Langues des signes et minoritaires : la traduction a le vent en poupe
Cet automne, la Faculté de traduction et d’interprétation de l’Université de Genève lance la première formation continue en traduction à destination des sourds. Une formation qui permettra enfin aux sourds d’apprendre leur métier dans leur langue maternelle, et qui met en lumière l’importance croissante de la traduction dans les langues minoritaires.
Se former à la langue des signes au niveau universitaire est un parcours du combattant, et pour les sourds, c’est un véritable casse-tête. C’est pour en venir à bout que l’Université de Genève enseignera bientôt la traduction en langue des signes française et italienne pour les sourds. « Ce n’est pas seulement une tendance, c’est aussi l’évolution des lois fédérales qui permet aujourd’hui aux langues minoritaires, dont la langue des signes fait partie, de se développer », explique Pierrette Bouillon, doyenne de la Faculté de traduction et d’interprétation (FTI). « On va aujourd’hui vers un enseignement plus inclusif. On sensibilise les institutions de formation comme le tissu économique au problème de la surdité, et on donne de plus en plus de chances aux personnes sourdes sur le marché du travail. L’accessibilité est également au centre des objectifs de développement durable et c’est notre devoir de l’encourager », ajoute Irene Strasly, collaboratrice scientifique et coordinatrice des formations en langue des signes.
Des lois pour soutenir les langues minoritaires
De nombreuses lois comme la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) de l’ONU, obligent à rendre les informations disponibles pour tous, au niveau international. En Suisse, la Constitution fédérale assure la protection des langues minoritaires. La loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand) assure quant à elle le droit d’accéder à l’information dans sa propre langue. Ces dernières années, la « langue facile » s’est aussi beaucoup développée dans le domaine administratif, pour assurer un accès facilité à l’information pour tous.
« La traduction automatique vers la langue des signes est un domaine de recherche très actif, mais qui en est encore à ses débuts», explique Irene Strasly. « Cette nouvelle nécessité d’inclusion va stimuler la recherche universitaire. De plus en plus de projets de recherche sur la langue des signes voient d’ailleurs le jour dans l’Union Européenne. »
Différents cursus pour différents publics
Il y a deux voies pour se former à la langue des signes à l’UNIGE. Tout d’abord, un Bachelor en communication multilingue, pour les personnes francophones souhaitant obtenir un niveau B2 en communication avec la langue des signes. Celui-ci donne accès à des maîtrises en traduction ou interprétation et permet de faire un cursus complet avec la langue des signes, jusqu’au doctorat. Il y a ensuite une formation continue pour la traduction vers la langue des signes, qui s’adresse à des personnes sourdes uniquement. Ces dernières n’ont souvent pas accès aux cursus universitaires standards qui ne leur sont pas accessibles. Pourtant, elles doivent pouvoir accéder à des métiers qui impliquent leur langue maternelle. A ce jour, les formations pour personnes sourdes restent rares en Europe et cette formation est la première en Suisse.
Ces deux formations proposées par l’UNIGE sont nées dans le cadre du Centre de communication sans barrière, un projet soutenu par Swissuniversities et le SEFRI, qui vise à rendre l’enseignement tertiaire plus inclusif.
Audiovisuel et internet : une demande croissante
Dans le cursus de formation continue, les sourds apprendront à traduire des documents littéraires, scientifiques ou juridiques écrits en français ou en italien vers la langue des signes française ou italienne. Les traductions sont filmées. Nos diplômé-es pourront notamment traduire les sites internet de différentes entreprises. Par exemple, l’OFSP emploie des personnes sourdes pour traduire des nouvelles en lien avec le COVID. La deuxième année d’étude sera focalisée sur l’audiovisuel. De plus en plus de documentaires et d’émissions de télévisions sont traduites, à la demande de la RTS, de la RSI et de SWISS TXT, qui mettent à disposition les locaux et le matériel audiovisuel aux participants. Comme les interprètes entendant-es, les diplômé-es pourront devenir membres des associations d’interprètes-traducteurs.
« Il serait intéressant de dupliquer ce format de formation à destination des sourds pour les autres langues minoritaires », remarque Pierrette Bouillon. « Les problèmes des langues et de la migration m’intéressent énormément et il y a beaucoup à faire dans les domaines des technologies ou de l’interprétation communautaire ou en zone de conflit. »
La langue des signes à l’ONU
« Par la suite, nous aimerions créer une formation pour des interprètes sourds qui travaillent entre langues des signes de différents pays », se réjouit la doyenne de la FTI. « Ce serait un plus pour les Nations Unies car la demande y est très forte, tout comme au niveau européen. Nous espérons pouvoir collaborer avec des universités européennes également. » A l’ONU, c’est pour l’heure les signes internationaux qui sont utilisés, une sorte de code qui s’est créé au fil des conférences internationales. Aujourd’hui, la tendance est à l’interprétation dans les langues nationales, par exemple vers la langue des signes des langues officielles de l’ONU. Bientôt une section langue des signes à l’ONU ? « Nous l’espérons beaucoup, évidemment, cela créerait des ouvertures d’emploi et serait une reconnaissance pour toute cette communauté », conclut Pierrette Bouillon.
Langues minoritaires : une responsabilité de préservation
« Nous observons un soutien croissant aux langues minoritaires à travers le monde. Les communautés luttent pour la préservation de leur langue », observe Pierrette Bouillon. « A l’ONU comme au sein des institutions européennes, on recentre certains budgets de traduction vers les langues minoritaires. On va chercher aujourd’hui à évaluer les vrais besoins, plutôt que d’aller vers la traduction systématique de documents internes ; on va choisir les cibles pour la traduction. À l’OMS par exemple, dans le cadre de la communication sur le COVID, on met à disposition un maximum de documentation dans les langues africaines ou des pays en développement. »
Vers une diversification des métiers de traducteur/interprète
L’évolution vers la traduction automatique est vue de manière très positive par les experts du domaine, qui font face à toujours plus de contenus à traduire et à interpréter. La diversification des métiers à laquelle on assiste est riche : post-édition, traduction de textes numériques, problème de la traduction intra-linguistique vers des langues faciles, ingénieur multilingue etc. Le traducteur restera malgré tout le garant dans le processus, pas seulement en tant que vérificateur de la qualité, mais pour intervenir dans le développement des systèmes de traduction automatique. Aujourd’hui, les traducteurs sont formés à cette multidisciplinarité et l’univers des possibles s’élargit de plus en plus.
Depuis mars 2020, le passage systématique aux outils de visioconférence a changé la donne en matière d’interprétation en ligne. « La crise a accéléré le processus, mais le mouvement de fond était déjà en cours : l’interprète ne se déplacera plus autant qu’auparavant », explique Pierrette Bouillon. « Ce passage au virtuel va augmenter la demande en interprétation car il sera plus facile de mettre en contact des interprètes de langues différentes. Il y a tout un champ de recherche qui va s’ouvrir pour savoir quels seront les outils les plus appropriés et quelles seront les pertes par rapport au présentiel. »
L’enseignement à distance, quant à lui, a fait réfléchir l’institution genevoise à l’opportunité de proposer des formations continues entièrement à distance pour le public international.
Cet article a également été publié dans l'édition de mai 2021 de newSpecial.
La traduction a le vent en poupe: formations en langue des signes à la FTI de Genève
La traduzione ha il vento in poppa: formazione continua per persone sorde à la FTI de Genève