Juin 2024 (n°34)

« Mineur·es sous contrainte, violence négociable ? L’expérience silenciée des personnes privées de liberté en psychiatrie avant leur majorité (Genève, années 1960 – années 2020) »

Olivia Vernay, Observatoire romand de la contrainte en psychiatrie (Association romande Pro Mente Sana)

Thèse soutenue le 23 mai 2024 à l'Université de Genève

Résumé de la thèse

Les mesures de privation de liberté et de contrainte dévolues aux mineur·es en psychiatrie sont relativement peu thématisées dans la société, et, dans le monde académique, sont principalement l’objet de recherches cliniques en sciences médicales. Par ailleurs, dans l’espace européen francophone, les quelques rares recherches en sciences sociales menées sur les dispositifs psychiatriques pour les mineur·es ne prennent pas en compte l’expérience des mineur·es concerné·es et se réfèrent au paradigme médical : elles mobilisent ainsi une perspective ciblée sur le pathologique plutôt qu’une perspective critique ciblée sur la construction sociale de la réalité (Schurmans & Charmillot, 2007). Les savoirs produits sur les mesures de privation de liberté et de contrainte dévolues aux mineur·es en psychiatrie sont dès lors situés et partiels (cliniques, académiques) puisque le point de vue des mineur·es concerné·es n’est jamais mobilisé et que leur expérience est ignorée et silenciée.

Cette thèse s’intéresse à l’expérience des personnes privées de liberté en psychiatrie, à Genève, de 1960 à nos jours, et propose un renversement de perspective : en mobilisant l’analyse et les savoirs développés par les personnes concernées, elle permet d’une part d’apporter un autre regard sur l’expérience des mineur·es privé·es de liberté en psychiatrie que celui proposé par la recherche clinique et pointe d’autre part l’importance de l’impact sociétal sur le vécu des personnes. Guidée par une réflexion socio-historique, cette recherche adopte une approche intersectionnelle pour analyser les différentes dimensions des rapports de pouvoir et des mécanismes de domination sociale – liés au genre, à l’âge et au diagnostic de trouble psychique — qui opèrent dans les mesures de privation de liberté et de contrainte dévolues aux mineur·es ainsi qu’une approche critique pour analyser la silenciation de l’expérience des personnes privées de liberté en psychiatrie avant leur majorité. L’analyse de l’expérience des personnes concernées, produite au cours d’entretiens compréhensifs, met en lumière d’une part une psychiatrisation des maltraitances et violences faites aux enfants et aux adolescent·es, et d’autre part les multiples contraintes et violences institutionnelles, exercées sur les mineur·es psychiatrisé·es au nom du soin et de la protection.

La posture adoptée dans cette recherche s’inscrit dans l’épistémologie compréhensive et l’épistémologie du lien (Piron, 2017), dont les fondements s’articulent autour du lien social, et ont pour horizon éthique la responsabilité pour autrui et l’engagement dans le monde. La chercheuse intègre dans son questionnement la dimension biographique dont celui-ci est issu, à savoir son expérience des mesures de privation de liberté et de contrainte en psychiatrie lorsqu’elle était mineure. Elle thématise ainsi sa double implication : en tant que chercheuse et en tant que personne concernée.

 

Co-directeur·ices de la thèse :

Maryvonne Charmillot, Université de Genève

Baptiste Godrie, Université de Sherbrooke

Jury de thèse :

Charles Heimberg, FPSE, Université de Genève

Maïtena Armagnague, FPSE, Université de Genève

Joëlle Droux, FPSE, Université de Genève

David Niget, Université d’Angers

 

28 juin 2024

Juin 2024 (n°34)