Apprentissages scolaires

Apprentissage de la lecture

Cette partie a été écrite en collaboration avec Florence Bara et Pascale Colé

Lecture conseillée : Deheane, S. (2007). Les neurones de la lecture. Paris: Odile jacob


Le principe des systèmes d'écriture alphabétique (comme celui utilisé pour le français), consiste à représenter les sons des mots parlés à l'aide des symboles que sont les lettres. Pour apprendre à lire, l'enfant doit parvenir à découvrir ce principe (Morais, 1994 ; O.N.L, 1998 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2003), ce qui va lui permettre d'utiliser une procédure de lecture phonologique, qui consiste à traduire la séquence de lettres d'un mot lu en une séquence de sons correspondants. Cette procédure de décodage est essentiellement mise en œuvre au cours du cycle 2 (grande section/5-6ans, CP/6-7 ans, CE1/7-8 ans) et va permettre aux enfants de lire tous les mots réguliers, qu'ils soient connus ou non (Sprenger-Charolles et Casalis, 1996) et à terme de développer des procédures de lecture rapides, précises et automatiques. Des ressources cognitives pourront ainsi être libérées et allouées à la compréhension de textes écrits, objectif essentiel de l'apprentissage. Dans l'état actuel de nos connaissances, aucune recherche ne montre que l'enfant peut découvrir spontanément, par simple exposition au matériel verbal, le principe alphabétique et ainsi entrer dans l'apprentissage de la lecture. Il doit donc être accompagné et aidé dans cette découverte par un lecteur expert.

De nombreuses recherches ont étudié les facteurs qui permettent de prédire la réussite dans l’acquisition de la lecture avant le début de son apprentissage formel. Ainsi, ces recherches ont mis en évidence que les habiletés métaphonémiques (capacité à concevoir que les mots parlés sont constitués d’unités élémentaires, les phonèmes, et à les manipuler intentionnellement) et la connaissance des lettres constituent les meilleurs prédicteurs de la réussite future en lecture (Scarborough, 1998). Ces deux capacités permettent de comprendre le principe alphabétique et d’apprendre les associations lettre-son nécessaires pour décoder les mots écrits. Ces deux capacités permettent donc de comprendre et d’utiliser le principe alphabétique et des études montrent que lorsque celles-ci sont développées dans un même entraînement, les progrès en lecture sont alors les plus importants (Bara, Gentaz, et Colé, 2004a ; Byrne et Fielding-Barnsley, 1989, 1990 ; Byrne et Fielding-Barnsley, 1991).

Bien que ces entraînements préparent de manière efficace l'apprentissage de la lecture, cet apprentissage demeure, dans la majorité des cas lent et difficile, et certains enfants ne parviennent pas ou difficilement à appréhender la logique du principe alphabétique et à l’utiliser. Certains chercheurs se sont intéressés à d’autres aides possibles, ouvrant le champ aux méthodes multisensorielles d’apprentissage de la lecture (Bryant et Bradley, 1985).

 

Préparation à l'apprentissage de la lecture à 5-6 ans

Pourquoi faut-il évaluer et entraîner certaines capacités reliées à la lecture des enfants scolarisés en grande section de maternelle ?

 

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Télécharger notre point de vue rédigé avec Liliane Sprenger-Charolles, directeur de recherche au CNRS

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Premiers entraînements multisensoriels

Les travaux portant sur les troubles de l’apprentissage de la lecture suggèrent qu’une des difficultés de cet apprentissage résiderait dans le travail d’élaboration des connexions entre les représentations orthographiques des lettres et les représentations phonologiques correspondantes (Bryant et Bradley, 1985). C’est pour tenter de remédier à cette difficulté que ces auteurs ont préconisé l’utilisation d’une méthode « multisensorielle » d'apprentissage de la lecture qui ne sollicite pas uniquement les modalités sensorielles visuelle et auditive comme c'est le cas habituellement, mais également la modalité haptique. Le recours à la modalité haptique fournirait un moyen de favoriser la connexion, difficile à établir pour les jeunes enfants, entre les représentations orthographique et phonologique des mots. Cette approche multisensorielle se situe dans la continuité de certaines activités pédagogiques proposées d’abord par Ytard (1800/1964) puis par Montessori (1915, 1958). Si cette approche n'a pas été validée expérimentalement dans le cadre de l’apprentissage de la lecture chez les jeunes enfants, elle a été exploitée dans le domaine de la remédiation des difficultés de lecture, où quelques recherches anciennes montrent les bénéfices de l’utilisation de la modalité haptique en complément des modalités visuelle et auditive.

