Juin 2020

Entretien

La parole à... Shérazade Poursartip

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Mme Shérazade Poursartip, d’origine iranienne, a vécu dans de nombreuses villes (Hambourg, Vienne, Rome, Madrid, Téhéran et Genève) et parle couramment plusieurs langues : allemand, français, anglais, espagnol et farsi. Cette vie internationale l’a prédestinée au métier de traductrice et d’interprète. Elle obtient de l’École de traduction et d’interprétation de Genève (devenue la FTI en 2011) son diplôme de traductrice (allemand, français, anglais) en 1978. L’année suivante, elle ajoute l’espagnol à sa combinaison linguistique, puis, 12 mois plus tard, décroche un diplôme d’interprète (allemand, français, anglais, espagnol). Interprète indépendante durant toute sa carrière, Mme Poursartip a travaillé pour de très nombreux clients, publics ou privés, comme la Commission européenne et le Parlement européen, la Cour internationale de la Haye, le Forum économique de Davos, ou encore des banques, des congrès de médecine et des groupes pharmaceutiques. Depuis 1984, elle est chargée d’enseignement au Département d’interprétation de notre institution, où elle dispense des cours d’interprétation consécutive et simultanée dans ses diverses langues. Elle a dirigé les cours magistraux d’interprétation simultanée générale pendant plusieurs années.


Madame Poursartip, pouvez-vous nous dire ce que signifie pour vous être interprète et enseigner l’interprétation ?

Ce que j’apprécie particulièrement dans ce métier, c’est l’acquisition d’une solide culture générale que l’on finit par s’approprier à force de toucher à des thèmes différents. Je trouve fascinant de chercher à connaître, à comprendre la culture et la psychologie qui sous-tendent chaque langue. Quant à mon rôle d’enseignante, je me vois comme une courroie de transmission ou un catalyseur : ce qui m’intéresse avant tout, c’est d’apprendre à mes étudiant-es comment surmonter les difficultés, être celle qui les amène à réussir à faire ce qu’ils ou elles n’arrivaient pas à faire avant.

J’aime aussi beaucoup le contact avec les gens, mais le métier a énormément changé. Il y a 40 ans, lorsque j’ai commencé, il y avait plus de relations humaines et on voyageait beaucoup ! On travaillait avec nos gros dictionnaires, on recevait par la poste les documents servant à préparer le sujet de la réunion. Et puis le monde est passé à l’informatique. Par exemple, l’invention de la présentation PowerPoint a changé bien des choses : l’interprète ne reçoit plus toute l’information avant la conférence, mais n’a accès qu’à une version résumée ; ces présentations donnent l’illusion que l’orateur parle librement, alors qu’en fait, il connaît son discours par cœur, il « lit » donc un texte que nous n’avons pas reçu, ce qui revêt une difficulté particulière. Et puis les gens parlent de plus en plus vite et les conférences sont de plus en plus courtes… Ce n’est plus le même métier.

Comment avez-vous vécu les derniers mois avec le confinement et l’enseignement à distance ?

D’un point de vue professionnel ça a été un choc : mon travail à la FTI ne représentant qu’une petite partie de mes activités, j’ai vu mes autres clients annuler un contrat après l’autre et mes revenus chuter brutalement. Du point de vue de l’enseignement, il a fallu redoubler d’efforts pour acquérir rapidement toutes les compétences technologiques nécessaires. Pour moi qui ai tant aimé le contact avec mes étudiant-es, c’était dur moralement de passer le dernier semestre de ma carrière à la FTI en confinement. Nous avons bien essayé de garder le lien, mais en virtuel, ce n’est pas la même chose. Si les cours d’interprétation consécutive étaient faisables à distance, pour la simultanée, en revanche, c’était un vrai défi.

Enfin, pouvez-vous nous dire deux mots de vos projets pour la retraite ?

Pour l’instant, je vais continuer de travailler comme interprète dans le secteur privé et pour les organisations internationales, mais je veux arrêter à 70 ans, car il faut céder la place aux jeunes, ces jeunes que j’ai formés pendant tellement d’années ! Outre mon métier, je suis touchée par le sort des migrants, surtout des femmes migrantes, raison pour laquelle je fais du bénévolat. Je soutiens en particulier une femme afghane qui est réfugiée à Genève avec ses deux enfants et qui suit une formation : je l’aide en français, à faire ses devoirs, etc.

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