Entretien

La parole à… Petr Muzny

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Petr Muzny est professeur titulaire à la Faculté de traduction et d’interprétation (FTI) où il enseigne, depuis 2009, des cours de droit et d’initiation au droit au niveau du Bachelor et des Masters. Titulaire, depuis 2004, d’un doctorat en droit, il a également obtenu, en 2006, son agrégation de droit avant d’être nommé professeur de droit public à l’Université Savoie-Mont-Blanc. Depuis 2020, il se consacre surtout à son activité d’avocat international, défendant chaque année des dizaines de victimes de violation des droits de l’Homme devant des tribunaux du monde entier. Ses champs d’expertise incluent le raisonnement et la logique juridique, le droit médical, la pédagogie dans l’enseignement du droit et, principalement, les droits de l’Homme. Dans cet entretien, il nous raconte son expérience de l’enseignement du droit à des non-juristes et évoque ses activités d’avocature.

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Comment avez-vous commencé à travailler à la FTI ?

J’ai rejoint la FTI (à l’époque l’École de traduction et d’interprétation - ETI) un peu par hasard. J’enseignais à la Faculté de droit de l’UNIGE lorsqu’un jour, alors que je me trouvais à discuter avec le doyen, ce dernier reçut un coup de fil l’informant que l’ETI cherchait en urgence un enseignant de droit en langue française, pour remplacer un professeur en congé maladie. J’ai accepté de le suppléer pour un semestre, puis deux, avant d’être nommé titulaire en 2009.

Est-ce que vous vous y êtes plu ?

Au départ, je me suis demandé si je n’allais pas m’ennuyer à enseigner le droit à des non-juristes, mais ça a été tout le contraire. Tout d’abord, les étudiants et étudiantes ont fait preuve de motivation ; ensuite, j’ai dû moi-même améliorer mes méthodes pédagogiques pour adapter mon enseignement à cet auditoire ; enfin, à la FTI, la forme de l’enseignement est souvent plus agréable qu’à la Faculté de droit. En effet, en droit, l’on doit suivre un programme très détaillé, sans pouvoir faire l’impasse sur certains sujets peu passionnants. À la FTI, il est de toute façon impossible de traiter de toute la matière juridique en une cinquantaine d’heures réparties sur l’année : je choisis donc les thématiques qui me semblent les plus intéressantes et les plus pertinentes.

Quelle est la différence entre votre enseignement et celui dispensé à la Faculté de droit ?

 Pour bien enseigner, il faut savoir s’adapter aux besoins de son auditoire. En droit, je forme les étudiants et étudiantes à la résolution de problèmes juridiques ; je les mets donc en situation professionnelle, leur faisant jouer le rôle d’avocat ou d’avocate, de juges ou de juristes responsables de traiter des cas pratiques. Les étudiants et étudiantes de la FTI ont des besoins différents ; je les aide à se sentir à l’aise face à un texte juridique à traduire, à en comprendre les mots, le sens, la logique. Mais ce n’est pas tout. Comme le disait Hegel, « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion ». J’essaie donc d’instiller de la motivation dans cet apprentissage de la technique, de transmettre ma passion du droit ou, du moins, de susciter de l’intérêt pour la matière.

Comment faites-vous ?

Il y a la matière et la manière. Pour ce qui est de la matière, je montre à mon auditoire que le droit est partout. Il nous entoure et nous suit même jusque dans notre lit. C’est un instrument puissant à condition de le comprendre et de bien savoir l’utiliser. Même si la traduction juridique ne fera pas forcément partie de leur vie professionnelle, les étudiants et étudiantes ont tout intérêt à bien comprendre le droit pour pouvoir s’en servir dans leur vie de tous les jours. 

Et la manière ? L’interactivité et le jeu. Faire participer mon auditoire au maximum. « Docendo discimus » : enseigner, c’est apprendre.  En mettant mes étudiants et étudiantes à ma place, je les aide à s’approprier la matière, à se rendre compte de leurs faiblesses et à mémoriser plus facilement les connaissances. C’est ainsi que j’ai introduit au début du cours des présentations, qui leur permettent de s’adresser à un public. Puis, après un bref cours sur la matière, nous passons rapidement aux exercices au moyen d’une discussion. Si le débat se nourrit de questions et que je parviens à piquer la curiosité de mon auditoire, alors c’est gagné ! Le plaisir est à son maximum lorsque j’apprends quelque chose au détour d’une question ou d’une remarque. On apprend tellement mieux en jouant. Je m’efforce donc de rendre les cours interactifs, en essayant de présenter le droit de manière ludique. 

Quelles sont vos activités annexes à la FTI ?

Je suis de plus en plus occupé par mon activité d’avocat. Je suis spécialisé dans les droits de l’Homme, qui sont bien malmenés. Autant dire que je ne serai pas au chômage de sitôt !

Y a-t-il des affaires qui vous ont particulièrement marqué durant votre carrière d’avocat ? 

J’ai eu le privilège de participer à des affaires devant la Cour européenne des droits de l’Homme, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, et devant de hautes juridictions comme la Cour suprême de Corée du Sud. Toutes portaient sur la reconnaissance du droit à l’objection de conscience au service militaire. Avec des confrères, nous avons réussi à faire établir ce droit sur le plan européen et mondial. Je suis viscéralement convaincu qu’une personne qui est foncièrement incapable de prendre les armes et profondément allergique à la violence n’a rien à faire en prison. Son objection de conscience devrait être reconnue. En même temps, elle devrait pouvoir servir la collectivité par des moyens pacifiques et civils, qui sont tout aussi bénéfiques pour la société. Mais il faut savoir faire preuve de patience car changer les mentalités prend du temps.