Ainsi, Fernald (1943) a proposé une méthode multisensorielle (fortement inspirée des principes de Ytard et de Montessori) à des enfants présentant des retards en lecture. Cette méthode consiste à tracer avec son index un mot écrit tout en le prononçant et en le regardant. D’autres auteurs se sont inspirés de cette méthode dans leurs travaux expérimentaux. C’est le cas d’Ofman et Shaevitz (1963) qui comparent l’efficacité de la méthode du « tracé multisensoriel » et celle du « tracé visuel » et de la « simple lecture », dans une tâche d’apprentissage de mots nouveaux. La méthode du « tracé visuel » consiste à demander à l'enfant de suivre avec les yeux un mot qui s'écrit progressivement sur un écran. Les résultats révèlent que les faibles lecteurs (âgés en moyenne de 13 ans) parviennent mieux à apprendre des mots nouveaux avec les méthodes du « tracé multisensoriel» et du « tracé visuel » (qui ne diffèrent pas entre elles) qu'avec la méthode de la « simple lecture ». Ainsi, les auteurs font l'hypothèse que c'est l'induction d'un mouvement d'exploration (visuo-haptique ou visuel) dans l'appréhension d'un mot écrit qui faciliterait son apprentissage chez ce type de lecteurs. Certaines études suggèrent que les effets positifs sur le niveau de lecture obtenus suite à un entraînement multisensoriel seraient la conséquence d’une meilleure mémorisation des lettres explorées visuellement et haptiquement. Hulme (1979) montre, chez des enfants plus jeunes (8-9 ans), que l’exploration haptique de figures graphiques abstraites facilite leur mémorisation. L’exploration des figures se faisait soit en regardant chacun des items (condition V « Visuelle »), soit en regardant et en traçant simultanément du doigt chacun d’entre eux (condition VH « Visuo-Haptique »). Les résultats montrent qu’après une présentation en condition VH, les enfants ont obtenu significativement de meilleures performances en reconnaissance que ceux ayant bénéficié d’une présentation en condition V. Cette amélioration de la mémorisation des formes suite au traçage haptique serait l’opération d’un système distinct de la mémoire motrice. En effet, lorsqu’une tâche d’interférence motrice est présentée durant la période de rétention, seules les performances en condition VH sont détériorées. De même, une tâche d’interférence visuelle perturbe plus la mémorisation dans la condition V que dans la condition VH, ce qui va dans le sens de systèmes distincts d’encodage, visuel et moteur. Enfin, Hulme (1981) observe des résultats similaires avec des lettres chez des enfants en difficultés de lecture et des enfants normo-lecteurs (âgés en moyenne de 9 ans) et suggère que le double codage, moteur et visuel, permettrait une meilleure mémorisation des lettres.

Entraînements multisensoriels modernes

Une explication possible relative aux difficultés d’apprentissage de la lecture suggère que les enfants en difficulté de lecture et les apprenti-lecteurs auraient tendance à considérer les lettres et les sons comme deux entités séparées, ce qui rendrait difficile l’apprentissage de la lecture. Ainsi, Breznitz (2002) montre que des enfants dyslexiques de 9 et 10 ans présentent une faible synchronisation entre les traitements visuels et auditifs, en comparaison d’un groupe contrôle, et de ce fait auraient des difficultés pour à établir le lien entre les représentations visuelles et auditives des mots.

