Conférences publiques

Pour une ingénierie de formation au service d’une interaction apprenant-environnements d’apprentissage constructive / Bernadette Charlier, Université de Fribourg / 15 11 2022

Retour sur la conférence de Bernadette Charlier du 15 novembre 2022

Par Daniele Beltrametti, équipe I-ACT, RIFT, Université de Genève

Cette conférence a été organisée avant le départ à la retraite de la Professeure Bernadette Charlier, qui a longuement collaboré avec le secteur de formation d’adultes de la FAPSE – dans le cadre notamment des Séminaires européens de recherche. Le secteur de la formation des adultes a voulu remercier et valoriser le travail de la Professeur Charlier en organisant cette conférence par le biais du laboratoire RIFT.

En guise d’introduction, la Professeure Nathalie Delobbe a remercié la conférencière et salué la longue et prolifique carrière de Bernadette Charlier, qu’elle a connu au début de ses activités académiques et avec laquelle elle a développé de nombreuses collaborations.

Bernadette Charlier a été enseignante avant d’entamer une carrière universitaire. Le titre de sa conférence a été tiré d’une publication récente et plus particulièrement d’une réflexion sur la participation des apprenant·es dans la conception d’un dispositif hybride.

En guise d’introduction, Bernadette Charlier a insisté sur l’importance de mettre au centre du dispositif de formation l’interaction entre l’apprenant·e et l’environnement d’apprentissage (ou de travail ou de loisir) plutôt que l’apprenant·e seul·e.

La première partie de la conférence a été consacrée à la définition de la notion d’«interaction constructive apprenant-environnement ». Cela a nécessité de rappeler un certain nombre de principes théoriques importants, comme le fait que l’apprentissage n’est pas un processus passif ou encore que les activités d’apprentissage ne sont pas déclenchées directement par les activités d’enseignement, puisque ce sont les apprenant·es qui vont interpréter ces activités, se les approprier à leur manière et les transformer pour en faire des apprentissages. Les stratégies d’enseignement et les stratégies d’apprentissages ne sont pas toujours compatibles, et cette relation peut parfois amener à des frictions, qui peuvent être destructives ou constructives. L’apprentissage ne concerne pas uniquement l’apprenant·e seul·e, mais aussi son environnement personnel d’apprentissage. La répartition de la prise en charge de la régulation des apprentissages entre les apprenant·es (auto-régulation) et les enseignant·es (régulation) impliquent des tensions, qui se situent à différents niveaux et se constituent en un certain nombre de typologiques.

La situation du covid totalement inattendue a mis tous les apprenant·es devant des environnements d’apprentissage nouveaux, ce qui a permis de réaliser de nouvelles analyses. C’est dans ce cadre que Bernadette Charlier et son équipe ont demandé à des enseignant·es et des étudiant·es de décrire des activités d’enseignement telles qu’elles étaient avant le covid et telles qu’elles étaient pendant le covid, pour identifier les modifications dans les composantes de l’environnement personnel d’apprentissage. Cette étude a notamment évalué le niveau de congruence de la perception de l’enseignant·e et des apprenant·es sur une même situation d’apprentissage, en mettant en avant les écarts éventuels, avec une congruence constructive dans certains cas ou des frictions destructives dans d’autres cas.

Plusieurs chercheur·es et auteur·es ont travaillé autour du même concept de représentation de l’apprenant de l’environnement d’apprentissage, avec des terminologies différentes mais centrées sur les mêmes concepts de fonds. Bernadette Charlier a rappelé succinctement leurs apports. Ainsi, en résumé, le concept d’environnement personnel d’apprentissage inclut les stratégies d’apprentissages de l’individu (cognition et métacognition), les instruments mobilisés et l’aspect intentionnel de l’individu. C’est la perspective instrumentale développée par Rabardel notamment.

La deuxième partie de la conférence a porté sur les étapes d’une ingénierie de formation centrée sur la construction de cette interaction par l’apprenant·e avec son environnement d’apprentissage. Les apprenant·es vont de toute façon agir sur cette construction, il s’agira surtout d’accompagner ce processus.

