Que voit le nouveau-né?

Pendant longtemps, on a pensé que le bébé ne voyait rien à sa naissance. Aujourd’hui, l’avancée de la recherche en psychologie permet de connaître avec plus de précision ce qu’un nouveau-né est capable de voir. Contrairement à ses autres sens, comme l’audition par exemple, la vision est encore très inachevée à la naissance, et il faudra plusieurs années pour qu’elle atteigne la maturité de celle d’un adulte. La vision est également le sens pour lequel le bébé arrive au monde sans expérience prénatale (mise à part les fortes variations de luminosité perçue à travers la paroi abdominale). Malgré cela, le nouveau-né possède des compétences visuelles ; en voici les principales.



Voit-il les détails fins ?

Cette question renvoie à « l’acuité visuelle ». Celle-ci est 10 à 30 fois plus faible que chez les adultes. Pour en avoir une idée, elle permet au nouveau-né de distinguer une barre noire de un cm de large sur fond blanc à une distance de 50 cm. Cette acuité lui permet également de percevoir les traits d’un visage situé à 30 cm (Figure 2).

Figure 2 : l’acuité visuelle des nouveau-nés

Est-il capable de suivre du regard un objet en mouvement ?

Dès sa naissance, le bébé est dans un environnement comprenant des objets immobiles mais aussi beaucoup d’objets en mouvement. Il est plus attiré par un objet en mouvement que par un objet stationnaire. Par exemple, tous les parents savent que les bébés s’intéressent beaucoup aux mobiles attachés au dessus de leur lit.
Le mouvement des yeux est indispensable pour conduire le regard vers un objet qui bouge. Ce petit et rapide mouvement de l’œil correspond à ce que les scientifiques appellent la saccade oculaire. Les saccades oculaires sont présentes à la naissance mais moins bien contrôlées que chez l’adulte.

Le mouvement des yeux est aussi indispensable pour suivre un objet en déplacement. Cette « poursuite oculaire » permet de garder un objet en déplacement au centre de la vision (région centrale ou fovéale de l’œil). Il est souvent dit qu’un nouveau-né n’est pas capable de suivre du regard un objet en mouvement mais on sait aujourd’hui que cette capacité est possible à certaines conditions. Il faut tout d’abord que votre bébé soit bien éveillé et dans une position confortable. Ensuite, il faut que l’objet soit bien visible et qu’il se déplace à une vitesse lente (objet se déplaçant à la vitesse d’un œuf tenu dans une cuillère).
Le mouvement des yeux est même indispensable pour explorer un objet immobile, comme par exemple pour regarder différentes parties d’un tableau. Dans ce cas, le nouveau-né n’est pas très performant pour explorer avec ses yeux un objet ou une scène de son entourage. Il a des difficultés à maintenir son regard

Est-il capable de voir la différence entre des mouvements «biologiques» et «non biologiques» ?

Tous les parents savent que les bébés préfèrent regarder les objets en mouvement. Cependant, les mouvements ne sont pas tous équivalents. Il existe une dichotomie entre la perception visuelle des mouvements biologiques et celle des mouvements non biologiques. La vision est, en effet, particulièrement sensible aux mouvements «biologiques» c'est-à-dire produits par un organisme vivant (comme les humains et les autres vertébrés). L’origine de cette compétence visuelle reste encore à déterminer.


Des recherches récentes montrent que les nouveau-nés humains sont, comme les adultes, capables de discriminer les cinématiques biologiques et non biologiques d’un point lumineux. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont placé des nouveau-nés, âgés de 3 jours en moyenne, en position semi-allongée dans un siège adapté et leur ont présenté deux paires de scènes (Figure 3). La première paire est composée de deux scènes qui présentent un point lumineux traçant un cercle. Une première scène « biologique » montre le point avec une vitesse constante. Cette condition satisfait les contraintes de « la loi Puissance Deux-Tiers » qui lie la cinématique et la géométrie d’un point en mouvement et qui est un moyen très sûr pour dire si un mouvement est biologique ou non. Une seconde scène « non biologique » montre le point lumineux blanc avec la cinématique d’une ellipse (i.e. accélération pour les trajectoires courbes et ralentissement pour les trajectoires plates). Cette condition donne l’illusion que le point se déplace sur un cercle en faisant des petits sauts. Ces deux scènes sont présentées simultanément à 24 nouveau-nés pendant 60 secondes (au bout des 30 premières secondes, la position spatiale relative des deux scènes est inversée).