Les spécificités fonctionnelles des différentes modalités sensorielles sollicitées lors de l’apprentissage de la lecture pourraient permettre d’expliquer pourquoi le lien entre la lettre traitée visuellement et le son traité auditivement, serait difficile à établir. En effet, les systèmes orthographique et phonologique font appel à des modalités et à des modes de traitement différents. Le processus phonologique se fait via la voie auditive et apporte les informations phonémiques sur les mots. Le processus orthographique apporte des informations sur les patterns visuels des lettres et des mots. Alors que l’information auditive-phonologique est traitée séquentiellement, l’information visuelle-orthographique est traitée d’une manière holistique. En conséquence, la discrimination et l’identification des mots est plus rapide par la voie visuelle que par la voie auditive. Nous avons formulé l’hypothèse selon laquelle la modalité haptique, compte tenu de ses caractéristiques de fonctionnement, faciliterait le lien entre les traitements visuel et auditif. La vision permet d’appréhender de manière quasi-simultanée les différentes propriétés des objets. Le vaste champ perceptif visuel permet en effet une appréhension globale et immédiate des objets. La modalité auditive a un fonctionnement plus successif et est adaptée pour percevoir les stimuli temporels tels que les sons de la parole. La modalité haptique partage des caractéristiques de fonctionnement aussi bien avec la modalité auditive qu’avec la modalité visuelle. Bien qu’ayant un fonctionnement en grande partie séquentiel, la modalité haptique peut traiter les mêmes informations spatiales que la vision, puisque l’exploration ne se déroule pas de façon linéaire. Alors que pour l’audition l’ordre d’apparition des stimuli est porteur de sens, la main peut revenir en arrière et explorer plusieurs fois la même partie d’un stimulus. En conséquence, nous avons fait l’hypothèse que la modalité haptique pourrait jouer un rôle de « ciment » entre les entités visuelles et les entités auditives.

Dans une première étude, nous avons évalué les effets de deux entraînements qui proposent de façon commune des activités destinées à développer la conscience phonémique ainsi que la connaissance des lettres et des associations lettre-son chez des enfants âgés de 5 à 6 ans (scolarisés en grande section de maternelle) mais qui se distinguent par le type d’exploration qui sous-tend le travail sur l’identité des lettres (Gentaz et al. 2003). Ainsi, l’entraînement dénommé HVAM (Haptique-Visuel-Auditif-Métaphonémique) sollicite les modalités haptique, visuelle et auditive et l’entraînement dénommé VAM (Visuel-Auditif-Métaphonémique) les modalités visuelle et auditive. Plus précisément, le travail sur l’identité des lettres en relief est basé sur une exploration visuo-haptique et haptique séquentielle dans l’entraînement HVAM et sur une exploration visuelle globale dans l’entraînement VAM. Les enfants (13 enfants par groupe) ont suivi un entraînement pendant 7 semaines : une séance d’entraînement par semaine de 30 minutes, centrée autour de l’étude d’un son (phonème) et de la lettre correspondante (graphème), et une séance de révision. Tous ont appris les lettres/sons a, i, r, t, p, et b .

Leurs performances ont été évaluées avant et après les entraînements au moyen d’un test d’identification de lettres, de deux épreuves de conscience phonémique (identification de phonèmes en position initiale et finale dans les mots) et d’un test de décodage de pseudo-mots. Les pseudo-mots sont composés uniquement des lettres étudiées pendant les entraînements. Il est précisé aux enfants que les mots sont inventés et qu’ils ne signifient rien (par exemple, « ila », « tiba »). Ils permettent de savoir si les enfants ont compris le principe alphabétique sans faire appel à leur vocabulaire. On constate une amélioration similaire après les deux entraînements dans les tests de conscience phonémique et d’identification de lettres. En revanche, on observe une amélioration du décodage de pseudo-mots plus important après l’entraînement HVAM qu’après l’entraînement VAM. L’ensemble de ces résultats suggère donc que l’ajout de la modalité haptique dans ce type d’entraînement amplifie les effets bénéfiques sur la compréhension et l’utilisation du principe alphabétique chez les jeunes enfants telle que mesurées par la tâche de décodage de pseudo-mots.

Nous avons également évalué les bénéfices de l'entraînement visuo-haptique auprès d'une population plus importante (120 enfants testés âgés entre 5 et 6 ans), scolarisée en zone d'éducation prioritaire (Bara et al., sous presse). Ces enfants, qui présentaient des scores plus faibles que ceux de l’étude précédente en vocabulaire, connaissance de lettres et conscience rimique, peuvent être définis comme des enfants à risque de devenir mauvais lecteurs (Hatcher, Hulme, et Snowling, 2004). Les enfants ont été évalués, avant et après les entraînements en grande section de maternelle et en début de CP, avec les mêmes tests que dans l’expérience précédente. Les résultats obtenus révèlent une amélioration plus importante du décodage de pseudo-mots après l'entraînement HVAM qu'après l'entraînement VAM mais uniquement significative en CP. En fin de grande section de maternelle, les enfants du groupe HVAM présentent de meilleures performances que ceux du groupe VAM dans les tests d'identification de phonèmes et d’identification de lettres. Cet effet différé de l'entraînement HVAM sur les performances en décodage peut s'expliquer par les faibles performances en vocabulaire et connaissance des lettres présentées par ces enfants en début de grande section. En effet, avant l'apprentissage formel de la lecture, ces enfants sont en retard dans certains domaines langagiers impliqués dans l'acquisition de la lecture. L'exploration haptique, puisqu'elle favoriserait le lien entre le son et la lettre, permettrait d'améliorer les performances des enfants pour deux capacités langagières considérées comme des prérequis de l'apprentissage : la connaissance des lettres et l'identification de phonèmes. L'exploration haptique faciliterait ainsi la mémorisation des lettres, et, puisque la connaissance des lettres est interactivement liée à la conscience phonémique, on observe une amélioration des performances dans ces deux tâches. Le lien entre les lettres et les sons semble d'abord être développé de manière implicite par l'entraînement multisensoriel, puis cette connaissance implicite va être activée et devenir disponible dès le début de l'apprentissage formel de la lecture.

