Préserver le droit à l’éducation: une bataille qui n’est pas encore gagnée
L’accès à l’école, et plus largement à l’éducation, constitue un droit international, quelle que soit la situation. Au-delà des instruments internationaux qui assurent la protection des enfants durant les conflits, de nombreux acteurs, nationaux et internationaux, aussi bien gouvernementaux que non gouvernementaux, se mobilisent pour préserver le droit à l’éducation. Quels sont leurs rôles ? Et celui de la Genève internationale ? Comment l’innovation pédagogique permet-elle de surmonter certains obstacles imposés par les réalités du terrain ?
L’éducation prise pour cible
À la suite de l’éclatement d’un conflit, les priorités initiales sont la sécurité, l’alimentation et la protection des civils, et en particulier des enfants. Le droit à l’éducation ne doit toutefois pas être oublié. En effet, lorsque l’on demande aux enfants et aux parents vivant dans des situations d’urgence ce dont ils ont le plus besoin, ils répondent à chaque fois qu’ils veulent poursuivre leur éducation. Une récente étude de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Save the Children où l’on a demandé aux enfants de classer leurs besoins par ordre de priorité le souligne : plus d’un tiers ont désigné l’éducation comme leur première priorité, et près des trois quarts l’ont classée parmi leurs trois plus grandes priorités.
Les enfants vivant dans les zones de conflit ont deux fois plus de risques de ne pas être scolarisés que ceux qui vivent en paix. Les conflits creusent les inégalités existantes – aggravant la discrimination à l’égard des filles et des groupes minoritaires, et exacerbant les clivages existants fondés sur le sexe, la classe sociale, l’ethnicité et la religion.
Quels sont ces risques ? Tout d’abord, l’interruption de l’apprentissage. Plusieurs mois ou années de non-scolarisation se traduisent par un risque d’analphabétisme et une incapacité durable pour les jeunes réfugiés de prendre en main leur destin. Ensuite, la non-scolarisation peut constituer une porte d’entrée des enfants dans les groupes armés et leur participation active aux conflits. Nous l’observons par exemple en Afrique de l’Ouest et en Syrie où les groupes extrémistes n’hésitent pas à recruter des enfants et des jeunes. Par ailleurs, les risques pour les jeunes filles sont multiples : mariage ou maternité précoce/non désirée, exploitation sexuelle et violence.
Même si les projecteurs sont actuellement braqués sur la situation dramatique en Ukraine, il est utile de rappeler que cette question de la préservation du droit à l’éducation à la suite de conflits concerne une multitude de contextes sur différents continents, et cela depuis de nombreuses années. L’incidence des conflits sur l’éducation est particulièrement élevée dans des pays comme l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen, la Palestine, la République Démocratique du Congo ou le Mali.
Une panoplie d’instruments et d’acteurs
Tout d’abord, différents instruments internationaux assurent la protection des enfants durant les conflits. Nous pouvons notamment citer les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, ou encore la Convention internationale des droits de l’enfant. Ces instruments prévoient un régime de protection spéciale pour les enfants. Plus spécifiquement, une centaine d’États ont souscrit à la Déclaration sur la sécurité dans les écoles (Safe School Declaration), marquant ainsi leur engagement à prendre des mesures concrètes pour protéger les élèves, les établissements d’enseignement et les enseignants pendant les conflits armés. Toutefois, nous savons que l’application des différentes déclarations et juridictions est souvent difficile. Le cas de l’Ukraine l’illustre déjà bien.