La seconde paire est également composée de deux scènes qui présentent un point lumineux traçant une ellipse. La scène biologique montre le point lumineux blanc avec une cinématique « biologique » i.e. une accélération pour les trajectoires courbes et un ralentissement pour les trajectoires plates. La scène non biologique présente un point lumineux avec une vitesse constante ; cette condition ne satisfait pas les contraintes de la loi Puissance Deux-Tiers et engendre l’illusion que le point se déplace sur l’ellipse en faisant des sauts. Ces deux scènes sont présentées simultanément à 27 autres nouveau-nés pendant 60 secondes (au bout des 30 premières secondes, la position spatiale relative des deux scènes est inversée). Le temps de regard de chaque scène a été mesuré avec l’aide d’une caméra vidéo numérique.

Figure 3: A gauche : vue de face du dispositif mis au point pour tester les nouveau-nés. A droite: schéma des scènes visuelles présentées au nouveau-né. Dans la condition 1 (en haut), la scène biologique (à gauche) présente un point lumineux blanc traçant un cercle avec une vitesse constante (cette condition satisfait les contraintes de la loi Puissance Deux-Tiers). La scène non biologique (droite) présente un point lumineux traçant un cercle avec la cinématique d’une ellipse (i.e. accélération pour les trajectoires de haut en bas ou de bas en haut et ralentissement pour les trajectoires plates). Dans la condition 2 (en bas), la scène biologique (à droite) présente un point lumineux blanc traçant une ellipse avec une cinématique «naturelle» et la scène non biologique (à gauche) présentera un point lumineux traçant une ellipse avec une vitesse constante. Nb. le fond gris foncé de ces schémas sera en réalité un fond noir équivalent à celui des écrans d'ordinateurs PC.

L’analyse globale des temps de regard des nouveau-nés a révélé pour la première fois que ces derniers regardent plus longtemps le mouvement non biologique que le mouvement biologique pendant les 30 premières secondes de l'expérience. Durant les 30 secondes suivantes, les nouveau-nés regardent les deux mouvements de façon égale. Un mécanisme d'habituation et une baisse de vigilance des nouveau-nés pourraient expliquer l’apparition de ce comportement.
En conclusion, ces résultats suggèrent que bien que leurs systèmes visuels soient encore très immatures, les nouveau-nés, comme les adultes sont capables de discriminer les cinématiques biologiques et non biologiques d’un point lumineux. Les résultats pourraient s’expliquer par le « modèle de violation des attentes » : les nouveau-nés regarderaient plus longtemps les mouvements qui ne se conformeraient pas à la loi de la Puissance Deux-Tiers i.e. à la signature typique des mouvements biologiques. Cette loi pourrait être l’une des premières régularités liant la cinématique et la géométrie d’un point en mouvement perçue par le système visuel des nouveau-nés.

Voit-il le monde en couleurs ?

Le nouveau-né serait sensible à des différences de couleurs (chromatiques), mais avec un niveau de saturation beaucoup plus élevé que chez l’adulte (c’est-à-dire peu de lumière blanche mélangée avec la lumière d’une certaine longueur d’onde). Il est ainsi capable de différencier le blanc d’un rouge vif ou d’un vert vif mais pas le blanc d’un rouge pâle ou d’un vert pâle. Il distingue mieux le rouge et le vert que le jaune, le bleu et le violet. Votre bébé percevra donc mieux un jouet avec des couleurs vives qu’avec des couleurs pâles.

Quelles parties des figures préfère-t-il regarder ?

Les scientifiques ont cherché à savoir si le nouveau-né est capable de différencier certaines figures et s’il a des préférences pour certaines d’entre elles. Ainsi, à la naissance, le bébé est capable de différencier des formes telles que des triangles, des carrés ou des ronds. Il préfère regarder des configurations structurées, régulières plutôt qu’irrégulières, des figures avec des courbes plutôt qu’avec des droites, des objets fortement contrastés à des objets faiblement contrastés, des objets en trois dimensions plutôt qu’une représentation en deux dimensions de ces mêmes objets (dessin ou photo), des rayures horizontales à des rayures verticales, la partie supérieure et la partie extérieure d’une figure.