Dans une troisième étude, nous avons examiné si les effets bénéfiques observés après l’entraînement HVAM pouvaient s’expliquer par la séquentialité de l’exploration des lettres elle-même (indépendamment des modalités sensorielles sollicitées) ou par l’exploration visuo-haptique et haptique per se (Bara, Gentaz, et Colé, 2004b). Trois entraînements (20 enfants par groupe), se différenciant par les modalités sensorielles sollicitées (visuelle, auditive et haptique) et par la manière d’explorer les lettres (séquentiellement ou globalement) ont ainsi été comparés. Les entraînements HVAM (incluant une exploration haptique et visuo-haptique séquentielle des lettres) et VAM (incluant une exploration visuelle globale des lettres) utilisés précédemment ont été proposés aux enfants. Un nouvel entraînement dénommé VAM-séquentiel a été introduit dans lequel les lettres sont présentées visuellement mais de manière séquentielle. Plus précisément, les lettres sont présentées aux enfants sur un écran d’ordinateur et s’inscrivent progressivement à vitesse constante. Pour évaluer le rôle de la séquentialité indépendamment des modalités sensorielles sollicitées, l’ordre d’exploration des lettres correspondant au sens de l’écriture est imposé dans les entraînements HVAM et VAM-séquentiel alors qu’il est global et sans ordre fixe dans l’entraînement VAM. Par ailleurs, la modalité haptique induit une exploration de lettre active et intentionnelle via la motricité (entraînement HVAM) alors que la modalité visuelle induit une exploration moins contrôlée cognitivement et davantage passive dans les entraînements VAM-séquentiel et VAM. Cette comparaison permet ainsi d’évaluer le rôle de l’exploration haptique per se. Les séances d’entraînement ont porté sur les lettres/sons a, i, r, l, t, p et b. Les résultats révèlent une amélioration similaire après les trois entraînements dans les deux tests de conscience phonémiques et d’identification de lettres et confirment ainsi les résultats observés dans les études précédentes. Bien que le nombre moyen de pseudo-mots décodés augmente significativement pour les trois types d’interventions, il reste néanmoins plus important après l’entraînement HVAM qu’après les entraînements VAM-séquentiel et VAM (qui ne différent pas significativement). Ces résultats suggèrent donc que ce n’est pas l’exploration séquentielle des lettres indépendamment des modalités sensorielles qui explique l’amélioration des performances en décodage mais l’exploration visuo-haptique et haptique per se.

Cependant, une autre explication de l’absence d’effet de la condition VAM-séquentiel peut être proposée qui considère que dans cet entraînement les lettres s’inscrivent à l’écran à vitesse constante, ce qui ne correspond pas à un mouvement « naturel » d’écriture. Or, nous savons que les mouvements humains d’écriture obéissent à des lois de production motrice telle que la loi de puissance 2/3 qui définit les liens existants entre la vitesse du mouvement et le rayon de courbure de sa trajectoire (Lacquaniti, Terzuolo, et Viviani, 1983). Ainsi, lors de la production d’une lettre (le ℓ par exemple), la vitesse de traçage a tendance à augmenter lorsque la « courbure » diminue et à réduire lorsque celle-ci augmente. D’après les « théories motrices de la perception visuelle », les processus perceptifs seraient influencés et guidés par la connaissance que les sujets ont des règles de fonctionnement de leurs propres mouvements (cf. Viviani, 2002)). Les informations temporelles et plus particulièrement l’organisation cinématique du mouvement joueraient un rôle décisif. Par exemple, ces informations seraient à l’origine de la prédiction de l’identité de mouvements d’écriture pas encore réalisés. Ainsi, Orliaguet, Kandel, et Boë (1997) ont montré l’importance des informations cinématiques (e.g. accélération, décélération) par rapport aux informations spatiales (e.g. la forme). Ainsi, les adultes prédisent mieux l’identité de la lettre (e ou ℓ) qui suit la lettre l lorsqu’ils disposent des informations cinématiques biologiques que lorsqu’ils disposent uniquement des informations spatiales.