De nombreux acteurs sont mobilisés pour venir en aide à l’éducation en situation d’urgence et de conflits. En premier lieu, les organisations internationales telles que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) ou l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Ces organisations sont à la fois présentes au niveau de la mobilisation des fonds, de la planification de la prise en charge rapide des victimes des conflits, mais aussi sur le terrain même des conflits par la mise en place de projets éducatifs. En second lieu, nous trouvons les ONGs internationales et nationales qui sont présentes dans les principaux lieux de conflits armés et dans les camps de réfugiés de par le monde. En troisième lieu, nous trouvons les pays d’accueil des réfugiés. Si les pays du Nord arrivent plus ou moins rapidement à prendre en charge les enfants réfugiés dans leurs systèmes scolaires, les pays du Sud, qui accueillent la plupart des enfants réfugiés dans le monde, peinent à dégager des ressources financières et humaines pour la scolarisation des réfugiés : ils sont en général scolarisés dans les camps. En outre, l’attitude des populations locales balance entre solidarité et hostilité envers les réfugiés, dans des contextes où la précarité touche chacun-e.
Genève constitue un lieu central sur le plan international pour la prise en charge de l’éducation en situation d’urgence, notamment avec le lancement en janvier 2021 du Geneva Global Hub for Education in Emergencies. Cette nouvelle plateforme internationale réunit différentes institutions de coopération et académiques, dont l’Université de Genève. L’objectif du Hub est d’être un catalyseur des initiatives pour accélérer les progrès vers la réalisation de l’Objectif de développement durable numéro 41 dans les contextes de crises et de déplacements, et d’aider à réaliser les engagements pris dans le Pacte mondial sur les réfugiés.
L’innovation pédagogique, une piste d’action nécessaire
Ces dernières décennies, de plus en plus d’expériences ont été capitalisées sur la question de l’éducation en situation d’urgence, et les différents acteurs sont plus à même de préserver l’accès à l’éducation dans des contextes de conflit. Par exemple, nous savons mieux comment, à travers l’accès à l’éducation, protéger les enfants et les jeunes de la mort, des blessures et de l’exploitation, et aussi comment atténuer l’impact psychologique durable d’un conflit armé en offrant routine et stabilité et en fournissant des liens avec d’autres services vitaux.
En outre, les technologies de l’information et la communication (TIC) offrent de nombreuses potentialités pédagogiques. Par exemple, l’équipe de recherche en dimensions internationales de l’éducation (ERDIE) de l’Université de Genève développe une recherche-action en Jordanie, au Kenya et au Niger, grâce à un appui du Secrétariat d’État à la Formation, à la Recherche et à l’Innovation (SEFRI). Son objectif ? Trouver des solutions pragmatiques pour rompre l’isolement pédagogique et humain des réfugiés.
Somme toute, la recherche et la pratique sur l’éducation en situation d’urgence ont donc réalisé de nombreux progrès. Des ONGs sont actives sur ce terrain depuis des années et ont développé des approches pédagogiques spécifiques. Parmi elles, Save the Children, avec qui l’Université de Genève propose un programme conjoint de formation continue pour répondre aux problématiques liées à l’éducation dans des situations d’urgence.
En effet, une approche holistique de l’éducation combinant à la fois des dimensions cognitives et socioémotionnelles est essentielle pour agir avec pertinence et adéquation avec les réalités complexes et la variété des situations. La recherche académique met également en évidence le rôle clé des enseignant-es et l’appui nécessaire à fournir aux parents et aux communautés réfugiées pour mieux assumer leur responsabilité éducative.
Néanmoins, la recherche affronte de nombreuses entraves. En particulier, l’absence de données statistiques fiables, les difficultés d’accès au terrain en raison des risques sécuritaires et les changements rapides des contextes d’urgence. Sans mauvais jeu de mots, la bataille pour préserver le droit à l’éducation n’est donc pas encore gagnée !
Maîtrise universitaire d’études avancées (MAS) en Éducation internationale et recherche
Des contextes économiques, politiques, sociaux parfois complexes influencent l’apprentissage et l’enseignement dans le monde. La Maîtrise universitaire d’études avancées (MAS) en Éducation internationale et recherche de l’Université de Genève propose des outils et des compétences pour mener des actions éducatives et de recherche dans une perspective multiculturelle et internationale.
1 À savoir : assurer l’accès de toutes et tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie.