L’observation de jeunes garçons et de jeunes filles pendant leurs moments de jeux révèle rapidement des préférences pour certains types de jeux ou de jouets, spécifiques à chaque sexe. Attention, une préférence ne signifie pas un choix exclusif et irrémédiable mais seulement une tendance générale : les petits garçons de 5 ans peuvent jouer à la dinette ou à la poupée mais, en général, la durée consacrée à cette activité est moins importante que celle consacrée par beaucoup des petites filles du même âge.
Si la plupart des chercheurs et des parents sont d’accords sur ce constat d’une différence entre les filles et les garçons concernant leurs intérêts ludiques, leurs explications sont sujettes à des débats très vifs et récurrents entre, d’une part, les tenants d’une influence socioculturelle essentielle et les tenants d’une influence biologique déterminante. Pour les premiers, c’est l’environnement (au sens large) des petites filles (parents, grands-parents, école, maîtresse, publicité, etc.) qui les conduit (parfois explicitement et souvent implicitement) à jouer à la poupée et choisir des objets avec une dominante de couleur rose. Ainsi les préférences respectives des filles et des garçons seraient une conséquence de leur environnement socioculturel. Pour les seconds, c’est l’inverse, des différences biologiques intrinsèques entre les Hommes et les Femmes conduiraient chaque enfant, selon son sexe, à choisir tel ou tel jouet, tel ou tel jeu. Le débat est en fait loin d’être tranché.
Une bonne façon d’étudier cette question consiste à examiner si les nouveau-nés filles ou garçons ont déjà des préférences pour certains objets. Certaines études présentées dans ce livre ne constatent pas de différence entre les sexes dans les comportements observés (par exemple, celle sur le lien entre la vision et le toucher) alors que d’autres en trouvent (par exemple, celle sur la reconnaissance du visage de la mère). Quoi qu’il en soit, toutes ces études n’avaient pas comme objectif de comparer les performances des filles et des garçons.
Il existe, à notre connaissance, une seule étude étudiant explicitement cette question. Ce sont alors 102 nouveau-nés qui sont étudiés, ce qui est un nombre très conséquent pour des études portant sur cet âge de la vie. Dans cette étude, les chercheurs présentent aux nouveau-nés un vrai visage (objet social) et un mobile (un objet physique-mécanique) l’un après l’autre. Le mobile est construit de manière à « ressembler » sur certains points au visage : même couleur, même taille, même forme, même contraste, même structure (Figure 11).
Figure 11 : Les stimuli présentés aux nouveau-nés par les chercheurs
Chaque objet est présenté entre 53 et 70 secondes. Les chercheurs mesurent le temps de regard pour chaque objet sur la durée globale de présentation des deux objets. L’analyse individuelle des préférences (une différence d’au moins 20 secondes entre les deux objets) montre que, sur les 44 nouveau-nés garçons, 25% préfèrent regarder le visage, 43% le mobile et 32% n’ont pas de préférence. Sur les 58 nouveau-nés filles, 36% préfèrent regarder le visage, 17% le mobile et 47% n’ont pas de préférence. L’analyse des pourcentages moyens du temps de regard sur chaque objet par rapport au temps global montre que les nouveau-nés garçons regardent plus longtemps le mobile (52 %) que le visage (46 % ; le reste « ailleurs ») tandis que les nouveau-nés filles regardent plus longtemps le visage (49 %) que le mobile (41 % ; le reste « ailleurs »).
Des résultats similaires sont observés chez 60 bébés de 1 an à qui les psychologues montrent deux vidéos « sociales » (une présentant une femme et un homme en train de parler et une autre présentant un homme en train de lire un livre à son enfant) et deux vidéos « non-sociales » (une présentant une course de voiture et une autre une voiture immobile avec une fenêtre en mouvement). Ces quatre vidéos, chacune durant 2 min, sont présentées les unes après les autres dans un ordre aléatoire. Les résultats révèlent que les bébés garçons regardent plus longtemps les vidéos « non sociales » que les vidéos « sociales » et les bébés filles préfèrent regarder les vidéos « sociales ».
Pour étudier comment cette préférence visuelle selon le sexe du bébé évolue pendant la première année, les chercheurs testent les mêmes bébés à 3 mois, 9 mois et à 18 mois. A chaque âge, ils présentent aux bébés des séries de paires de photos sur deux écrans d’ordinateur placés en face d’eux. A chaque jouet « typiquement féminin » (poupée, landau, poussette, etc.) est associé un jouet « typiquement masculin » (train, voiture, garage, etc.). Chaque paire est présentée quelques secondes et les chercheurs mesurent le temps de regard respectif sur chacune des photos. Les résultats montrent qu’une différence entre les sexes apparaît à partir de 9 mois seulement, révélant la préférence des garçons pour les jouets « masculins » et celle des filles pour les jouets « féminins ».
En conclusion, ces quelques études montrent que les différences ou similitudes observées entre les sexes dépendent des « choses » proposées aux bébés ainsi qu’à leur âge. A la naissance, il semble exister une préférence visuelle entre un vrai visage et un mobile différente selon le sexe, mais seulement pour une partie des nouveau-nés. La différence est encore présente 12 mois plus tard. Pour les préférences entre les jouets dits « féminins » et « masculins », il faut attendre 9 mois pour qu’une différence entre les sexes apparaisse. Cependant, ces résultats ne permettent pas de cerner les rôles respectifs de l’environnement du bébé et du biologique et de leur interaction. En d’autres termes, il est urgent d’attendre de nouvelles recherches sur cette question chez les nouveau-nés !
REPERES
Ces recherches étudient juste des préférences visuelles i.e. des tendances à regarder plus longtemps une « chose » qu’une autre, inconnue pour le nouveau-né. Qu’il soit une fille ou un garçon, les préférences du nouveau-né seront toujours en direction de sa maman et de son papa, des « choses bien connues ou en voie de l’être».
Références
Campbell, A., Shirley, L. & Heywood, C. (2000). Infants’ visual preference for sex-congruent babies, children, toys and activities: A longitudinal study. British Journal of Developmental Psychology, 18, 479-498.
Connellan, J., Baron-Cohen, S. Wheelwright, S. Batki, A. & Ahluwalia, J. (2000). Sex differences in human neonatal social perception. Infant Behavior and Development, 23, 113-118.
Lutchamaya, S. & Baron-Cohen, S. (2002). Human sex differences in social and non-social looking preference at 12 months of age. Infant Behavior and Development, 25, 319-325.