Si les informations cinématiques d’un mouvement d’écriture d’une lettre jouent un rôle dans son identification visuelle, on peut alors faire l’hypothèse que le non respect de la cinématique biologique des lettres dans l’entraînement VAM-séquentiel pourrait être responsable de l’absence d’effet observé par Bara et al. (2004). Nous avons donc repris et amélioré l’entraînement VAM-séquentiel de Bara et al. (2004) de manière à ce que les lettres se dessinent en accord avec l’ensemble des caractéristiques des mouvements biologiques (Hillairet de Boisferon et al., sous presse). Ainsi, comme dans l’expérience précédente, nous avons comparé trois entraînements de préparation à la lecture : HVAM, VAM et VAM-biologique auprès d’enfants en grande section de maternelle. Pour l’entraînement VAM-biologique les lettres se dessinaient selon un mouvement biologique d’écriture.

Les résultats révèlent un progrès des performances pour tous les tests administrés avant et après chaque entraînement. Ces résultats sont en accord avec les études précédentes qui montrent que les programmes qui développent à la fois les habiletés métaphonémiques et la connaissance des lettres et des correspondances lettre-son favorisent la compréhension et l’utilisation du principe alphabétique nécessaire au décodage des mots écrits (Bus et Van Ijzendoorn, 1999 ; Ehri et al., 2001). Cependant, l’amplitude des progrès dépend du type d’entraînement et du type de connaissances évaluées. Ainsi, nous avons observé un progrès des performances similaire après les trois entraînements pour les tests métaphonémiques et le test d’identification de lettres mais plus important pour le test de décodage de pseudo-mots après l’entraînement HVAM qu’après les entraînements VAM et VAM-biologique.

Discussion

Discutons maintenant des effets de nos entraînements évalués dans nos différentes expériences auprès des enfants ordinaires sur les trois types de variables mesurées. Tout d’abord, les tests d’identification de phonème en position initiale et finale permettent de mesurer les capacités métaphonémiques acquises par les enfants au cours des sessions d’entraînement. Les résultats confirment nos hypothèses. Les trois types d’entraînements ont permis une augmentation similaire des performances entre les prétests et les post-tests pour les tests métaphonémiques. Ce résultat s’explique par le fait que les activités proposées sont les mêmes quel que soit l’entraînement suivi par les enfants. Après les trois interventions, les enfants ont donc atteint un certain niveau d’habiletés métaphonémiques.

Le test de décodage de pseudo-mots permet une évaluation du niveau de compréhension du principe alphabétique et de son utilisation. En effet, la réussite à ce test requiert l’application des correspondances lettre-son travaillées au cours des différentes sessions d’entraînement. A l’inverse, un échec à cette épreuve suggère une difficulté à utiliser ce principe alphabétique mais ne préjuge pas du niveau de compréhension de ce principe. On constate que les performances des enfants ont significativement augmenté entre les prétests et les post-tests pour chaque entraînement. Cependant, l’entraînement HVAM donne lieu à de meilleures performances que l’entraînement VAM pour toutes nos expériences. Ce résultat montre que l’exploration visuo-haptique et haptique des lettres serait plus efficace qu’une simple exploration visuelle pour comprendre et utiliser le principe alphabétique et par conséquent pour développer des habiletés de décodage chez les enfants. Cette interprétation générale découle indirectement des études qui montrent que les compétences métaphonémiques et la connaissance des lettres, en grande section de maternelle, constituent les meilleurs facteurs prédictifs de la réussite en lecture un an plus tard soit au cours de la première année de lecture. C’est au cours de cette année que l’on considère généralement que les habiletés de décodage des mots écrits se développent parmi lesquelles la procédure de médiation phonologique.

