Entretien

Ma thèse en 180 secondes

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Ce concours, très original, permet à des doctorantes et à des doctorants de présenter, en exactement trois minutes, leur sujet de thèse en des termes accessibles à toutes et à tous, devant un public profane et varié. Le défi est de taille : 180 secondes, pas une de plus, pour donner sur scène un exposé clair, concis et néanmoins convaincant concernant un projet de recherche mené habituellement sur cinq ans. Le but de l'exercice est avant tout d’apprendre à synthétiser et à présenter un contenu scientifique, souvent complexe, de manière simple et claire. À la clé : trois prix du jury et un prix du public donnant accès à la finale suisse (le 29 juin, à Lausanne) puis à la finale internationale (le 5 octobre, à Rabat, au Maroc) pour celle ou celui qui aura remporté l’étape suisse.

Cette année, lors de la finale régionale genevoise qui a eu lieu le 4 mai, ce sont douze doctorantes et doctorants qui ont ébloui le public et le jury. Les présentations, plus passionnantes les unes que les autres, peuvent être visionnées ici. La FTI est fière d’avoir été représentée par Mme Lise Volkart (3ème prix du jury, qui lui permet de participer à la finale suisse du 29 juin) et par M. Paolo Canavese. Nous avons voulu en savoir plus sur leur expérience du concours et sur leurs recherches, et leur avons ainsi consacré notre entretien.

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La parole à… Lise Volkart

Lise Volkart est titulaire d’un Bachelor en traduction et interprétation de l’Institut libre Marie Haps de Bruxelles, ainsi que d’un Master en traduction, mention Technologies de la traduction, de la FTI. Depuis 2020, elle est doctorante et assistante au Département de traitement informatique multilingue de la FTI. Sa thèse est intitulée « Traduction automatique neuronale et post-édition : vers une uniformisation des textes traduits ? Étude sur la langue post-éditée, ou post-editese, en contexte professionnel ». Elle porte sur la recherche et l’identification des traces laissées par la traduction automatique dans les textes que nous pouvons lire au quotidien.

Qu’est-ce qui vous a poussée à participer au concours MT180 cette année et qu’est-ce que vous retenez de cette expérience ?

J’avais regardé les éditions précédentes et j’avais trouvé les présentations vraiment excellentes. Cela m’a donné envie de relever le défi et de voir si je pouvais moi aussi atteindre ce niveau de qualité. En participant à ce concours, j’ai compris que les compétences en communication n’ont rien d’inné, mais qu’elles sont le fruit de nombreuses heures de travail. Toute la préparation s’est faite sous la direction bienveillante d’une équipe extraordinaire et nous avons pu compter les uns sur les autres au sein du groupe. C’est la combinaison de tout cela qui nous a permis de nous surpasser et de relever ce défi. En somme, ce concours est une superbe aventure humaine et un excellent moyen d’apprendre à mieux communiquer sur son travail.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre recherche ? Qu’est-ce qui vous a motivée à travailler sur ce sujet ?

Je compare des traductions faites par des humains avec des traductions faites par des logiciels de traduction automatique et corrigées par des humains (ce que l’on appelle la « post-édition »). Ce faisant, je cherche à savoir si la traduction automatique imprime son style dans les textes traduits. Je me suis intéressée à cette question car la traduction automatique est de plus en plus utilisée dans les professions de la traduction et l’on sait aujourd’hui qu’elle offre un gain de temps sans altérer la qualité. Pourtant, nombre de traducteurs et traductrices restent un peu sceptiques et ont parfois l’impression que la traduction automatique « sent la traduction automatique », mais sans forcément pouvoir dire pourquoi.  La recherche n’ayant jusqu’ici pas vraiment permis de l’expliquer, j’ai décidé de creuser cette question et de partir en quête des différences subtiles (s’il en est) entre les traductions humaines et les post-éditions.

Quels sont vos projets pour la suite, quand votre parcours doctoral sera terminé ?

Ce n’est pas encore pour tout de suite ! J’aime beaucoup le domaine de la recherche, mais j’apprécie aussi énormément le contact avec les traducteurs et les traductrices. C’est pourquoi je pourrais aussi envisager une activité qui serait en lien plus direct avec la pratique professionnelle, comme la formation et le conseil en matière de technologies de la traduction. C’est d’ailleurs déjà ce que je fais en tant que coordinatrice de l’association SuisseTra, une organisation dont le but est de promouvoir les technologies de la traduction auprès des professionnels du secteur. C’est stimulant et très gratifiant de pouvoir tisser des liens entre le monde académique et la pratique professionnelle. Je ne ferme donc aucune porte et je reste prête à saisir les occasions qui se présenteront le moment venu.

