8 octobre 2020 - Jacques Erard

 

Analyse

L’enfer vénusien pourrait-il abriter la vie?

En 1995 Michel Mayor et Didier Queloz découvraient la première planète hors de notre système solaire, ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche de vie extra-terreste. 25 ans plus tard, c’est tout près de chez nous, de notre voisine Vénus, qu’est venu un signal.

 

 

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Vue de Vénus capturée en février 1974 par Mariner 4, dans une version traitée en juin 2020. Photo: NASA


Le 14 septembre 2020, une équipe internationale menée par l'Université de Cardiff, au Pays de Galles, annonçait avoir détecté de la phosphine dans l'atmosphère de Vénus. Sur Terre, ce gaz – un hydrure de phosphore, une molécule toxique – est produit par des bactéries, et par l’industrie pour la fabrication de pesticides.

 

La possibilité que Vénus abrite la vie n’a jamais été totalement exclue par les astrophysiciens, même si ses 450° C de température en surface et sa pression insoutenable la rendent peu hospitalière. Dès lors qu’on s’élève dans l’atmosphère, en effet, la température et la pression diminuent à des valeurs plus propices à la présence de bactéries. Les chercheurs restent très prudents, mais la détection d’un biomarqueur tel que la phosphine rend l’hypothèse un peu plus plausible. Surtout quand on sait que, sur Terre, certaines bactéries survivent à des températures extrêmes de 120° C.

Didier Queloz, professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences) et Prix Nobel de physique 2019 pour la découverte de la première exoplanète avec Michel Mayor il y a tout juste vingt-cinq ans ne cache pas son enthousiasme: «C’est tout simplement fascinant! Depuis un demi-siècle, nos connaissances à propos du développement de formes de vie sur d’autres planètes ont peu progressé. Avec cette annonce, nous sommes peut-être à l’aube d’une nouvelle aventure scientifique.»

 

"Il n’est pas exclu que la vie soit un phénomène relativement banal à l’échelle du cosmos"

Nos connaissances sur la genèse de la vie sont encore incomplètes mais toutefois suffisantes pour savoir quels en sont les principaux ingrédients: des acides aminés, au nombre d’une vingtaine présents dans tous les organismes et qui constituent les briques de base de la vie. Ces briques «pré-biotiques» élémentaires pourraient être créées par une combinaison de rayons ultraviolets solaires, une activité volcanique pour produire du dioxyde de soufre (SO2) et de carbone (CO2), le passage de comètes qui aurait un impact sur la transformation des acide aminés et, enfin, la présence d’eau liquide, le tout constituant une «soupe pré-biotique» propice à la vie. Tous ces ingrédients existant en assez grande quantité dans l’Univers, il n’est pas exclu que la vie soit un phénomène relativement banal à l’échelle du cosmos.

Durant le premier milliard d’années du système solaire, qui a débouché sur l’apparition des premières formes de vie terrestres, Les conditions sur Vénus étaient similaires à celles régnant sur Terre. La vie pourrait y être apparue également, avant de se réfugier dans des niches dans l’atmosphère, au fur et à mesure que les conditions à la surface devenaient plus extrêmes.

 

"Nous allons devoir étudier la géophysique et la géochimie propre à chaque planète"

La présence de phosphine ne prouve pas pour autant la validité de ce scénario. On ignore en effet à peu près tout de la chimie propres à Vénus et il n’est pas impossible que l’hydrure de phosphore y soit le résultat de processus chimiques d’origine minérale et non pas organique inconnus sur Terre.

 

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Didier Queloz. Photo: DR


«Pour explorer ce scénario, nous allons devoir étudier la géophysique et la géochimie propre à chaque planète, estime Didier Queloz. C’est à mon avis la clé qui va nous permettre de mieux comprendre comment la vie peut se développer. La détection de ce biomarqueur est d’autant plus fascinante que Vénus est notre voisine. Nous pouvons donc envisager d’y envoyer des sondes pour l’observer de près, ce qui est impossible dans le cas d’exoplanètes.»

Les scientifiques cherchent des traces de vie sur Mars, une planète qui ne fait que commencer à livrer ses mystères. Les astronomes s’intéressent également aux satellites de Jupiter et de Saturne, comme Europe, Ganymède, Encelade ou Titan où s’est posé en 2005 un robot de l’Agence spatiale européenne (ESA). Bien qu’ils soient recouverts d’une gigantesque couche de glace qui exclut pratiquement la vie, de l’eau liquide circulant sous cette couche a été observée. Comment cette couche de glace s’est-elle formée? Que contiennent ces masses d’eau traversant les lunes joviennes? «Il ne sera certainement pas possible d’aller explorer ces satellites de près et d’y effectuer d’éventuels forages avant une centaine d’années, tempère Didier Queloz. Nous serons morts, mais l’aventure continuera.»

 


Les indices de la vie

Les astrophysicien-nes qui cherchent des traces de vie sur des planètes dans notre système solaire et au-delà visent des indices favorables. Les planètes rocheuses dotées d’une atmosphère comme la Terre figurent au rang des premières candidates. Mais ils ou elles ciblent également des signaux plus précis comme les biomarqueurs. L’eau liquide est une condition nécessaire mais pas suffisante à la vie. L’oxygène figure aussi parmi ces indicateurs, mais il ne garantit pas non plus la présence de la vie car il peut émaner de la fracture de molécules d’eau ou de CO2. En revanche, s’il est présent en grande quantité comme sur Terre, la probabilité qu’il émane d’organismes est plus élevée. À cette liste, on pourrait encore ajouter une série de composés organiques dont l’existence et l’abondance relatives représentent elles aussi des indices en faveur d’une activité biologique basée sur le carbone comme le méthane, l’azote ou la phosphine.

 

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