Juin 2024 (n°34)

Le care est-il utopique ? | Vanina Mozziconacci (Université Paul Valéry Montpellier) | 27.02.2024

RETOUR SUR LA CONFERENCE DU 27 FEVRIER 2024

Par Léa Beaud, Equipe Interaction & Formation, RIFT, Université de Genève

La conférence de Vanina Mozziconacci avait pour titre « Le care est-il utopique ? ». La conférencière a débuté son argumentaire avec plusieurs précisions quant aux choix de ce titre.

Le caractère « utopique » n’est ainsi pas à comprendre comme étant « inatteignable » ou « inaccessible », mais davantage comme étant « révolutionnaire ». Dans son ouvrage Qu’est-ce qu’une éducation féministe, elle définit l’utopie comme un outil de reconstruction. L’utopie, écrit-elle, est un optimisme méthodique (par comparaison au doute méthodique cartésien). Elle peut être appréhendée comme une « cartographie alternative qui permet de penser aussi bien la critique des conditions d’existence actuelle que leur transformation » (p.  360 ).

La conférencière a ensuite présenté son point de vue selon lequel le care n’est pas uniquement une dyade entre deux personnes, à savoir le care-giver et le care-receiver et qu’il ne faut pas s’en tenir à une « robinsonnade ». Les institutions doivent être prises en compte, ainsi que le contexte dans lequel le care émerge. Sa posture s’appuie sur les travaux de Joan Tronto, qui comprend la notion de care dans sa dimension politique, institutionnelle et collective et non pas dans sa dimension uniquement éthique, morale et individuelle. Tendre vers une transformation des personnes sur un plan éthique et de manière individuelle n’est pas efficace : Vanina Mozziconacci exemplifie cette idée en précisant qu’apprendre le care aux enfants dans sa dimension empathique et d’attention à l’autre ne suffit pas à transformer la société. Il est nécessaire de se concentrer sur le plan institutionnel, afin de ne pas individualiser le care et de favoriser un care qui soit distribué de manière plus juste dans la société. Selon ce point de vue, le care aide à repenser notre société et à la recartographier sur un plan politique.

Il devient central dès lors de s’interroger sur la manière dont s’organisent les différentes institutions, comme l’école, le temps de travail et la famille, car elles déterminent les possibilités du care. Ceci demande de repenser complètement l’organisation sociale pour la transformer vers une société qui inclut davantage le care. La conférencière décrit ainsi la conception utopique et révolutionnaire du care, en référence à Tronto dans son ouvrage Caring Democracy (2013) : les chances de réussite des personnes ne seraient pas limitées par le sexe, l’orientation sexuelle ou d’autres facteurs. Les personnes seraient libres de choisir de vivre avec d’autres personnes en recréant une conception de la famille en dehors des liens du sang. Les personnes qui travaillent dans le service à la personne seraient davantage rémunérées afin d’éviter une distinction de classe entre ceux-celles qui font ce travail et les personnes qui en bénéficient. Finalement, les institutions mettraient un point d’attention à s’organiser de manière à ce que toute personne, qu’elle soit vulnérable ou non, soit soutenue par la société.

La conférencière a donné par la suite quelques exemples d’institutions démocratiques de care en se basant sur plusieurs autrices. Ces exemples portaient notamment sur la création de foyers alternatifs qui remplaceraient les familles traditionnelles et dans lesquels la prise en charge des enfants serait une tâche partagée entre plusieurs personnes en s’appuyant sur l’autrice Sulamith Firestone. Un deuxième exemple portait sur des bâtiments qui permettent un partage de la prise en charge domestique, notamment de la préparation de la nourriture, grâce à un seul espace cuisine pour plusieurs appartements. Chaque foyer d’habitation s’occupe à son tour de la nourriture et tout le monde mange ensemble, d’après l’autrice Dolores Haydens. La conférencière précise également que la cellule de la famille devrait être une cellule davantage partagée entre plusieurs personnes et que le care ne devrait pas avoir lieu uniquement dans cette cellule-là, mais à d’autres niveaux dans la société, institutionnel notamment.

Vanina Mozziconacci a terminé sa présentation en revenant sur la visée utopique du care, qui demanderait de lui accorder plus de temps, d’espace et de ressources, ainsi que d’en faire une responsabilité collective et l’objet d’un processus politique délibéré au sein des différentes institutions de notre société.

Résumé de la conférence

La forme utopique que prenVMozziconacci_image affiche.JPGnent certaines théorisations du care donne à réfléchir sur ce que nous devrions attendre d’une conception féministe de l’éducation qui engage une refonte des institutions éducatives. Si le care ne se réduit pas à un seul enjeu éthique mais constitue bien un enjeu proprement politique, penser à l’échelle de l’institution permet de concevoir le social avec le moral – or, l’éducation pose précisément la question du passage d’une échelle à l’autre.  Je montrerai  qu’une pédagogie du care – version éducative d’une éthique du care – ne peut pas  être le tout d’une redéfinition de l’éducation visant à (re)valoriser le care. Le projet  doit être plus vaste : il faut, pour l’éducation, comme l’exige Joan Tronto, prendre  en considération des « niveaux de care les plus étendus » en gardant à l’esprit que « toute théorie morale s’accorde mieux avec certaines institutions sociales qu’avec d’autres ». À quoi ressembleraient alors des institutions éducatives de care à la fois féministes et démocratiques ?

 

La conférencière

Vanina Mozziconacci est agrégée de philosophie et maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Elle est rattachée au laboratoire CRISES  (EA 4424). En tant que cofondatrice du laboratoire junior GenERe (Genre : Épistémologie & Re- cherches), elle a codirigé l’ouvrage Épistémologies du genre. Croisements des disciplines, intersec- tions des rapports de domination (ENS éditions, 2018) ; elle a également publié Qu’est-ce qu’une  éducation féministe ? Égalité, émancipation, utopie (Éditions de la Sorbonne, 2022).

28 juin 2024

Juin 2024 (n°34)