Juin 2024 (n°34)

Engager le collectif à penser le CARE en formation des adultes : rétrospective d’un projet ambitieux

Propos recueillis ar Sandra Zanelli, DAS-CAS FA, RIFT, Université de Genève

Juin 2024

À l'occasion de la parution du numéro thématique « Prendre soin dans le monde » : Perspectives du care et formation d’adultes dans la revue TransFormation, comprenant 12 articles, dont 6 signés par des membres du RIFT, nous avons eu le plaisir de rencontrer Cecilia Mornata et Maryvonne Charmillot. Elles ont porté le projet de publication et le cycle de conférences sur le CARE qui a commencé en octobre et s’est terminé en mai.

1) Parlez-nous de la genèse du projet CARE.

C.M :  Il y a environ quatre ans, nous avons effectué un travail important au sein du RIFT afin d’identifier des thématiques en vue d’un projet de publication collectif. Nos réflexions s’inscrivaient dans la continuité du cycle de conférences de 2017-2018 « Vulnérabilité(s) et formation ». Plusieurs pistes ont émergé, dont la dimension du CARE, qui nous a semblé pertinente justement parce qu’elle permet d’une part de faire état de situations de vulnérabilité, d’autre part d’incarner une méthode, théoriquement outillée, à même de répondre à ces situations de vulnérabilité.

M.C : Le but était donc d’engager le collectif à se pencher sur les théories du CARE qui sont moins familières dans le domaine de la formation des adultes. Cela impliquait de sortir de sa zone de confort en empoignant un concept plus « méta » avec une dimension politique.

C.M : Au-delà de cette démarche, il y avait aussi la volonté sous-jacente de voir comment ce champ théorique peut résonner de manière critique avec nos pratiques, et plus exactement nos manières de faire de la recherche, de former, de travailler ou simplement de vivre le quotidien.

2) Concrètement, comment le concept du CARE peut-il être saisi et mis en œuvre dans ce cadre ?

M.C : On parle souvent du CARE au premier niveau : soigner et prendre soin. En réalité, en se limitant à cette expression, on effleure à peine la profondeur et la complexité du sujet.

C.M : Effectivement, notre objectif ici était de s’emparer des théories du CARE dans leurs dimensions politique, critique et subversive si l’on peut dire. Ces dimensions sont très explorées dans des théories féministes postcoloniales et décoloniales, déconstructionnistes ou même philosophiques.

M.C : La démarche était donc d’envisager que les perspectives du CARE puissent donner un nouveau souffle à la tradition de l’éducation des adultes développée à l’origine par les intellectuels sud-américains comme Paulo Freire et Orlando Fals Borda. Autrement dit, poursuivre l’engagement dans le monde et la lutte contre les injustices sociales initiés par les mouvements sud-américains. Et dans cette perspective, le cycle de conférences qui a précédé la publication avait aussi pour but de permettre au public et aux chercheurs de venir poser des questions, d’échanger mais aussi de se confronter à cette façon inédite de penser la formation des adultes. 

3) Quels défis avez-vous rencontrés dans cet ambitieux projet ?

C. M : Le projet était un pari à plusieurs égards. Il a d’abord fallu lever des écueils liés à la publication et faire des choix cohérents qui ont mené à publier dans la revue TransFormation. Puis, on s'était donné comme objectif de trouver nous-mêmes des expertes et des experts par thématique, afin de réunir à la fois une expertise en formation des adultes et une expertise du CARE ; rares étant les chercheurs et les chercheuses qui traitent de ces deux sujets. C’était un défi ! Enfin, nous avons décidé de mettre sur pied un accompagnement personnalisé pour chacun des articles. Cela partait aussi d’une volonté, d’appliquer le concept même du CARE dans les processus de publication habituellement très standardisés et pas forcément bienveillants. Les retours des auteurs et des autrices ont été vraiment très positifs, mais cela a impliqué un énorme investissement de notre part en marge des conférences et de notre travail quotidien. Finalement, nous sommes très satisfaites, car les textes sont vraiment d’excellente qualité. 

4) Dans le cadre du projet, tirer le fil de la formation des adultes dans les perspectives du CARE n’a pas toujours été évident, quel bilan en tirez-vous ?

M.C : Notre intention initiale était d’impliquer dans les conférences, puis dans la publication des personnalités, spécialistes du CARE, comme Patricia Paperman, Kaoutar Harchi, Gayatri Chakravorty Spivak, Vanina Mozziconacci et Nathalie Zaccaï-Reyners. Cette démarche a effectivement parfois eu pour conséquence de s'éloigner du domaine de la formation des adultes. Cependant, dans un autre sens, elle a contribué à renforcer et consolider le champ théorique du CARE.

C.M : En effet, l’inclusion de chercheuses davantage orientées vers le champ théorique du CARE a créé un cadre nécessaire pour une compréhension plus exhaustive de la problématique. D'autre part, la participation de chercheurs et chercheuses issu-es du domaine de la formation des adultes a permis de déplacer notre regard sur nos pratiques, illustrant ainsi des façons concrètes de mobiliser le concept du CARE. Ce juste équilibre était indispensable pour assurer la réussite du projet dans son ensemble.

5) Pour finir, quel bilan peut-on tirer sur les apports de ce projet éditorial autour du CARE ?

C.M : Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions et nous n’avons pas l’ambition de dire ce que le projet a apporté à la communauté scientifique. Mais pour parler de notre trajectoire et de notre expérience en tant qu’éditrices, chercheuses et porteuses du projet, nous pouvons dire qu’il y a effectivement eu un déplacement. On peut parler d’une éthique assumée, une sorte d’obligation morale de penser nos pratiques avec ce filtre du CARE.

M.C : Peut-être, on l’espère, que notre invitation à explorer cette problématique et embrasser les théories du CARE en formation des adultes aura suscité une résonnance pour d’autres, des ressources ou des lieux pour penser autrement le social, la recherche, les pratiques de formation.  Même si cela signifie devoir se mettre en difficulté par moment, dans le sens penser à contre-courant, l’objectif est d'encourager une réflexion différente, couplée à une certaine audace comme l’écrit Marwa Mahmoud, une des autrices du numéro, pour aller à l’encontre des normes, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles perspectives.

28 juin 2024

Juin 2024 (n°34)