Il est bien évidemment très difficile de pouvoir répondre à cette question, à laquelle on souhaiterait pourtant avoir quelques connaissances établies. Le nouveau-né se différencie-t-il du monde qui l’entoure ou est-il dans un état de confusion totale avec le monde qui l’entoure, comme cela a été longtemps avancé ? Ne vous attendez pas dans ce qui suit, à des réponses d’une grande révélation mais simplement à des pistes, quelques faits laissant supposer l’existence d’une certaine connaissance de soi chez le très jeune enfant. Par quel moyen les psychologues peuvent-ils essayer de répondre à cette question ? Les recherches vont se baser sur la façon dont le bébé réagit avec son corps. On sait aujourd’hui que durant les derniers mois de gestation, les bébés ont la capacité de distinguer leur soi du monde extérieur. Les bébés ne seraient pas dans un état de confusion mais seraient déjà orientés vers les objets physiques et les personnes, donc des choses qui existent indépendamment de leur propre corps. Si l’on s’intéresse à ce qu’effectue un fœtus avec son corps, on sait (grâce à l’échographie) que celui-ci touche différentes parties de son corps, par exemple, touche son visage avec sa main, met son pouce dans la bouche, et qu’il touche également le cordon ombilical, les parois utérines de sa mère. Les informations que procurent le toucher ne sont alors pas les mêmes selon que l’on touche son propre corps (deux endroits sont stimulés en même temps) ou un objet qui n’appartient pas à soi (un seul endroit du corps est stimulé). Par exemple, si le fœtus touche le cordon ombilical avec sa main, seule sa main est stimulée alors que s’il touche son visage avec sa main, deux parties de son corps sont stimulées simultanément : sa main et son visage.
L’expérience menée chez des nouveau-nés de moins de 1 jour s’appuie sur la réponse de fouissement : quand on touche le coin de la bouche d’un nouveau-né, il tourne la tête et ouvre la bouche en direction de la stimulation. On enregistre la fréquence de la réponse de fouissement, face à une stimulation tactile externe (le doigt de l’expérimentateur caressant la joue du nouveau-né) ou bien face à une autostimulation tactile (le nouveau-né mettant spontanément sa main en contact avec sa joue). On constate alors que les nouveau-nés ont une réponse de fouissement presque trois fois plus fréquentes avec la stimulation externe qu’avec leur propre stimulation. Cette connaissance perceptive du corps propre est nommée « connaissance écologique de soi ». Cette connaissance n’est évidemment pas consciente et n’est pas réservée à l’espèce humaine (elle est présente chez les mammifères et les oiseaux).
Par ailleurs de nombreuses recherches, dont certaines sont citées dans cet ouvrage, montrent que le bébé peut agir sur l’environnement avec son propre corps. Il est par exemple capable d’apprendre à sucer d’une certaine façon afin d’entendre la voix de sa mère. Il sait donc utiliser son corps à certaines fins. Il s’agit donc bien là aussi d’une certaine connaissance de soi, de ce que l’on peut produire avec son corps.
En conclusion, avant de posséder une conscience de soi, en particulier une conscience sociale permettant de se situer par rapport à autrui (aux alentours de 18 mois), le bébé aurait d’abord une connaissance perceptive de son corps propre, comme étant différencié du monde extérieur et comme pouvant agir sur ce monde. Ce serait la première pierre fondatrice d’une acquisition qui se poursuivra plusieurs années.
REPERES
Vous entendrez peut-être dire que le nouveau-né n’est pas encore capable de se différencier du monde extérieur, car cette conception a été très dominante au XXème siècle. Certes, votre nouveau-né n’a pas encore conscience de sa personne, comme peuvent l’avoir ses grands frères ou ses grandes sœurs. Néanmoins, certains de ses comportements, certaines de ses réactions laissent penser qu’il a déjà une certaine connaissance de son corps.
Référence
Rochat, P. (2006). Le monde des bébés. Paris, Odile Jacob.