L’atmosphère du Soleil est un environnement hautement dynamique et complexe que l’on divise habituellement en plusieurs couches. La «surface» (photosphère), qui recouvre la zone de convection interne, est relativement fine et chauffée à environ 6000 kelvins. C’est elle qui produit la lumière visible. La chromosphère, qui la recouvre, est sensiblement moins chaude et comprend des molécules simples, comme le monoxyde de carbone ou l’eau. Sa température augmente cependant avec l’altitude pour atteindre les 100 000 kelvins à 2000 kilomètres. Viennent ensuite la région dite de transition, agitée d’un mouvement chaotique et permanent, puis la couronne, dont la température atteint le million de degrés. Très vaste, celle-ci laisse progressivement la place à l’héliosphère qui s’étend jusqu’aux confins du Système solaire et comprend donc toutes les planètes, dont la Terre.
Comme un élastique
L’atmosphère solaire comprend également de nombreux éléments différents, comme l’hydrogène et l’hélium, bien sûr, mais aussi le fer, le néon ainsi que d’autres éléments. On observe également d’importantes variations d’ionisation (nombre d’électrons arrachés à leur noyau), en particulier dans des couches, comme la chromosphère, qui passent d’une situation hautement collisionnelle à une autre faiblement collisionnelle.
L’éruption solaire, elle, est un phénomène qui naît dans la photosphère et traverse toutes les couches. En raison d’une intense activité magnétique dans certaines régions de la surface, de la matière ionisée est soulevée le long des lignes de champ sous forme d’arc. Quand les bras se rejoignent à la base, par un phénomène appelé «reconnexion magnétique», le système est éjecté vers l’extérieur, à la manière d’un élastique qu’on relâche.
Les conséquences sur Terre peuvent être terribles. Une éruption géante comme celle qui a probablement eu lieu en l’an 775 (entre 40 et 50 fois plus puissante que celles que l’on observe ordinairement et dont on a retrouvé la trace dans les cernes des arbres) dévasterait les réseaux électriques et les satellites, exposant les astronautes et les avions à des radiations nocives. Certaines estimations font état de perturbations mondiales qui paralyseraient les chaînes d’approvisionnement, les systèmes financiers et les communications pendant des années.
Pour prévoir la survenue des éruptions solaires (et si possible s’en protéger), il faut d’abord comprendre plus précisément le phénomène. Et dans cette optique, la simulation de l’atmosphère du Soleil est d’une importance cruciale. Pour ce faire, l’idée est de fabriquer un modèle du système en question et de simuler en fonction du temps les trois comportements qui sont à même de transformer son état: la diffusion, l’advection (le transport) et les réactions chimiques. Les méthodes numériques actuelles en sont déjà capables, mais les calculs sont effectués séparément et alternativement pour chaque comportement. Le défi consiste à les rassembler toutes dans une seule et même méthode.
Une solution écrite en 2013
Il se trouve que Gilles Vilmart, en collaboration avec son collègue Assyr Abdulle, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (récemment décédé), a mis au point une telle méthode surnommée «couteau suisse» et publiée dans le Journal of Computational Physics en 2013 déjà. Leur solution numérique est alors proposée pour résoudre des problèmes généraux de «diffusion, advection et réaction», sans penser une seconde à l’atmosphère solaire.
Les autres auteurs de l’article d’Astronomy & Astrophysics tombent néanmoins dessus après avoir contacté deux professeurs honoraires de la Faculté des sciences, Ernst Hairer et Gerhard Wanner, dont les travaux ont beaucoup contribué à la réputation internationale de la Section de mathématique en matière d’analyse numérique des «équations différentielles évoluant en temps», ce qui est précisément le domaine qui les intéresse. C’est ainsi qu’ils sont finalement aiguillés vers Gilles Vilmart. Il faut encore deux ans de travail supplémentaires pour s’assurer que la méthode du jeune chercheur s’adapte au contexte particulier de l’atmosphère solaire.
Il en ressort finalement que le recours à la méthode «couteau suisse», qui est capable de traiter simultanément les différents termes impliqués dans ce système dynamique complexe, permet d’atteindre une efficacité sans précédent dans les calculs nécessaires à la simulation. Dans les faits, la simulation elle-même, qui a pris une semaine de calcul sur un superordinateur, ne prend pas moins de temps, mais elle est plus précise.
Pour l’instant, le modèle de l’atmosphère est en 2D, correspondant à une colonne dont la base mesure 1000 kilomètres et la hauteur 3000 kilomètres. L’objectif, encore lointain, est de passer à un modèle en 3D, ce qui est essentiellement un problème de puissance de calcul. In fine, le but serait de développer une simulation d’une véritable météorologie solaire. Mais cela n’est pas encore envisageable.
Par ailleurs, les équations qui gouvernent l’atmosphère du Soleil sont également valables pour certains phénomènes qui se déroulent sur Terre. C’est le cas notamment des plasmas chauffés à des milliers de degrés utilisés dans la production de silicium, élément essentiel des nouvelles technologies de la transition énergétique, et dont un meilleur contrôle permettrait d’envisager des processus plus «propres». De nouvelles discussions mathématiques sont amorcées à ce propos avec la start-up Green14, que Quentin Wargnier, premier auteur de l’article d’Astronomy & Astrophysics, vient de rejoindre récemment en tant qu’ingénieur responsable des simulations.