REPERES

Si vous observez attentivement votre nouveau-né dans ses moments d’éveil, vous vous apercevrez qu’il s’intéresse aux objets qui l’entourent, que son regard est plus attiré par certains objets (ceux qui bougent ou ont des couleurs vives) même si sa vision est encore très immature.

Références

Atkinson, J., (2000). The developing visual brain. Oxford: Oxford University Press.

Vital-Durand, F., Atkinson, J., & Braddick, O. J. (1996). Infant vision. Oxford: Oxford University Press.

Meary, D., Kitromilides, E., Mazens, K., Christian Graff & Edouard Gentaz (2007). Four-Day-Old Human Neonates Look Longer at Non-Biological Motions of a Single Point-of-Light. Plos ONE 2(1): e186. doi:10.1371/journal.pone.0000186

Meary, D. & Gentaz, E. (2007). La force du mouvement. Cerveau & Psycho, 21, mai.


Le nouveau-né reconnait-il le visage de sa mère ?

Quelques jours après la naissance et donc après quelques heures d’éveil et d’interaction avec leur mère, les nouveau-nés sont-ils déjà capables de reconnaître le visage de celle-ci ? Des études récentes montrent que la reconnaissance du visage de la mère par son nouveau-né ne nécessite pas un apprentissage de plusieurs semaines. Quelques jours suffisent pour que le bébé manifeste une préférence pour le visage de sa mère par rapport au visage d’une personne étrangère.




Comment les chercheurs ont-ils mis en évidence cette préférence ?

Le nouveau-né de quelques jours est assis dans un siège face à un grand écran gris comprenant deux ouvertures de chaque côté. Au centre de l’écran se trouve un petit trou à travers lequel une caméra filme le regard du bébé. Le visage de la mère et le visage de la personne étrangère sont présentés simultanément au bébé (soit en vrai, soit en vidéo) (Figure 4). La personne étrangère est choisie de telle sorte qu’elle ne diffère pas trop de la mère (même couleur de cheveux et coupe similaire). Quelques précautions sont prises pour s’assurer que seuls les visages diffèrent : les habits sont masqués avec un drap blanc, les deux personnes doivent regarder les yeux de l’enfant avec une expression neutre et ne doivent pas parler, bouger, sourire. Avant chaque essai, on répand également un parfum sur l’écran pour s’assurer que l’odeur de la mère ne joue pas un rôle. On procède à deux essais par bébé : un avec la mère à droite et un avec la mère à gauche.

Figure 4. Présentation simultanée du visage de la mère (à gauche) et du visage d’une personne étrangère (ne différant pas trop). En général, les nouveau-nés regardent plus longtemps leur mère que la personne étrangère.

Les résultats montrent que les nouveau-nés regardent plus longtemps leur mère que la personne étrangère. Une petite différence est obtenue entre les filles et les garçons : les filles regardent un peu plus leur mère que les garçons.
Puisque les nouveau-nés reconnaissent le visage de leur mère, cela signifie qu’ils sont capables d’apprendre très rapidement et de mémoriser un visage seulement à partir d’un temps d’exposition assez bref. La question qui vient alors ensuite est de savoir sur quelles parties du visage les bébés s’appuient pour reconnaître leur mère ? Pour répondre à cette question, une expérience avec la même procédure que la précédente est menée, mais la mère et la personne étrangère portent un foulard noir sur la tête afin de masquer le contour extérieur de la tête et la ligne de séparation cheveux/visage (Figure 5).

Figure 5. Présentation simultanée du visage de la mère et du visage d’une personne étrangère portant un foulard sur la tête. En général, les nouveau-nés regardent aussi longtemps les deux visages.

Dans ce cas, les résultats montrent que les nouveau-nés n’ont plus de préférence entre les deux visages et donc qu’ils ne reconnaissent plus leur mère. Cela signifie que la représentation visuelle de la tête-visage de la mère formée pendant les trois premiers jours de vie par le nouveau-né se fonde essentiellement sur le contour de la tête et les cheveux. Ce n’est que vers l’âge de 6-8 semaines que l’on constate des signes de reconnaissance du visage de la mère malgré le masquage du contour de la tête.
Une expérience plus récente a montré que si la mère ne parle pas à son bébé durant les premiers jours d’interaction, le bébé ne reconnait pas alors sa mère visuellement. Durant les premiers jours, le nouveau-né apprend donc à reconnaître le visage de sa mère en s’appuyant sur la voix qu’il a entendue depuis plusieurs semaines in utero.
De la même façon, les nouveau-nés reconnaissaient-ils le visage de leur père ? Pour l’instant, les études ne permettent pas de le montrer. L’explication peut être que le nouveau-né passe plus de temps avec sa mère qu’avec son père, lors des premiers jours, et que certains soins donnant lieu à une satisfaction, comme l’allaitement, sont exclusivement donnés par la mère.

