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L’innovation pédagogique pour sauver des vies

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La formation des acteurs et actrices de la santé connaît de profondes mutations depuis une dizaine d’années[1]. Ces évolutions de l’offre et des approches pédagogiques répondent aux exigences croissantes en vue de garantir la qualité des soins et la sécurité des patient-es, y compris dans des situations de fragilité, de vulnérabilité ou de conflit. Mais comment l’innovation pédagogique contribue-t-elle à sauver des vies ?

Approche par les compétences (Competency-based education, CBE), formation interprofessionnelle (Interprofessional education, IPE), évaluation au service de l’apprentissage (Assessment for learning), etc. : autant de tendances qui transforment les approches pédagogiques traditionnelles. Le domaine de la santé est familier de ces innovations, qui se traduisent de manière croissante dans les formats et outils de formation, de la mise en situation aux études de cas, en passant par l’enseignement en ligne, et de plus en plus, par le recours à la simulation.

À Genève, le Centre interprofessionnel de Simulation (CiS) incarne, entre autres institutions et partenaires, ce souffle novateur. Depuis 2013, ce centre conjoint[2] bien connu des professionnel-les de la santé et au-delà, œuvre à développer la simulation comme technique pédagogique au bénéfice du développement des compétences. Grâce à la simulation, les personnels médicaux et paramédicaux peuvent se préparer à travailler en équipe et à mieux appréhender les situations de crise. Une approche qui se déploie de plus en plus dans les contextes humanitaires, avec grand intérêt des acteurs/trices de l’action humanitaire et des populations locales, à travers le Centre d’Études Humanitaires de Genève et InZone.


La santé, un défi en contextes humanitaires

Systèmes et infrastructures de santé endommagés, pénuries de personnel de santé qualifié, accès limité aux fournitures médicales, isolement des professionnel-les dû à l’insécurité sont certaines des nombreuses contraintes auxquelles sont soumises les organisations œuvrant dans le domaine de la santé dans des situations telles que les crises humanitaires, les situations d’urgence prolongées ou les conflits armés. De fait, celles-ci demeurent rares à avoir adopté une approche globale pour améliorer la sécurité des patient-es et la qualité des soins cliniques. Or, c’est justement dans de telles circonstances, où les besoins sanitaires des populations sont prépondérants, que la qualité et la sécurité des soins sont essentiels, et que la formation est un précieux levier d’action.

Pour ce faire, les spécificités des contextes humanitaires (camp de réfugié, centre sanitaire avancé, ou encore un hôpital) nécessitent de réviser les modalités pédagogiques, voire de créer des curricula sur-mesure, afin de répondre aux besoins du terrain. Bien souvent, une offre d’enseignement à distance tirant profit des outils numériques (visio-conférences, e-learning, télé-simulation) est développée, mais non sans défis. Les obstacles techniques et logistiques, tels que l’accès à l’électricité et à internet, ou encore le manque d’équipements individuels, demeurent des défis quotidiens. A cet égard, une étroite collaboration est essentielle avec les partenaires locaux, nationaux et étrangers.

Une formation sur la qualité et la sécurité des soins incluant les analyses des risques et incidents est en cours de construction par le Centre d’Etudes Humanitaires en collaboration avec les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) et Médecins Sans Frontières (MSF). Elle sera assurée en ligne pour une plus grande participation des acteurs de l’humanitaire. Une approche similaire est adoptée par InZone qui, avec la Fédération Internationale de la Croix Rouge (FICR), développe un cours en Santé Communautaire pour les personnes réfugiées.


La simulation comme outil de formation

Bien plus qu’un simple outil technologique, la simulation est une technique pédagogique qui est au service du développement de compétences. Des modalités spécifiques de simulation sont choisies pour une formation en fonction du public cible (individus ou équipes) et selon les compétences visées : procédures techniques (ex : simulation avec mannequin haute-fidélité pour un accouchement) ou compétences inter-personnelles (simulation avec patient-es simulé-es et jeux de rôle scénarisés pour entrainer à la communication). Une multitude de simulations peuvent être transposables aisément, sans devoir nécessairement faire appel à une technologie de pointe. Les scénarios peuvent en effet être le plus souvent adaptés aux ressources locales.

