou incessante car vous risquez de le « surcharger » de stimulations et l’empêcher ainsi de s’endormir. Le bébé a souvent aussi besoin de calme.
Le deuxième excès est un effet secondaire d’une bonne connaissance des compétences des bébés par les parents. Ces derniers peuvent s’inquiéter très rapidement de ne pas observer chez leurs bébés une compétence spécifique à l’âge indiqué. Avant de s’inquiéter, il faut bien savoir que les résultats présentés dans ce type d’ouvrage sont des moyennes statistiques sur un grand nombre de bébés et qu’il existe par nature une grande variabilité dans le développement des bébés. La plupart du temps, il n’y a ni retard, ni avance, mais l’expression de la nature même de votre enfant.
Organisation de l’ouvrage
Les questions abordées ici sont traitées de manière presque indépendante. Il n’est pas obligatoire de lire les questions les unes après les autres. Néanmoins, nous vous conseillons de lire en premier la question des méthodes utilisées pour étudier les compétences du nouveau-né car elle vous permettra de comprendre plus aisément les recherches décrites dans les différentes questions, même si à chaque fois nous avons pris soin de garder les éléments essentiels des méthodes utilisées par les chercheurs. Enfin, nous espérons que la découverte de toutes ces recherches vous incitera non seulement à lire d’autres ouvrages plus complets sur ces questions mais aussi à participer aux études actuelles réalisées dans les laboratoires de plusieurs villes de France (Paris, Rouen, Grenoble, etc.) en y emmenant vos bébés !
Edouard Gentaz, Directeur de Recherche au CNRS. E-mail : Edouard.Gentaz@upmf-grenoble.fr
Karine Mazens, Maitre de Conférence en psychologie du développement. E-mail : Karine.Mazens@upmf-grenoble.fr
Remerciements Nous tenons à remercier les différentes institutions ou fondations qui soutiennent nos travaux : Le Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (UMR CNRS 5105), le Centre National de la Recherche Scientifique, l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, la Fondation Fyssen et la Maternité de la Clinique Mutualiste de Grenoble. Nous remercions aussi Anne Theurel pour sa lecture attentive du manuscrit.
Note Concernant l’âge choisi, même si l’Association Américaine de Psychologie désigne comme « nouveau-né » les enfants entre la naissance et un mois, nous avons choisi de présenter principalement les recherches réalisées auprès de nouveau-nés âgés seulement de quelques jours.