REPERES

Si vous changez de coiffure au cours de la journée, votre bébé ne reconnaîtra peut-être pas votre visage, mais il pourra se baser sur d’autres indices pour vous reconnaître, comme votre voix ou votre odeur. Si votre nouveau-né ne reconnait pas encore son papa au bout de quelques jours, cette acquisition se fera rapidement, à condition qu’il interagisse souvent avec lui.

Références

Pascalis, O., De Schonen, S., Morton, J., Deruelle, C., & Fabre-Grenet, M. (1995). Mother’s face recognition by neonates : a replication and an extension. Infant Behavior and Development, 18, 79-85.

Sai, F. (2004). The role of the mother’s voice in developing mother’s face preference: Evidence for intermodal perception at birth. Infant and Child Development, 14, 29-50.

Comment le nouveau-né perçoit-il les visages ?

La première chose que l’on peut affirmer, c’est que dès la naissance, le bébé est intéressé par les visages et il préfère regarder un visage plutôt qu’un autre objet (Figure 6). Cette attirance vers les visages va jouer un rôle très important puisqu’elle va permettre d’établir les premiers liens du bébé avec son entourage.

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Figure 6 : Dès 9 min. après la naissance, les nouveau-nés sont sensibles à la configuration de visages schématiques (en haut à gauche) (Goren, Sarty, & Wu, 1975).

Le rôle des yeux

Le regard joue un rôle très important dans l’intérêt que le nouveau-né porte vers les visages (Figure 7). Les yeux sont les éléments les plus regardés et le bébé préfère les visages ayant les yeux ouverts. Le nouveau-né préfère également un visage dans lequel les yeux sont dirigés vers eux plutôt que détournés. Entre des visages d’adultes et des visages de nouveau-nés, il préfère regarder des visages d’adultes.

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Figure 7 : Préférence visuelle pour les visages avec un regard direct à la naissance (images à droite)
(Batki et al., 2000 ; Farroni et al., 2002).

Préfère-t-il les visages attractifs ?

Il n’existe pas vraiment de définition de l’attractivité. Pour différencier les visages, on demande à des adultes de juger leur caractère attractif ou non. On constate alors que l’accord entre les individus est très élevé. Chez les nouveau-nés, l’expérience consiste à présenter des paires de visages dont l’un a été jugé attractif et l’autre non par des adultes. Les résultats montrent que des bébés âgés de 72 heures ont une préférence pour des visages attractifs alors que des bébés de 15 minutes n’ont pas de préférence. Comment expliquer ce résultat ? Les visages jugés attractifs sont des visages qui correspondent plus au visage moyen, c'est-à-dire qu’ils correspondent à la configuration la plus souvent observée. Durant les quelques jours passés à la maternité, un nouveau-né a eu l’occasion de voir entre 6 et 15 visages. Cette expérience est suffisante pour créer le « prototype » du visage humain.

Préfère-t-il regarder des visages de leur propre groupe ethnique ?

L’expérience consiste à présenter à des nouveau-nés et à des bébés âgés de 3 mois, de type caucasien, des photos de visages de différents groupes ethniques : caucasiens, moyen-orientaux, asiatiques et africains. Deux photos sont présentées en même temps : un visage caucasien et un visage d’un autre groupe ethnique. La préférence des bébés est déterminée en comparant le temps de regard sur chaque photo. Des visages d’hommes et de femmes sont présentés. A la naissance, les bébés n’ont pas de préférence pour le groupe ethnique alors qu’à 3 mois, ils préfèrent leur propre groupe ethnique. La préférence pour son propre groupe ethnique n’est donc pas présente les premiers jours de la vie mais est apprise durant les trois premiers mois de la vie.

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Figure 8: à la naissance, les bébés n’ont pas de préférence pour leur propre groupe ethnique alors qu’à 3 mois, s’ils sont de type caucasien (photo 1), ils ont une préférence pour des visages de cette ethnie par rapport aux visages d’autres ethnies (photos 2, 3 et 4 : Moyen-Orient, Afrique, Asie).