La simulation apparait ainsi, notamment de par son adaptabilité à de multiples contextes, comme un outil de formation d’avenir dans des situations où les ressources sont limitées, et les infrastructures hospitalières et de formation éloignées. Par exemple, dans un camp de réfugiés au Kenya, la simulation en présentiel a été utilisée comme entrainement à la prise des paramètres vitaux, et un module de télé-simulation a permis de développer des compétences dans l’évaluation initiale d’un blessé.

La simulation est au bénéfice de la sécurité des patient-es, enjeu majeur pour la santé. Il s’avère que, même dans les secteurs à haute fiabilité comme l’aviation, 80 % des incidents sont dus aux facteurs humains. Dans une étude[3], il a été estimé qu’environ 10% des hospitalisations enregistrées dans le monde chaque année donnent lieu à des évènements indésirables qui se traduisent en préjudice pour les patient-es, ce parfois jusqu’au décès. Il s’avère que deux-tiers de tous les évènements indésirables recensés se produisent dans des pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires. L’enjeu en contexte humanitaire est donc d’autant plus prégnant.

Afin de réduire l’occurrence de ces évènements indésirables et d’ainsi assurer une meilleure qualité des soins et sécurité des patient-es, plusieurs actions ont été mises en œuvre, dont notamment l’introduction d’une check-list de bloc opératoire sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2008. La formation des personnels de santé aux facteurs humains (Crew Resources Management - CRM), soit un ensemble de procédures de formation qui prennent place dans des environnements où l'erreur humaine peut avoir de graves conséquences, a également un rôle majeur à jouer.

À cet égard, le CiS développe des formations sur un référentiel de compétences interprofessionnelles telles que la communication, le leadership, la clarification des rôles et l’organisation de l'équipe, la résolution de conflits, etc. et s’appuie sur des stratégies et des outils issus de TeamSTEPPS®[4], modèle visant à améliorer la performance des équipes et la sécurité des patient-es. La simulation est une modalité largement utilisée pour ces formations. Elle permet de pratiquer et de développer la conscience de la situation des individus et des équipes. Par exemple, l’outil TeamVision (primé lors de la journée de l'innovation 2021 des HUG) apporte une approche innovante qui utilise des capteurs mesurant la position dans l'espace, la direction des regards, ou encore la communication verbale pour aider les équipes en simulation à optimiser leur collaboration au service de la sécurité des patient-es.


Vers un cadre international pour valoriser la formation et l’apprentissage

En prévision du Conseil des Délégués du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge des 22 et 23 juin 2022, le CICR et la FICR ont proposé un document de référence pour expliciter l’approche du Mouvement pour garantir la sécurité des patients et la qualité des soins. L’un des objectifs de cette initiative est d’ouvrir la voie à une politique commune du Mouvement qui permettrait notamment d’harmoniser les approches et les outils, aujourd’hui très différents d’une composante à l’autre du Mouvement, tout en instituant une culture de l’apprentissage et de l’amélioration continue dans le contexte des soins de santé d’urgence. Il répondra ainsi à une volonté de s’aligner sur le Plan d’action mondial 2021-2030 pour la sécurité des patient-es élaboré par l’OMS. Garantir et améliorer la qualité et la sécurité des services de soins cliniques à travers la formation et l’innovation pédagogique (et notamment la simulation), sera essentiel à cet effort.

Cet article a également été publié dans l'édition de mai 2022 de newSpecial.

[1] Frenk et al. Lancet 2010.

[2] La Faculté de Médecine de l’Université de Genève, La Haute École de Santé de la HES-SO Genève, les Hôpitaux universitaires de Genève  HUG, et l’Institution genevoise de Maintien À Domicile – Imad.

[3] Jha A.K., Larizgoitia I., Audera-Lopez C., Prasopa-Plaizier N., Waters H. et Bates D.W. « The global burden of unsafe medical care: analytic modelling of observational studies ». BMJ Quality and Safety, Vol. 12, N°10, octobre 2013, pp. 809-815.

[4] Plus de détails sur https://www.cis-ge.ch/teamstepps