La parole à… Paolo Canavese

Paolo Canavese est titulaire d’un Bachelor binational italien-allemand en Comunicazione interlinguistica applicata et d’un Bachelor en Deutsch-Italienische Studien, obtenus respectivement à l’Université de Trieste (Italie) et à l’Université de Ratisbone (Allemagne), ainsi que d’un Master en Traduction et Interprétation de l’Université de Trieste. Depuis 2018, il est doctorant du Centre Transius de la FTI et assistant à l’Unité d’italien du Département de traduction. Le 5 avril, il a soutenu avec succès sa thèse intitulée « Atti normativi elvetici nella terza lingua ufficiale : chiarezza de jure o de facto ? ». Elle porte sur la lisibilité et la compréhensibilité de l’italien normatif suisse et sur l’incidence de la traduction sur la clarté du texte.

Pourquoi avez-vous décidé de participer au concours MT180 et quels défis avez-vous dû relever ?

J’ai décidé de me lancer dans cette aventure en 2018, au tout début de ma thèse, après avoir assisté à l’excellente présentation d’une collègue. Sa maîtrise oratoire et les prestations éblouissantes de cette édition m’avaient fasciné, me poussant à relever ce défi. J’ai néanmoins choisi d’attendre la fin de ma thèse pour pouvoir en partager les résultats. Cinq ans ont passé. Le moment était enfin venu pour moi de monter sur scène. L’aspect le plus difficile, celui qui m’a réellement obligé à sortir de ma zone de confort, était le caractère un peu « théâtral » du concours. Il ne s’agissait pas uniquement de résumer et de vulgariser ma thèse, mais de le faire en utilisant des métaphores, en faisant preuve d’humour et en essayant ainsi d’impliquer le public – ce qui n’est pas une tâche facile lorsqu’on traite d’un sujet comme la traduction juridique, souvent considéré comme aride. En même temps, il était essentiel pour moi que ce côté théâtral ne prenne pas le pas sur la transmission du contenu de ma thèse.

Qu’est-ce qui vous a plu le plus ?

Me tenir sur scène pendant trois minutes devant un large public attentif a été une expérience tout simplement fantastique ! J’ai profité de cette occasion unique pour transformer les résultats de ma thèse en un message engagé. En effet, bien que les sujets de recherche sur lesquels nous travaillons soient très précis, ils nous amènent souvent à nous interroger sur des implications sociales bien plus larges. Dans mon cas, l’étude de l’italien institutionnel suisse m’a souvent conduit à réfléchir au rôle des minorités dans la société. Les données linguistiques que j’ai analysées montrent empiriquement que le plurilinguisme est une richesse et j’ai profité du concours MT180 pour faire passer un message sur l’importance de la diversité. Je crois fermement qu’en tant que chercheurs et chercheuses, nous pouvons nous engager pour contribuer à améliorer la société.

Pouvez-vous nous donner un aperçu de vos recherches et de vos projets ?

Mes recherches portent sur la communication institutionnelle dans le contexte multilingue suisse et l’accessibilité linguistique. Dans le cadre de ma thèse, j’ai étudié les lois fédérales suisses traduites en italien et j’ai fait plusieurs découvertes intéressantes. Premièrement, ces lois sont d’une clarté remarquable et peuvent servir de modèles à d’autres pays. De plus, j’ai pu démontrer que l’attention croissante portée à l’italien, en tant que langue minoritaire, par les institutions fédérales a eu une incidence positive sur la qualité des textes écrits en italien par le législateur à Berne. Enfin, j’ai exploré le rôle de la traduction, qui semble avoir un effet positif sur la clarté des textes, tant lors de l’élaboration du droit que de son interprétation.

Au cours de mon doctorat, j’ai également eu l’occasion d’étudier d’autres situations de communication institutionnelle. Par exemple, j’ai fait partie d’une petite équipe de recherche à la FTI qui a mené un projet sur la communication multilingue accessible au sein de l’Office fédéral de la statistique. Ce projet comprenait des entretiens et des ateliers avec les personnes chargées de la rédaction et de la traduction. Mon projet pour la prochaine année académique est de poursuivre mes recherches dans ce domaine et mener une étude de plus grande envergure en sociologie de la traduction, grâce à une bourse de mobilité post-doctorale, que le Fonds national suisse (FNS) m’a accordée. Je suis particulièrement intéressé par les défis actuels auxquels doivent faire face les traducteurs et les traductrices dans les institutions et par la façon dont la recherche peut contribuer à apporter des réponses.

Cependant, à très court terme, je compte profiter de l’été, car après ma soutenance de thèse et le concours MT180, j’ai vraiment besoin de recharger mes batteries !