Les visages auxquels le bébé sera confronté dans les débuts de sa vie auront une influence sur la représentation que le bébé se fera des visages. Les préférences observées pour le groupe ethnique à trois mois se retrouvent pour le genre. Par exemple, si c’est une femme qui s’occupe le plus du bébé, à trois mois, le bébé préférera regarder des visages féminins. Par contre, si c’est un homme qui s’occupe le plus du bébé, à trois mois, le bébé préférera regarder des visages masculins.

REPERES

Parmi tous les objets qui l’entourent, ce sont certainement les visages qui intéressent le plus votre nouveau-né. Tous les visages ont la même structure (même position des yeux, du nez, de la bouche) mais chaque visage est unique. Les visages sont des objets dynamiques dont les expressions varient continuellement. Progressivement, votre bébé va différencier les visages qui lui sont familiers des autres visages.

Références

Kelly, D., Quinn, P., Slater, A., Lee, K., Gibson, A., Smith, M., Ge, L., & Pascalis, O. (2005). Three-month-olds, but not newborns, prefer own-race faces. Developmental Science, 8, 31-36.

Slater, A., Van der Schulenburg, C., Brown, E., Badenoch, M., Butterworth, G., Parsons, S., & Samuels, C. (1998). Newborn infants prefer attractive faces. Infant behavior and Development, 21, 345-354.

Le nouveau-né perçoit-il les émotions sur les visages ?

Nous avons vu que dès sa naissance l’être humain est attiré par les visages. Précisons que les visages ne sont pas simplement des formes simples et rigides comprenant deux yeux, une bouche et un nez, mais qu’ils expriment aussi de manière complexe et dynamique des émotions, comme la joie, la tristesse, la colère, la peur, la surprise, le dégout, etc. Ces émotions sont le plus souvent également exprimées par la voix. Les nouveau-nés sont-ils déjà capables de percevoir les émotions sur le visage de ses parents ? Ces émotions auront-elles une incidence sur son développement ultérieur ?

Chez le nouveau-né, la première étude qui existe cherche à savoir s’il est capable de percevoir et de différencier certaines émotions faciales. Elle consiste à présenter trois expressions faciales différentes : joie, tristesse et surprise à des nouveau-nés. L’adulte qui sert de modèle tient le nouveau-né devant lui à une trentaine de centimètres. Il présente une première expression plusieurs fois de suite, jusqu’à ce que le bébé soit habitué, c’est-à-dire qu’il regarde pendant moins de 2 secondes le visage. Puis il présente une nouvelle expression faciale et procède de la même façon, jusqu’à ce que le bébé soit à nouveau habitué, moment où il va alors présenter la troisième expression. On observe si les temps de regard du bébé augmentent lorsqu’on présente une nouvelle expression, ce qui indique qu’il réagit à la nouveauté et donc qu’il discrimine deux expressions faciales différentes. Pour chaque expression faciale présentée, un observateur non informé sur le modèle, code les mouvements de la bouche, l’ouverture des yeux, si le front est plissé ou relâché, et essaie de deviner quel modèle était présenté au bébé. Les résultats indiquent que les bébés ont discriminé les trois expressions faciales. Il apparait également que pour la joie et la tristesse, les bébés regardent plus la bouche alors que pour la surprise, ils regardent à la fois la bouche et les yeux.

Ces résultats sont actuellement très controversés car d’autres chercheurs n’ont pas réussi à reproduire ces résultats. Plus récemment, les chercheurs ont observé des compétences plus limitées en proposant aux nouveau-nés des photos de visages exprimant différences émotions. Ainsi, ils n’observent pas de différence entre une « image de peur » et une « image neutre ». En revanche, ils observent une préférence visuelle pour « l’image de joie » par rapport à « l’image de peur ». En conclusion, ces recherches fournissent parfois des informations partielles ou controversées sur les compétences perceptives présentes à la naissance mais dans tous les cas, peu sur la signification que le nouveau-né donne aux expressions faciales émotionnelles. Nous ne savons pas dans quelle mesure il est capable de comprendre ce que quelqu’un ressent en regardant le visage.

REPERES

Votre bébé est déjà capable de lire certaines émotions sur votre visage. Même s’il n’est pas nécessairement capable de leur attribuer une signification, elles auront une influence sur son développement.

