Juin 2020

Entretien

La parole à... Paul H. Dembinski

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Le Professeur Paul H. Dembinski est né à Cracovie, en Pologne. Il parle l’anglais, le français, l’allemand, le polonais et l’espagnol, et a des connaissances passives d’italien et de russe. Son parcours l’a mené de la Pologne à la Suisse, en passant par le Cameroun et le Royaume Uni ; c’est à l’UNIGE qu’il obtient en 1982 une thèse en économie politique. À l’Université de Fribourg, il est Professeur, titulaire de la Chaire de stratégie et de concurrence internationales. Il est également co-fondateur d’Eco’Diagnostic depuis 1989, un institut indépendant de recherche économique à vocation interdisciplinaire. Il a reçu le titre de Docteur honoris causa de SGH-Warsaw Scholl of Economics. Depuis 1996, il est aussi le fondateur et le directeur exécutif de l’Observatoire de la Finance à Genève dont la mission est de promouvoir un plus grand respect de l’éthique dans les activités du secteur financier. Il a écrit une douzaine d’ouvrages et quelques soixante articles scientifiques dans les domaines de la globalisation des entreprises, de la concurrence, et de l’éthique dans la finance.
Le Professeur Dembinski a enseigné à partir de 2011 à la FTI en tant que professeur titulaire suppléant, et il a collaboré au cours de Macroéconomie et au cours de Finances publiques pour décharger le Professeur François Grin, du fait de la présidence de la Délégation suisse à la langue française (DLF) que ce dernier assume depuis.


Professeur Dembinski, pouvez-vous nous dire ce que signifie pour vous enseigner l’économie ?

L'économie - dans le grand éventail de ses sous-disciplines qui vont de la finance au management - est un univers passionnant déchiré par moultes tensions épistémologiques. Enseigner l'économie exige donc de faire des choix aussi bien épistémologiques que philosophiques. J'ai eu la chance de toucher à un grand nombre de sous-disciplines et de méthodes de recherche, ce qui m'a permis d'affermir au fil des ans mes convictions et de bâtir en conséquence mes enseignements. La principale conviction est que l’économie, en dépit de ses développements formels, reste avant tout une science du social, lequel est inscrit dans l’histoire et donc exposé aux forces multiples dont l’économie fait partie. Une seconde conviction en découle, c’est celle du souci de la réalité : le modèle, aussi beau et captivant soit-il, n’est qu’un outil au service d’une meilleure compréhension de la réalité. Finalement, la mise en garde que j’essaye d’appliquer en tant qu’enseignant est la suivante : seul ce qui se conçoit bien s’énonce clairement.

Comment avez-vous vécu les derniers mois avec le confinement et l’enseignement à distance ?

Le confinement m’a surpris à un moment particulier : j’avais décidé en début d’année de n’entreprendre aucun voyage entre mars et juin (alors qu’en temps normal, j’en fais 4-5 par mois) pour me concentrer sur un certain nombre de projets. Le confinement, avant d’être une expérience technologique, a été une épreuve sociale et – n’ayons pas peur des mots – existentielle. En fait, le temps est passé très vite, entre la mise à niveau technologique dans le triangle infernal de Zoom-Skype-Team et la nécessité de gérer des équipes et des situations de crise à distance. Les projets d’écriture ont été les grandes victimes de ces temps, en apparence seulement, plus calmes. J’ai eu l’occasion d’enseigner un peu à distance « devant » des auditoires suisses, polonais et italiens. J’ai été impressionné chaque fois par l’assiduité des étudiant-es. Je leur tire mon chapeau.

Enfin, pouvez-vous évoquer vos années d’enseignement à la FTI et nous dire deux mots de vos projets pour la retraite ?

L’Université de Genève a été mon premier employeur dès 1979 ; beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Aujourd’hui, au seuil de l’âge AVS, je quitte donc l’institution, mais pas les amis qui la peuplent, et ils sont nombreux. Après avoir enseigné durant mes dix premières années au Département d’économie politique, j’ai choisi une carrière mixte : professorale (Fribourg) d’une part, pratique et opérationnelle d’autre part. L’économie en tant que savoir et l’économie en tant que vie de décideur : les deux facettes de la réalité continuent à m’intéresser. Cette double exposition a, je pense, intéressé les étudiant-es de la FTI d’autant plus que les années qui ont suivi la crise financière ont propulsé les questions économiques à la une des médias. Je garde donc un excellent souvenir de ces petits auditoires où, par moment, le cours prenait l’allure d’un séminaire. Puisque mes travaux m’ont conduit à entrevoir avec un peu d’anticipation deux crises systémiques - celle de l’effondrement des économies planifiées et la crise financière – mon objectif pour ces prochaines années vise à approfondir la notion et la réalité de « la crise systémique ». Il est clair que la situation contemporaine rend cette interrogation moins théorique.

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