Par ailleurs, les performances observées après l’entraînement HVAM se révèlent supérieures à celles observées après l’entraînement VAM-séquentiel ou VAM-biologique (qui ne diffèrent pas significativement de l’entraînement VAM). On constate que l’exploration visuelle séquentielle des lettres ne permet pas d’obtenir les mêmes effets bénéfiques que l’exploration haptique séquentielle même lorsque les lettres se dessinent en respectant les lois de production motrice. Le fait qu’on obtienne des résultats similaires consécutivement à la perception d’un mouvement conforme ou non aux règles de production motrice pourrait s’expliquer par l’hypothèse selon laquelle la perception visuelle des mouvements dépendrait des capacités motrices des sujets et/ou de leur expérience visuelle. En effet, les enfants de 5 ans bénéficient d’une expérience visuelle des mouvements d’écriture réduite et n’ont pas encore acquis un geste d’écriture qui suit les mêmes lois motrices que l’adulte. Il est donc probable que les enfants ne tiennent pas compte dans nos entraînements des informations contenues dans la cinématique du mouvement et s’appuient davantage sur la forme visuelle du tracé de la lettre. Cette interprétation est corroborée par des résultats récents qui montrent que les enfants de 7 ans ne sont pas capables de tirer parti de l’information contenue dans la cinématique de la première lettre pour prévoir l’identité de la lettre qui suit (Louis-Dam, Kandel, et Orliaguet, 2000). Ces résultats suggèrent que les capacités perceptives d’anticipation relèveraient en partie de l’expérience motrice des sujets.

L’exploration manuelle des lettres volontairement initiée par les enfants serait la caractéristique principale pouvant expliquer l’efficacité de l’entraînement HVAM. Cet effet de la modalité haptique peut être dû au fait que les caractéristiques de l’exploration haptique chez les enfants de 5 ans semblent particulièrement bien adaptées pour percevoir de manière précise les objets. En effet, le sens haptique permet une meilleure discrimination des formes et des orientations. De plus, on n’observe pas encore, à cet âge, la dominance de la vision sur la proprioception.

Les résultats obtenus au test d’identification de lettres montrent, comme attendu, une amélioration similaire du nombre moyen de lettres correctement identifiées pour les différents entraînements. L’ensemble des résultats suggère que l’entraînement HVAM (et son exploration haptique des lettres en relief per se) aide les enfants à mieux établir les connexions entre les représentations orthographiques des lettres et les représentations phonologiques des sons correspondants, améliorant ainsi leurs capacités de décodage. La conscience phonémique et la connaissance des lettres de l’alphabet sont des capacités indispensables à développer pour la compréhension et l’utilisation du principe alphabétique et par conséquent pour développer les mécanismes du décodage de l’écrit. Bien que les enfants identifient en moyenne le même nombre de lettres après les trois interventions, les enfants effectuant une exploration haptique et visuo-haptique sont plus capables d’utiliser cette connaissance pour décoder les pseudo-mots. On ne constate pas de supériorité de l’entraînement HVAM dans la connaissance des lettres qui pourrait expliquer la supériorité observée pour le décodage de pseudo-mots par une meilleure connexion entre les représentations des lettres et les représentations des sons correspondants via notamment une activation des représentations des lettres plus rapide et automatique. En effet, l’utilisation de l’exploration haptique dans l’appréhension des lettres pourrait engendrer une meilleure mémorisation et reconnaissance de la forme des lettres. L’exploration haptique des lettres implique un double codage en mémoire à la fois moteur et visuel. Ce double codage permettrait alors une meilleure activation des représentations des lettres qui se sont développées à l’aide de multiples sources d’informations. Le test de reconnaissance des lettres utilisé dans les expériences pourrait constituer une mesure globale de cette connaissance qui doit prendre en compte la reconnaissance des lettres mais également la rapidité à les reconnaître. La rapidité d’activation des représentations des lettres n’a pas été évaluée dans ces études et des recherches complémentaires sont donc nécessaires pour tester cette hypothèse.

En conclusion, l’ensemble des résultats confirme l’intérêt de l’ajout de la modalité haptique dans un entraînement qui combine un travail sur la connaissance des lettres et des associations lettre-son et un travail permettant de développer la conscience phonémique. La conséquence la plus notable de ce type d’entraînement est l’effet positif sur la compréhension et l’utilisation du principe alphabétique et donc sur les capacités de décodage de pseudo-mots des enfants. Même, si pour les trois interventions, de nets progrès des connaissances des lettres et des sons ont été observés, les résultats ne mettent pas en évidence un effet positif supplémentaire de la séquentialité de l’exploration indépendamment des modalités sensorielles et confirment le rôle bénéfique de l’exploration haptique per se.