Une analyse des besoins de formation nécessite une analyse en profondeur de la situation de la personne concernée, l’idéal qu’elle souhaite atteindre et les actions possibles qui pourraient permettre de combler cet écart. Cette analyse doit être répétée tout au long du processus de formation, puisque la situation se modifie continuellement.

Bernadette Charlier a insisté sur la responsabilité partagée entre enseignant·es et apprenant·es de l’accompagnement de la construction de la relation avec l’environnement d’apprentissage, qui peut être réalisé sur les plans suivants :

  • L’agentivité : montrer les opportunités et les limites, il s’agira de se rendre « apprivoisables »
  • Indépendance : penser et agir seul·e, rendre aux apprenant·es la fonction d’exécution ; c’est l’apprenant·e qui décide en fonction de ses besoins
  • Réflexivité : soutenir une réflexivité augmentée, par exemple en s’appuyant sur des tableaux de bord dans les plateformes numériques
  • Choix-ouverture : mettre en évidence les possibilités de choix offertes par l’environnement / guider l’analyse.

Certains travaux de Bernadette Charlier ont ainsi porté sur la modélisation du rapport entre l’apprenant·e et son environnement d’apprentissage, ce qui a été illustré avec l’exemple des apprentissages réalisés par un radiologue en formation dans un nouveau contexte de travail.

En guise de conclusion, Bernadette Charlier a insisté sur l’importance d’offrir des méthodes et des instruments de formation facilitant l’élucidation des besoins, permettant de reconnaître les limites imposées par les environnements de formation/apprentissage et fournissant des artefacts accordant à l’apprenant la fonction d’exécution et augmentant sa réflexivité. Tout cela sans oublier les publics adultes avec des besoins de formation de base, qui ne possèdent pas forcément les compétences (numériques et transversales) nécessaires à garantir cet engagement dans la formation. Pour ces adultes, il est indispensable de garantir la mise en place de certains prérequis, faute de quoi l’engagement en formation pourrait représenter un fardeau plutôt qu’un levier d’émancipation individuelle.

 

Résumé de la conférence

Cette conférence fondée sur une publication récente (Charlier, 2022) envisagera les défis posés à une ingénierie de formation au service d’une interaction constructive entre chaque apprenant et des environnements d’apprentissage efficients – qu’ils soient de travail, de formation ou personnels. Envisager ces défis du point de vue d’un apprenant concepteur de ses environnements d’apprentissage permettra de souligner les conditions d’une interaction alignée (Biggs, 1996), congruente (Entwistle, 2018) constructive ou, au contraire, destructive (Vermunt & Verloop, 1999). Créer ces conditions sollicite nécessairement un engagement humain et non humain, en particulier, celui des technologies de plus en plus mobilisées. Il s’agit notamment, pour les acteurs, d’accepter de rendre visibles de nombreuses dimensions habituellement cachées : besoins, contraintes et ressources, ouverture ou fermeture. L’exposé appuiera les propositions sur des résultats récents de recherche et des illustrations issues de dispositifs concrets.

 

La conférencière

Bernadette Charlier est Professeur émérite en sciences de l'éducation à l'Université de Fribourg (Suisse) et Professeure invitée à l'Université de Louvain en Belgique (UCLouvain). Sa carrière de recherche s'est concentrée sur le développement et l'évaluation d'environnements d'apprentissage innovants pour l'enseignement supérieur et la formation des adultes. Elle a mis l'accent sur la recherche pour l'éducation et la formation, le plus souvent menée en collaboration internationale avec des praticiens. Elle poursuit ses travaux et interventions dans le cadre de collaborations universitaires en Europe et en partenariat avec l'entreprise Yllyl en Suisse.

 

Références

Charlier, B. (2022). Penser une interaction apprenants-environnements constructive. In Collard-Bovy, O., Jézégou, A., & De Viron, F. (Eds.),  Adultes et Formation. Penser et Agir autrement (pp. 235.258). Presses universitaires de Louvain.

31 janv. 2023

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