La gouvernance des entreprises est un frein à la maximisation de la réussite
Image d'illustration. — © Pixabay
S’apparentant à des dictatures (mal) éclairées, la gouvernance des entreprises saborde le niveau d’engagement de leurs employés. Il en résulte une performance et des profits inférieurs à ceux qu’elles auraient pu obtenir. Ce n’est pas une fatalité…
Quelle est la caractéristique d’une dictature ? C’est de réunir tous les pouvoirs entre les mains d’une personne ou d’un petit groupe, sans contre-pouvoir réel. Dans toutes les sociétés modernes, il y a trois pouvoirs : un pouvoir législatif, un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire. La règle pour que les gens se sentent en sécurité est que ces pouvoirs soient indépendants. L’indépendance permet un mécanisme de contre-pouvoir.
Dans les entreprises, le pouvoir législatif est incarné par les actionnaires et le conseil d’administration. Ce sont eux qui fixent les règles du jeu. Le pouvoir exécutif est évidemment entre les mains du management. Comme c’est aussi le management qui gère les transgressions des règles internes (en dehors des questions régies par le droit du travail ou le Code des obligations), c’est en fait lui qui exerce aussi et de facto le pouvoir judiciaire.
Une concentration des pouvoirs
La concentration des pouvoirs est aggravée par le fait que les actionnaires et le conseil d’administration sont en pratique assez peu au courant de ce qui se passe dans les entreprises. Ils dépendent principalement des rapports et présentations que leur soumettent les cadres supérieurs, donc le pouvoir exécutif.
Il existe bien quelques garde-fous, mais seulement pour des questions spécifiques, par exemple, les réviseurs qui vérifient la conformité des comptes, le contrôle interne qui vérifie essentiellement et par sondage le bon respect des processus ou la compliance qui vérifie le bon respect de la réglementation. Ces trois acteurs sont normalement indépendants de la direction générale et donc du pouvoir exécutif. Ils rapportent ce qu’ils découvrent au pouvoir législatif (actionnaires et conseil d’administration) sans toutefois avoir un pouvoir de décision. N’ayant pas de pouvoir, ils ne sont pas un contre-pouvoir.
Rapportant à la direction générale, les Ressources humaines ne peuvent, par la configuration des choses, être un pouvoir indépendant. Comme c’est toujours la direction générale qui décide pour tout ce qui n’est pas prescrit par la loi, elles ne peuvent que recommander et prescrire. Il en est de même pour tous les acteurs qui entretiennent un lien de subordination envers la direction générale (pouvoir exécutif).
Un régime prédominant de dictature
La concentration des pouvoirs étant avérée dans les entreprises, force est de constater que le régime prédominant est bien celui de la… dictature. Heureusement, parmi les dictateurs, il y en a qui peuvent être éclairés. Un dictateur éclairé œuvre pour le bien collectif en étant équitable et bienveillant. Quand l’éclairage de l’équité et de la bienveillance est présent, tout va bien car les collaborateurs peuvent se sentir en sécurité. Quand l’éclairage fait défaut, ils se savent à la merci de la direction.
Sachant que le sentiment de sécurité psychologique est une condition indispensable pour maximiser le niveau d’engagement des collaborateurs, qui a lui-même une influence majeure sur la performance, il devrait être impératif d’assurer leur sécurité psychologique. Pour y parvenir, il faut évidemment repenser la gouvernance.
Des solutions pour améliorer la gouvernance existent. Elles ne passent pas nécessairement par l’holocratie, l’entreprise libérée ou la démocratie en entreprise. Il y a heureusement d’autres dispositifs moins radicaux pour mettre un terme à la dictature, sans même toucher aux structures existantes. La place manque ici pour en parler.
Mon objectif dans cette chronique se limitait à mettre en évidence le fait que tant que les entreprises perpétueront un régime dictatorial dont le niveau d’éclairage n’est ni maîtrisé ni mesuré, elles ne pourront pas espérer avoir des collaborateurs qui donnent le meilleur d’eux-mêmes. Cela aboutissant nécessairement à une performance et des profits moindres, il est dans l’intérêt des actionnaires de mettre en place une gouvernance qui assure la sécurité psychologique des collaborateurs. La bonne nouvelle est que paradoxalement l’intérêt des actionnaires coïncide à 100% avec celui des employés.
Cet article a initialement été publié sur Le Temps le 17 janvier 2020.