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À quels indices les enseignantes et enseignants reconnaissent-ils la qualité de leur travail ?
Une enquête comparative dans les degrés primaires et secondaires de l’instruction publique 
de Suisse romande et du Tessin.

S Q H O L A R - Lien vers la lettre d'information : N°1-03/24

La QUALITÉ de l’enseignement est une préoccupation socialement grandissante, mais en même temps de plus en plus controversée : qui la définit et comment, en quoi les critères de jugement des pouvoirs publics, des usager-es et/ou des expert-es correspondent-ils ou non à ceux des professionnel-les concerné-es ? L’école publique et ses personnels ne sont pas épargnés par une dynamique de crise d’autorité et de légitimité qui peut brouiller les repères d’un « bien commun » auparavant plus implicite et donc plus évident. À contre-pied du désenchantement professionnel et des travaux qui en attestent – en termes notamment d’empêchements systémiques, de sentiments de disqualification, voire de difficultés de recrutement – ce projet de recherche espère identifier et conceptualiser les attentes normatives et les ressources d’alternative que les praticiennes et praticiens mettent en œuvre et expriment dans et par leurs pratiques. Il cherche à mieux comprendre comment celles et ceux qui exercent le métier négocient aujourd’hui, au quotidien, sans assurances ni garanties absolues, l’incertitude pratique et normative ordinaire largement constitutive de leurs décisions et actions professionnelles.

Nous posons ainsi la question des indices auxquels les enseignantes et enseignants reconnaissent la qualité de leur travail pour assumer de front l’ambivalence et l’équivoque des rhétoriques de la qualité et de sa désignation, en entrant dans la question non pas par le biais des obligations et définitions externes au métier (État, opinion publique, recherche pédagogique ou didactique, instituts de formation), mais par la voie privilégiée de l’expertise située des titulaires, en dernière instance seuls et seules garantes du métier et de ses effets de formation. Partir à la recherche de leurs indices d’expériences qualitatives de « beau travail » implique de passer par leurs verdicts plus ou moins spontanés de qualité, de là à des conflits possibles de normativités, puis à la faculté collective de se reconnaître réflexivement compétent dans des situations de tension, de contradiction ou d’indécision pratique qui ne peuvent pas interrompre l’action.

En nous entretenant avec une soixantaine d’individus exerçant dans les quatre cycles d’enseignement de trois cantons suisses (Genève, Vaud, Tessin ; cycles élémentaire, primaire, secondaire obligatoire et post-obligatoire), puis en croisant les regards dans une dizaine de groupes de discussion, nous chercherons à produire des données qualitatives complexes permettant de restituer les jugements, les critères et finalement les indices que prélèvent les enseignant-es pour reconnaître la qualité de leur travail sur le champ, tout en travaillant. La réunion des expériences pourra faire émerger un ethos et une expertise professionnelle plus ou moins partagés, une confrontation inter-cas et une comparaison avec les données récoltées en France par nos partenaires de l’Université Lyon 2 venant compléter ce tableau par le dévoilement de débats de normes sinon occultés.

Au final, l’explicitation des indices (sinon des indicateurs) associés par les enseignant-es à leur expérience d’un travail de qualité, en somme à leur sentiment de compétence ou d’expertise ordinaire, pourra déboucher sur une conceptualisation mieux informée des enjeux de contrôle et de consolidation des sources nécessairement plurielles de la légitimité professionnelle, en distinguant et en articulant l’un à l’autre les cadres normatifs plus ou moins externes ou internes aux pratiques qui qualifient le métier. Sous-tendue par la conviction que la controverse professionnelle constitue un outil déterminant du développement des métiers – aussi bien en formation continue dans les établissements scolaires et dans les dispositifs de formation initiale – notre recherche et ses résultats autant empiriques que théoriques pourront alimenter les arènes sociales et politiques où se délibèrent les enjeux de la reconnaissance du travail enseignant, en contribuant à en défendre la valeur de problème public d’intérêt commun, problème à la définition duquel, en terme de qualité particulièrement, les enseignantes et enseignants sont les premières et premiers intéressés.

