7 novembre 2024 - UNIGE

 

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La truffe du chien est façonnée par une mécanique géométrique

La position des structures polygonales de l’épiderme du nez du chien, du furet ou encore de la vache est imposée par la position des vaisseaux sanguins rigides situés juste en dessous, dans le derme.

 

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Image volumétrique de la truffe d’un embryon de chien, obtenue par microscopie à fluorescence dite «à feuille de lumière». Image: Milinkovitch, Dagenais

 

La peau du nez de nombreux mammifères tels que le chien, le furet et la vache présente des sillons formant une multitude de polygones. Comme expliqué dans leur article paru le 22 octobre dans Current Biology, Michel Milinkovitch, professeur au Département de génétique et évolution (Faculté des sciences), et son équipe ont analysé en détail comment se forment ces motifs chez l’embryon en utilisant des techniques d’imagerie et de simulations informatiques. Les scientifiques ont découvert que la croissance inégale des différentes couches de tissus provoque la formation de dômes qui prennent appui sur les vaisseaux sanguins sous-jacents. Ces travaux décrivent pour la première fois ce processus de morphogenèse qui pourrait expliquer la composition d’autres structures biologiques associées à des vaisseaux sanguins.

 

Le vivant présente des formes remarquables, dont certaines sont identifiables par leur pattern de coloration ou de motifs. C’est ainsi que l’on reconnaît les zèbres ou les guépards aux répétitions géométriques sur leur pelage ou les pommes de pin à leur organisation en spirales régulières. Ces patterns fascinants sont générés par différents processus de morphogenèse, c’est-à-dire l’apparition de formes pendant le développement embryonnaire.
D’une part, la morphogenèse auto-organisationnelle chimique permet de faire émerger des structures ou des motifs à partir de réactions chimiques. Un exemple particulièrement parlant est le modèle de réaction-diffusion de Turing, où des substances chimiques diffusent et interagissent pour créer des motifs relativement réguliers, comme les rayures ou les taches sur la peau des mammifères et des reptiles. D’autre part, certaines formes sont le fruit de contraintes mécaniques. Les circonvolutions du cerveau, par exemple, apparaissent par un processus de croissance différentielle: le cortex dessine des plis car il croît plus vite que la couche plus profonde à laquelle il est attaché.

La diversité du vivant
Le groupe de Michel Milinkovitch étudie l’évolution des mécanismes du développement à l’origine de la complexité et de la diversité des espèces. «Trouver des exemples pour étudier la beauté des motifs du vivant est facile, explique Michel Milinkovitch. Il suffit de regarder autour de nous. Notre dernière étude porte notamment sur la truffe du chien dont la peau présente un réseau singulier de structures polygonales.»
La peau glabre du rhinarium (la truffe) de nombreuses espèces de mammifères possède en effet un réseau de polygones constitués par des rainures dans la peau. Celles-ci, en retenant les fluides physiologiques, permettent de garder le nez humide et, entre autres, de faciliter la collecte de molécules odorantes et de phéromones. L’équipe genevoise a collaboré avec l’Université Paris-Saclay, l’École nationale vétérinaire d’Alfort (France) et l’Institut de neurosciences de San Juan de Alicante (Espagne) pour la collecte des échantillons de rhinaria d’embryons de chiens, de vaches et de furets.
Ces échantillons ont été observés par microscopie dite de «fluorescence à feuille de lumière», une technique permettant de visualiser les structures biologiques en trois dimensions. Les scientifiques ont constaté chez les trois espèces de mammifères que les réseaux polygonaux de plis de l’épiderme – la couche externe de la peau – apparaissent au cours de l’embryogenèse et qu’ils se superposent systématiquement à un réseau sous-jacent de vaisseaux sanguins rigides, localisés au niveau du derme – la couche profonde de la peau. Ils/elles ont observé par ailleurs que la prolifération des cellules de l’épiderme était plus rapide que celle des cellules du derme.

Les vaisseaux sanguins, «piliers architecturaux»
À l’aide de ces données et suivant un modèle mathématique, les scientifiques ont effectué des simulations informatiques de croissance des tissus. Celles-ci prennent en compte la différence de vitesse de croissance entre le derme et l’épiderme, leur rigidité respective et, surtout, la présence de vaisseaux sanguins dans le derme. «Nos simulations numériques montrent que le stress mécanique généré par la croissance excessive de l’épiderme se concentre aux positions des vaisseaux qui forment des points d’appui rigides, explique Paule Dagenais, postdoctorante au Département de génétique et évolution et première auteure de l’étude. Les couches épidermiques sont alors repoussées vers l’extérieur en formant des dômes – un peu comme des voûtes s’élevant contre des piliers rigides.»
Ces résultats démontrent que dans le cas des rhinaria, la position des structures polygonales de l’épiderme est imposée par celle des vaisseaux sanguins rigides du derme, qui vont exercer des contraintes locales lors de la croissance de l’épiderme conduisant à la formation de sillons et de dômes à des endroits précis. Et Michel Milinkovitch de conclure: «C’est la première fois que ce mécanisme, que nous appelons ‘‘information positionnelle mécanique’’, est décrit pour expliquer la formation de structures au cours du développement embryonnaire. Mais nous ne doutons pas qu’il permettra d’expliquer la formation d’autres structures biologiques associées à la présence de vaisseaux sanguins.»

 

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