Références

Field, T.M., Woodson, R., Greenberg, R., & Cohen, D. (1982). Discrimination and imitation of facial expression by neonates. Science, 218, 179 – 181. Kaitz, M., Meschulach-Sarfaty, O., Auerbach, J., & Eidelman, A. (1988). A re-examination of newborns’ ability to imitate facial expressions. Developmental Psychology, 24, 3 – 7

Farroni, T., Menon, E., Rigato, S. & Johnson, M. (2007). The perception of facial expressions in newborns. European Journal of Developmental Psychology, 4, 2-13

Le nouveau-né est-il capable d’imaginer les parties cachées d’un objet?

Dans la vie de tous les jours, beaucoup d’objets qui nous entourent sont partiellement cachés ou recouverts, comme par exemple une peluche sous un drap. Cependant, nous ne voyons pas ces objets en « mosaïque » ayant des surfaces interrompues ou des bords incomplets. En effet, nous « imaginons ou complétons », sans difficulté, de manière automatique et inconsciente, les zones cachées afin de percevoir l’objet comme un seul objet. Qu’en est-il chez les nouveau-nés et les bébés âgés de quelques mois ?
Pour étudier cette question de la perception des objets partiellement cachés, les psychologues commencent à présenter, dans une phase d’habituation, un bâton partiellement caché en son centre par une boite, et se déplaçant horizontalement (de gauche à droite et vice-versa). Seuls le haut et le bas du bâton sont donc visibles (Figure 9a).


Puis, en phase test, la boite écran est enlevée et on présente en alternance et toujours avec les mêmes mouvements, soit un bâton entier (Figure 9c), soit les deux morceaux de bâton correspondant aux deux parties visibles derrière le cache lors de la phase d’habituation (Figure 9b). On mesure ainsi les temps de regard de chaque scène pour observer une éventuelle réaction à la nouveauté.
Les bébés de 4 mois regardent en général plus longtemps les deux morceaux de bâton que le bâton entier. Cela signifie que les deux bâtons sont davantage nouveaux pour les bébés et donc que le bâton était bien perçu dans la phase d’habituation comme étant un seul objet. Cette préférence est présente seulement lorsque le bâton partiellement caché est animé d’un mouvement dans la phase d’habituation (aucune préférence n’est observée quand le bâton est stationnaire).
A 2 mois, si les bébés sont placés dans les mêmes conditions que les précédentes, alors ils ne perçoivent pas un bâton animé d’un mouvement horizontal comme un seul objet. En revanche, si la taille du cache est réduite de 20 % environ, ils préfèrent regarder la scène c, comme les bébés de 4 mois.
Les nouveau-nés regardent plus longtemps le bâton entier, ce qui signifie qu’ils ne percevaient pas l’unité du bâton en phase de familiarisation.

Figure 9. On habitue les bébés à regarder la scène (a). Une fois habitué à ce bâton partiellement caché, on présente aux bébés les scènes (b) et (c). Les nouveau-nés préfèrent regarder la scène (c), ce qui signifie que cette scène est plus nouvelle et que donc ils ne percevaient pas un bâton unique et entier en phase d’habituation. En revanche, les bébés de 2 ou 4 mois préfèrent regarder la scène (b), ce qui signifie qu’ils percevaient en phase d’habituation un bâton entier.

Les psychologues ont tenté de trouver s’il existait de meilleures conditions pour que les nouveau-nés se comportent comme les bébés plus âgés. Ils ont proposé de nouvelles scènes composées de davantage d’indices visuels : ils ont réduit par exemple, encore la taille du cache, ajouté des textures de façon à accentuer le contraste entre les objets. Malgré toutes ces modifications censées aider la perception de l’unité de l’objet, les nouveau-nés préfèrent en phase test encore regarder le bâton entier plus longtemps que les deux bouts de bâton.

Toutes ces expériences montrent que pendant la phase d’habituation, les nouveau-nés ont perçu seulement ce qui était directement visible (les deux parties du bâton), et n’ont pas imaginé ou complété l’image, comme le font les bébés plus âgés, pour percevoir un bâton entier. Il semblerait que la perception de l’unité de l’objet n’apparaisse que vers l’âge de 2 mois. A la naissance, la perception serait donc dominée par ce qui est visible et non par ce qui peut être imaginé.

Référence

Slater, A., Johnson, S., Brown, E., & Badenoch, M. (1996). Newborn infant's perception of partly occluded objects. Infant Behavior and Development, 19, 145-148.