Recherche soutenue par le

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Lien vers la requête déposée le 3  octobre 2022

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Le "beau travail" des enseignant-es.

Enquête et publication en partenariat avec ECP Lyon 2.

Si la recherche en éducation s’est intéressée aux métiers de l’enseignement sous l’angle des conditions de vie des personnes qui l’exercent, en corrélant notamment la satisfaction et le bien être des professionnels à une certaine efficacité – ressentie ou objectivée – de leurs pratiques sur l’apprentissage des élèves, elle s’est moins intéressée, dans une finalité comparable, aux expériences et aux images que les enseignant.es ont et se font de leur travail, encore moins en l’abordant par une étude du « beau travail » dans l’ordinaire des pratiques enseignantes.

Ainsi ce projet de recherche s'intéresse aux jugements que les professionnels de l’enseignement (primaire et secondaire) portent sur l’exercice, l’expérience et la définition de leur métier, pour chercher à en induire les critères et les normes qui les font juger de la beauté de leur travail. Appuyé sur un intérêt de connaissance et un matériau commun aux deux équipes de recherche, le travail engagé cherche à documenter et à problématiser l’importance de tels « jugements de beauté » et d’une qualification par les professionnels eux-mêmes des normes qui soutiennent une « expérience qualitative » du travail enseignant et des pratiques pédagogiques par lesquelles il s’exprime (quand il n’en est pas empêché).

L’insistance sur une telle perspective de définition interne au métier – et partie intégrante des pratiques – se veut constitutive d’une stratégie de réplique (phénoménologique) aux déterminations externes (par exemple néobureaucratiques) du métier et des normes qui prétendent en gouverner la conduite, la qualité, l’efficacité, le sens.

Cette question du « beau travail » – et sa documentation croisée dans une logique de recherche qualitative – peut interpeller au moins trois parties prenantes de la « lutte définitionnelle » portant sur les normes du métier : les enseignantes et enseignants (éventuellement leurs associations professionnelles), mais aussi les directions d’établissement (voire les ministères ou autre instances d’orientation et de contrôle du travail) ou encore les formatrices et formateurs (en institution ou sur les terrains), chacune de ces parties ayant – de manière plus ou moins contradictoire et/ou conflictuelle entre elles – à observer et questionner « le » travail enseignant : pour l’évaluer, le « valuer » et pourquoi pas juger – en tant qu’un des déterminants de sa qualité – de sa beauté et de l’importance de celle-ci au quotidien pour celles et ceux qui le pratiquent.

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Principales communications

Travail enseignant et évolutions de l’école primaire : entre besoins d’innovation et de stabilité. Symposium organisé par ECP & LIFE cdans le cadre du colloque « L’école primaire au 21e siècle » CY Cergy Paris Université, 12 au 14 octobre 2021.

Étudier le « beau travail » des enseignant-es : quel intérêt pour les trois sphères de la profession, de sa gouvernance et de sa formation ? Symposium organisé ECP & LIFE dans le cadre du congrès international AREF 2022 (thématique n°3 : bien-être en éducation et en formation). Université de Lausanne, 13 au 15 septembre 2022.


Le travail réel des directions d'institutions scolaires et socio-sanitaires
Une recherche conduite en Suisse romande par trois hautes écoles partenaires

Université de Genève, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Haute école de travail social de Genève.
Projet soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.

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La profession de responsable d'institutions de formation vit des changements importants depuis plusieurs années. Ces changements sont dus, pour une part, à l'évolution du contexte social et culturel : flux migratoires, évolution des mentalités, exigences accrues des parents, proches et de la société, développement des nouvelles technologies, en particulier. D'autres changements sont de nature institutionnelle et politique, comme le développement d'une plus grande autonomie, variable selon les cantons, des établissements, et entraînent des responsabilités accrues pour leurs cadres.

Ces évolutions aboutissent à une complexification de leurs fonctions et des besoins nouveaux de compétences : organisation du travail en vue d'un enseignement/d'une gestion toujours plus efficace et équitable pour les établissements scolaires et sociaux à tous les niveaux, afin de renforcer le management stratégique, la communication, le leadership, le développement de la communauté d'apprentissage, l'analyse et intervention dans l'environnement social et institutionnel, en particulier. Au-delà de cette évolution commune, il faut constater que les cadres des établissements scolaires et sociaux constituent une catégorie hétérogène.

D'une région à l'autre, les statuts des directeurs généraux, des responsables de services de formation, des chefs d'établissements, des inspecteurs différent, de même que leurs missions, leurs compétences, leur rapport à d'autres catégories de professionnels, leur fonctionnement solitaire, à la tête d'une équipe de direction ou en interaction forte avec leurs collaborateurs (corps enseignant dans le cas des établissements scolaires, éducateurs et personnel médico-social dans le cas des établissements sociaux). S'y ajoute le fait que la fonction est presque partout en débat et en évolution, voire en tension entre différentes conceptions du rôle, par exemple entre une dominante gestionnaire, voire une insistance sur le leadership culturel et/ou transformationnel.

La professionnalisation des métiers de l'éducation s'inscrit dans ce contexte. Elle vise à munir les cadres des établissements concernés d'outils conceptuels et concrets leur permettant d'exercer le leadership nécessaire pour y assurer un développement durable de la qualité. Dans cette perspective, la Suisse Romande se mobilise actuellement autour de la formation des directeurs d'établissements scolaires. La CIIP vient de charger un consortium constitué par les Hautes Ecoles HEP-L, IDHEAP, IFFP et UNI-GE de former, en emploi, leurs chefs d'établissement (dont une centaine de nouveaux seront nommés d'ici l'automne 2008 par le DIP-GE, pour l'enseignement primaire). La HES-Santé Sociale de Genève (HETS-GE) forme déjà depuis plusieurs années ses directeurs d'établissements opérant dans les diverses institutions du domaine de la santé sociale (EMS, crèches).

Cette mouvance prononcée vers la tertiarisation de la formation des cadres des institutions scolaires et sociales exige en même temps un renforcement des axes de recherche centrés sur les réalités psychosociologiques des publics concernés afin de permettre d'élaborer les futurs référentiels de compétences fondés sur des données empiriques. Alors que la littérature scientifique anglo-saxonne et francophone voire suisse alémanique sur le travail des cadres dans les domaines scolaires et sociaux déborde, il manque actuellement des recherches centrées sur le contexte suisse romand, offrant, entre autres, une meilleure compréhension les liens existant entre les nouvelles politiques de gouvernance, les réalités contextuelles dans les différents lieux de travail (établissements scolaires et sociaux) et le travail des chefs d'établissements scolaires et sociaux.

La recherche conduite par CADRE (Collectif d’analyse du travail réel des directions d’établissements scolaires et socio-sanitaires (CADRE) est censée répondre à ce besoin. Etant consciemment constituée dans une perspective romande et interinstitutionnelle, le collectif vise à étroitement s'associer aux formations évoquées.

Conçue et menée selon les principes de la « théorie fondée », la recherche s’inscrit dans un dispositif d’aller-retour permanent entre enquête, construction d'hypothèses et modélisation, de manière à pouvoir interroger, enrichir, complexifier, voire transformer plusieurs entrées conceptuelles (formulées sous forme de questions) figurant dans le schéma ci-dessous.

Certaines des relations mises en évidence sont purement logiques : par exemple l’idée que le contexte politique et organisationnel exercera une influence sur le contexte local et se combinera ensuite avec la biographie de l’individu pour influencer son organisation des dossiers, voire sa vision du leadership ; ou encore que la manière dont les individus parviennent ou pas à organiser leurs dossiers contribue à l’émergence de telle ou telle forme de leadership.

