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Loi sur l’asile : l’impact psychique sur les réfugiés

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Nouvelle révision de la loi sur l’asile : quel impact psychique sur les réfugiés ?

Il fut un temps où les procédures d’asile pouvaient durer plus de 10 ans, passant de réponse négative en recours. Cela maintenait les personnes dans un état d’incertitude durable et de stress élevé vu l’importance des enjeux, et impactait négativement leur santé physique et psychique. Dans la nouvelle révision de la loi, entrée en vigueur en mars 2019, tout cela est terminé. La nouvelle loi vise explicitement à accélérer les procédures d’asile. A présent, toutes les étapes sont minutées, protocolées selon un arbre décisionnel rigoureux. 140 jours maximum dans un centre fédéral d’enregistrement des demandes où a lieu une 1ère audition sur les motifs de la demande d’asile. Le demandeur doit fournir la preuve des préjudices subis. Le SEM (Secrétariat d’Etat aux migrations) estime que 60% de toutes les demandes d’asile peuvent obtenir une décision définitive dans ce délai. En cas de non-entrée en matière, la personne est avertie dans les 10 jours, et elle dispose de 7 jours pour faire recours avec un avocat et un interprète travaillant pour le SEM. Les 40% restants sont attribués de manière aléatoire à l’une des 6 régions territoriales, sous la responsabilité des cantons, alors que les autorités poursuivent leurs clarifications dans le cadre d’une « procédure étendue ». Les demandeurs sont alors convoqués pour une 2ème audition, plus approfondie. L’ensemble de la procédure ne doit pas dépasser une année.


L’asile sur ordonnance

La possibilité de faire appel à l’institution millénaire de l’asile semble désormais pervertie. Donnant une définition de plus en plus stricte des critères de l’asile et sous prétexte de manque de preuves ou sous couvert de conventions internationales, les Etats occidentaux s’emploient à rejeter l’étranger, à se protéger contre l’envahissement de flux ou de marées humaines qui viendraient menacer les identités nationales et entamer leur prospérité économique. Seule exception, la figure de la pauvre victime traumatisée parvient encore à émouvoir, dont il revient aux professionnels de la santé d’attester des séquelles traumatiques. Ce faisant, ces derniers risquent d’être instrumentalisés et endossent malgré eux le rôle de « certificateurs de préjudices subis ». Advocacy, engagement citoyen et thérapeutique peuvent (et doivent) aller de pair, mais cela nous oblige à penser cette articulation au travers d’un travail de prise de distance, d’élaboration de la pratique clinique et de supervision, car la compassion ne suffit pas.


Trier le bon du faux réfugié

La loi sur l’asile a fait l’objet de multiples révisions, allant toujours dans le sens du durcissement de la procédure conduisant à déposer une demande d’asile et à obtenir le statut de réfugié. D’autres pays européens ont connu la même tendance.

Partout, des mesures sont prises pour lutter contre les « faux réfugiés », les migrants « économiques » (en réalité des migrants précaires fuyant la misère et le chômage dans des pays où règne la corruption) soupçonnés de vouloir profiter de nos privilèges et puiser dans nos caisses de pension. En réalité, ces nouvelles dispositions suscitent, plus que jamais de l’incompréhension, de l’anxiété, de la peur, de l’impuissance et de l’épuisement chez les « vrais réfugiés », ceux dont on connait le périple éprouvant et les épreuves traversées pour arriver jusqu’à nous, à bout de forces et de ressources.


Des permis de plus en plus précaires

La multiplication des permis provisoires visant à précariser et restreindre les droits des étrangers et la judiciarisation à outrance (dont la procédure Dublin entre pays européens) érigent une forteresse symbolique infranchissable et constituent une violence étatique d’autant plus délétère qu’elle est non-dite. Tout est fait pour criminaliser la migration d’asile là où ces personnes s’attendent à être accueillies à titre humanitaire. Le processus de demande d’asile devient, pour ces individus fragilisés un amplificateur des traumas pré-migratoires. 


Une machine à broyer la résilience

Enrôlé malgré lui dans cette machinerie juridico-administrative qui le dépasse amplement, dans une langue qu’il ne maîtrise pas, le demandeur d’asile vit un grand dénuement, et devient une sorte de « sans-abri psychique » selon l’expression d’Elise Pestre, ou encore, « un laissé-pour compte de la mondialisation » comme l’affirme Françoise Sironi, toutes deux psychologues cliniciennes, enseignantes et chercheuses exerçant à Paris. Cela le place à la lisière de la dignité et du sentiment d’appartenance à la collectivité, et entrave durablement ses capacités de résilience, d’apprentissage et d’intégration. Il doit rester en état d’hypervigilance pour ne pas être pris en faute, en contradiction, expulsé, renvoyé. Les personnes déboutées, en particulier des jeunes mineurs non accompagnés, population hautement vulnérable, refusent le renvoi et se muent en jeunes errants transfrontaliers, en véritables bombes à retardement, sans formation, sans soins, sans encadrement socio-éducatifs, sans avenir. Ils sont voués à la clandestinité à l’exclusion sociale, n’entrant plus dans aucune catégorie administrative, ils subissent un manque de protection et une situation d’insécurité externe qui vient faire écho à leur insécurité intérieure. La « crise des migrants » reflète, en fait, une crise éthique et humanitaire de nos politiques et dispositifs d’accueil !

La 2ème édition du CAS en Santé mentale, migration et culture qui débute en février 2020 se veut un espace interdisciplinaire de formation, réflexion et dialogue autour de ces questions et de bien d’autres. Les intervenants, tout comme les participants, viennent d’horizons culturels, professionnels et institutionnels divers permettant d’articuler exil et asile, et de mieux penser la pratique professionnelle auprès des réfugiés. Les sciences humaines et médicales doivent porter un regard et avoir un discours fondé sur la question des réfugiés, qui constitue une des problématiques majeures de notre temps.