27 juin 2024 - UNIGE

 

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En Afrique subsaharienne, les bactéries résistantes aux antibiotiques explosent

Deux méta-analyses révèlent le fardeau alarmant que fait porter l’antibiorésistance aux enfants d’Afrique subsaharienne. Les auteures proposent des pistes pour améliorer la situation.

 

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En Afrique subsaharienne, les enfants sont très fréquemment traités par antibiotiques dès leur admission à l’hôpital, même en l’absence d’un argument franc pour une infection bactérienne. Image: Adobestock

 

Le taux d’enfants porteurs de souches bactériennes multirésistantes en Afrique subsaharienne est inquiétant, selon deux études parues dans la revue eClinicalMedicine du mois d’avril. Menées par Annick Galetto-Lacour et Noémie Wagner, respectivement professeure associée et privat-docent au Département de pédiatrie, gynécologie et obstétrique (Faculté de médecine), les analyses se sont focalisées sur des entérobactéries responsables de la majorité des infections invasives chez les nouveau-nés de cette région. La première étude montre que 41% des bactéries Escherichia coli et 85% des Klebsiella trouvées dans le sang des enfants lors d’infections sont multirésistantes. La seconde révèle qu’un tiers des enfants sont colonisés par des entérobactéries résistantes aux céphalosporines.

Les pays de l’Afrique subsaharienne affichent le taux le plus élevé de décès attribués à la résistance des bactéries aux antibiotiques. Il dépasse 100 décès pour 100’000 personnes dans certains États. En particulier, 30% des nouveau-nés atteints de septicémie, une réaction inflammatoire grave à la suite d’une infection du sang, décèdent en raison d’une résistance aux antibiotiques. Malgré ces estimations, il existe peu de données épidémiologiques sur l’incidence de ce fléau chez les enfants. Elles sont pourtant cruciales pour développer des traitements appropriés.

 

 

C’est donc pour en savoir plus que les deux chercheuses genevoises et leurs collègues ont effectué deux méta-analyses. Ces dernières consistent à mettre en commun des données produites par toutes les études de qualité suffisante et assez récentes menées sur cette question et dans cette région afin de réaliser, sur un échantillon beaucoup plus grand, une nouvelle analyse statistique.
La première étude est basée sur les analyses de 30’000 échantillons de sang, d’urine et de selles d’enfants entre 0 et 18 ans, extraites de 122 articles scientifiques publiés entre 2005 et 2022. Elle montre notamment que 92,5% des souches d’Escherichia coli sont résistantes à l’ampicilline et 42,7% à la gentamicine, c’est-à-dire deux des antibiotiques recommandés en première intention en cas de septicémie (ou sepsis). Les souches de Klebsiella, qui sont toujours résistantes à l’ampicilline, révèlent des taux de résistance de 77,6% à la gentamicine. Chose plus grave encore, ces mêmes entérobactéries montrent également des proportions élevées de résistance aux céphalosporines de troisième génération, qui représentent la deuxième ligne de traitement du sepsis de l’enfant, avec respectivement 40,6% des échantillons d’Escherichia coli et 84,9% des échantillons de Klebsiella résistants.
La seconde étude a cherché à estimer la prévalence du nombre d’enfants porteurs (sans infection) d’entérobactéries résistantes aux céphalosporines de troisième génération, c’est-à-dire des traitements de deuxième ligne qui constituent souvent la dernière option thérapeutique disponible dans cette région. Cette donnée permet d’observer des groupes plus larges que ceux compris dans la première étude, notamment d’enfants dans la population générale ou à l’hôpital.
Dans ce cas, les scientifiques ont pu rassembler, à partir de 40 études publiées entre 2005 et 2022, une cohorte de 9408 enfants, soit la plus large connue à ce jour pour l’Afrique subsaharienne. Il en résulte que 32,2% d’entre eux présentent des entérobactéries résistantes aux céphalosporines à large spectre. L’étude révèle également que 53,8% des enfants entrés à l’hôpital sans être porteurs d’entérobactéries résistantes en sont ressortis positifs pour ces bactéries. Ce travail démontre, enfin, que le risque de porter une entérobactérie multirésistante est trois fois plus élevé après avoir reçu un traitement antibiotique trois mois auparavant. Or, en Afrique subsaharienne, entre 83% et 100% des enfants hospitalisés sont soignés avec des antibiotiques.

Une situation alarmante
«Ces chiffres très élevés sont alarmants, estime Noémie Wagner. Comme les infections bactériennes sont la principale cause de décès dans cette région, les enfants sont très fréquemment traités par antibiotiques dès leur admission à l’hôpital, même en l’absence d’un argument franc pour une infection bactérienne. En Afrique subsaharienne, la majorité des structures médicales n’a pas accès aux marqueurs inflammatoires qui peuvent aider à distinguer une infection bactérienne, nécessitant des antibiotiques, d’une infection virale. Elles n’ont pas non plus la possibilité de réaliser des cultures et ne peuvent donc ni identifier correctement les espèces bactériennes ni faire des tests de susceptibilité antimicrobienne. C’est un problème car l’usage abusif des antibiotiques augmente la proportion de bactéries résistantes qui vont être plus difficiles à traiter.»
Largement supérieurs aux estimations, ces chiffres soulignent la nécessité d’actions ciblées pour gérer et réguler la résistance aux antibiotiques en Afrique subsaharienne. Selon les scientifiques, il faut, d’une part, renforcer toutes les mesures visant à une utilisation appropriée des antibiotiques et, d’autre part, limiter la transmission des infections grâce aux mesures d’hygiène. Un meilleur accès aux examens complémentaires permettrait par ailleurs de diminuer le recours systématique aux antibiotiques, d’adapter les traitements aux bactéries retrouvées et d’ajuster les recommandations de traitement empirique au profil de résistance des bactéries circulant dans la région. Pour cela, le projet de «Mini-lab» développé par Médecins sans frontières, soit un petit laboratoire de bactériologie clinique tout-en-un, autonome, transportable et dont le coût est abordable, pourrait s’avérer très utile.

 

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