L’intérêt de l’approche choisie consiste à pouvoir saisir, au plus près de la réalité, la manière dont travaillent les directeurs, les facteurs contextuels qui les incitent à structurer leur travail selon des dossiers plus ou moins prioritaires, la conception qu’ils ont de leur rôle et donc du travail à faire, enfin les dynamiques institutionnelles, locales et personnelles qui leur permettent ou les empêchent de dépasser les épreuves spécifiques de leur métier. CADRE considère le directeur d’établissement comme un acteur appelé à affronter une série d’épreuves subjectives. Ces dernières sont définies comme des défis que le sujet doit relever, affronter, qui sont socialement institués et donc dépendants du
contexte, mais personnellement éprouvés et surmontés ou non par les personnes concernées. L’avantage de l’approche d’une
profession à travers les épreuves consiste à parvenir à capter une problématique historique commune à laquelle la plupart des
acteurs de même statut sont – inégalement – confrontés.

La description et l’analyse de la manière dont les directeurs perçoivent leur contexte de travail, conçoivent et gèrent leurs dossiers et rencontrent voire dépassent les épreuves du métier, ont certes représenté l’essentiel des efforts visant à capter la réalité de leur activité. En même temps
elles ne représentent pas le point d’aboutissement de l’analyse, mais représentent plutôt un ressort censé aider à identifier, en amont, l’impact des dynamiques institutionnelles qui ont contribué à leur existence et, en aval, les postures et les compétences que les directeurs ont été ou
devraient être amenés à développer.

D’autres énoncés se fondent sur des théorisations et les recherches empiriques antérieures, qui nous ont incités à définir nos entrées conceptuelles et les variables inscrites dans les différents éléments du système : dossiers, dimensions du leadership, épreuves, influence du genre sur l’autorité exercée, style adopté en matière de leadership, choix des dossiers, priorité accordée à la rationalité ou à l’émotion…, sachant
que ces variables sont sujettes à évolution, au gré des analyses et remaniements successifs. Le but n’était donc pas de décrire le travail des cadres tel que l’on peut l’imaginer ou le prescrire, mais leur travail réel : les tâches qu’ils effectuent, les problèmes qu’ils rencontrent, les savoirs, les attitudes, les compétences dont ils usent dans le quotidien de leur action. L’intention était de mieux connaître et reconnaître l’activité des directeurs, malgré le fait ou plutôt du fait même que c’est une activité normative et normée, généralement chargée de formuler et d’appliquer des prescriptions. Les publications suivantes résument les résultats obtenus.

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Principales publications

(2011). Gather Thurler, M., Kolly Ottiger, I., Losego, P., Maulini, O., Denecker, C. M., Jan, A., Meyer, A., Progin, L., & Tchouala, C. Le travail réel des directeurs d'institutions scolaires et socio-sanitaires. Une recherche conduite en Suisse romande par trois hautes écoles partenaires (Par ; Vol. ) [Rapport de recherche]. HEP Lausanne, HETS Genève, Université de Genève.

(2012). Infolettre de CADRE n°4. (O. Maulini, M. Gather Thurler, I. Kolly Ottiger, & P. Losego, Éds.).

(2013). Rentrer dans le CADRE. Enquête au coeur du travail de direction. Actes du 85e séminaire de la CRoTCES (M. Gather Thurler, I. Kolly Ottiger, P. Losego, O. Maulini, A. Meyer, & L. Progin, Éds.; Vol. ) [Actes de conférence].

 (2017). Les directeurs au travail. Une enquête au coeur des établissements scolaires et socio-sanitaires (O. Maulini, M. Gather Thurler, I. Kolly Ottiger, & P. Losego, Éds.; Vol. ) [Ouvrage collectif]. Peter Lang. | Présentation de l'ouvrage sur le site de LIFE.

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