Juin 2024 (n°34)

STAYING ON BOARD - Comprendre le rôle de la formation en entreprise dans la socialisation et la rétention des apprenti-es ASSC

Par Nathalie Delobbe, équipe ACT’FOR, RIFT

Face la pénurie de main d’œuvre dans le secteur des soins de santé, intensifier les efforts de formations et améliorer la rétention du personnel formé constituent des défis de taille. C’est pour contribuer à les relever que la qualification d'apprentissage de niveau secondaire supérieur Assitant-es en Soins et Santé Communautaire (ASSC) a été créée en 2004 et conçue pour permettre une passerelle vers les professions infirmières de niveau tertiaire. Ce programme de formation bénéficie d'un haut niveau d'attractivité et est suivi par près de 5000 apprenti-es par an. Il souffre toutefois d’un faible taux de rétention dans le métier, puisque seul-e un-e diplômé-e ASSC sur quatre exerce encore cette profession cinq ans après la fin de son apprentissage[1]. La rétention des jeunes diplômées est particulièrement sensible dans les segments des maisons de retraite (EMS) et des institutions de soins à domicile.

Pour les entreprises formatrices, pouvoir retenir les jeunes diplômé-es ASSC dans le métier et dans l’entreprise formatrice est pourtant le gage d’un retour sur investissement. Indispensable au fonctionnement de la formation professionnelle duale, l’engagement des employeurs est motivé notamment par des raisons économiques, orientées soit vers l'augmentation de la productivité, soit vers l'investissement dans le développement d'un pool de travailleuses et travailleurs qualifié-es. Concernant la formation d’apprenti-es ASSC, l'Observatoire suisse de la formation professionnelle met en évidence un bilan couts-avantages défavorable aux entreprises formatrices. Pour elles, l’enjeu est d’abord de se constituer un vivier de recrutement pour pallier durablement à leurs besoins en personnel.

Dans ce contexte, le projet de recherche « Staying on board » vise à mieux comprendre le rôle et les leviers d’action des entreprises formatrices dans la formation professionnelle, la socialisation organisationnelle et la rétention des apprenti.es ASSC. Initiée par Nathalie Delobbe, en collaboration avec Mathilde Bourrier, Professeure en Faculté des Sciences de la Société, il bénéficie du soutien du Secrétariat d’Etat à la Formation, à la Recherche et à l’Innovation (SEFRI) pour une durée de 4 ans. Il est articulé autour de trois questions de recherche :

1- Quels sont les processus psychosociaux par lesquels les apprenti-es ASSC développent un sentiment d'appartenance, d'engagement organisationnel et de loyauté à l'égard de l'entreprise formatrice ? Devenir ASSC implique la construction d'identités multiples, en tant que travailleur-euse exerçant une profession spécifique dans un contexte organisationnel particulier. C'est principalement cette dernière facette du processus de construction identitaire et de socialisation qui est examinée dans cette étude.

2- Comment les ressources et l'environnement mis en place dans l'entreprise formatrice peuvent-ils contribuer à socialiser et retenir les apprenti-es ? L'étude analyse les caractéristiques du système de formation sur le lieu de travail qui, au-delà du plan formel de formation, contribuent aussi au développement de l'engagement organisationnel et la loyauté des apprenti-es ASSC.

3- Existe-t-il des variations entre les secteurs de la santé, en matière de processus de socialisation et d'environnement de formation pour les apprenti-es ASSC, qui pourraient expliquer pourquoi certains secteurs sont plus attractifs que d'autres pour les jeunes diplômé-es ? Pour répondre à cette question, trois contextes organisationnels distincts seront comparés : les établissements de soins à domicile, les maisons de soins infirmiers de longue durée et les hôpitaux de soins de courte durée.

A partir des connaissances scientifiques existantes sur la socialisation organisationnelle et sur les facteurs de qualité de la formation duale, ce projet mobilise une méthodologie mixte combinant une démarche qualitative inductive et une enquête quantitative à visée confirmatoire. Des études de cas compréhensives sont en cours de réalisation au sein de neuf institutions formatrices dans les cantons de Genève, de Vaud et de Berne et actives dans les trois segments étudiés (EMS, soins à domicile, hôpitaux de soins aigus) pour identifier les facteurs et leviers de socialisation et de rétention des apprenti.es ASSC. Ces études de cas combinent des journées d'observation et des entretiens approfondis avec une vingtaine d’apprenti.es ASSC et sont complétées par des focus groupes et des entretiens avec les acteurs des entreprises formatrices et du secteur.  Dans un second temps, une enquête quantitative testera à plus large échelle la robustesse et la généralisation des propositions émergeant des études de cas qualitatives. Environ 800 apprenti-es, contacté-es via les écoles de formation professionnelle, seront invité-es à remplir deux questionnaires, l'un pendant leur dernière année de formation et l'autre trois mois après l'obtention de leur diplôme.

En identifiant les leviers mobilisables pour améliorer la rétention des jeunes diplômé-es ASSC dans le métier et dans l’entreprise formatrice, cette étude contribuera aussi à promouvoir une approche globale de l'environnement d'apprentissage en entreprise auprès des concepteurs et des gestionnaires de la formation et à élargir le spectre des indicateurs pris en compte par les autorités publiques et les institutions de recherche lors du suivi de la qualité du système suisse de formation professionnelle.

Dans le souci de bénéficier avant tout aux entreprises formatrices et aux acteurs de terrain de la formation professionnelle dans le secteur de la santé, cette étude repose sur un travail partenarial entre université et milieux professionnels. Cette démarche partenariale implique les entreprises formatrices et écoles de formation professionnelle participantes dans le pilotage de la recherche et la valorisation pratique des résultats. Elle permettra de diffuser et discuter plus largement les résultats dans les milieux professionnels, pour nourrir concrètement les pratiques de formation en entreprise.


[1] Trede, I., Grønning, M., Pregaldini, D., Kriesi, I., Schweri, J., & Baumeler, C. (2017). Assistant-e en soins et santé communautaire - Emploi de rêve ou étape intermédiaire? Derniers résultats de l'étude sur les parcours de formation et les parcours professionnels des personnes ayant accompli l'apprentissage d'ASSC. Zollikofen, Berne: Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle IFFP et OdASanté.

28 juin 2024

Juin 2024 (n°34)