24 novembre 2022 - UNIGE

 

Analyse

«Sans COP, nous irions droit dans le mur»

Géraldine Pflieger, directrice de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UNIGE, faisait partie de la délégation suisse à la dernière Conférence sur les changements climatiques (COP27) dont elle dresse un bilan mitigé.

 

 

ManifestationCop27-Keystone_A.jpg

Manifestation lors de la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte. Photo: C. Gateau / Keystone


Vendredi dernier s’est clôturée la 27e Conférence sur les changements climatiques (COP27) qui a rassemblé plus de 30'000 personnes à Charm el-Cheikh en Égypte. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ayant publié cette année les trois rapports de son sixième cycle d’évaluation, cette conférence revêtait une importance toute particulière du point de vue scientifique. Géraldine Pflieger, directrice de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UNIGE et membre de la délégation suisse, en tire un bilan en demi-teinte.

 

Les nombreuses urgences climatiques qui ont marqué l’année 2022 ont fait naître de grandes attentes vis-à-vis de la COP. Ont-elles été tenues?
Géraldine Pflieger: Non, pas vraiment. Alors que, depuis 2020, l’accord sur le climat oblige tous les États à prendre des mesures concrètes pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement mondial à moins de 1,5 °C, la Suisse, avec plusieurs pays, a dû se battre pour ne pas voir ce seuil être relevé. Certains États producteurs de pétrole ont plaidé pour fixer un objectif de 2 °C, or on sait que l’impact d’un tel réchauffement serait absolument catastrophique. La cible des 1,5 °C a finalement été maintenue de haute lutte, avec un engagement très minimaliste et sans réel progrès par rapport à la COP26.

Sur quel plan la COP27 a-t-elle failli?
Le plus gros échec est, selon moi, l’absence d’ambition sur la décarbonation: rien n’a été décidé sur le retrait des investissements dans le gaz et le pétrole, les choses n’ont pas été plus loin que ce qui avait déjà été mentionné en 2021 dans le Pacte de Glasgow sur le retrait du charbon. En outre, alors que le GIEC et l’Agence internationale de l’énergie recommandent que les émissions de gaz à effet de serre atteignent leur maximum (on parle de pic) le plus tôt possible et au plus tard en 2025, et que nombre de pays défendaient cette position, aucun objectif n’a été formulé à ce sujet.

Dans ces conditions, quelles sont nos chances de contenir le réchauffement de la planète à moins de 1,5 °C?
Elles diminuent si l’on considère le fait que nous avons perdu une année et que, pendant ce temps, les niveaux d’émissions restent au plus haut. Notre budget carbone – à savoir la quantité d’émissions que nous pouvons encore faire absorber par l’atmosphère sans risquer de passer la barre de 1,5 °C – se réduit. Nombre d’études scientifiques montrent que celui-ci n’est plus que d’environ 300 gigatonnes (Gt). Au rythme actuel – 40 Gt par an –, nous l’aurons épuisé dans un peu plus de sept ans.

Peut-on tout de même retenir quelque chose de positif de cette 27e édition de la COP?
La COP27 restera celle de la création du nouveau fonds pour les pertes et dommages. Cette mesure vient parachever des années d’élaboration d’initiatives pour soutenir les pays les plus vulnérables. Toutefois, beaucoup reste à faire. Qui financera ce fonds? À quels pays s’adressera-t-il? Quelle sera son ampleur financière? Comment s’assurer qu’il soutient des projets vertueux pour le climat tant en termes de reconstruction, de résilience que de réduction de l’empreinte carbone? Toutes ces questions ouvrent un chantier majeur.

Malgré ce bilan mitigé, ces grandes réunions sont-elles utiles selon vous?
Les premières entités qui seraient heureuses et satisfaites de l’arrêt de tout multilatéralisme climatique seraient les grands producteurs de pétrole, ainsi que toutes celles et ceux qui se trouvent être la cible principale des politiques climatiques. Sans Accord de Paris, aucun objectif partagé et commun à l’échelle planétaire, aucune mesure des écarts entre ces objectifs et les réalisations. Nous irions droit dans le mur sans même le savoir, chacun-e aurait sans doute l’impression d’en faire suffisamment et pourrait définir ses propres critères d’évaluation. Le dernier rapport du GIEC a d’ailleurs montré que le multilatéralisme a permis de limiter de 10 à 15% les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire.  C’est de très loin insuffisant, mais cela montre que la situation serait pire encore sans les politiques internationales climatiques. Le problème, ce n’est donc pas l’existence des COP, mais leur format, sans doute trop grand, avec trop de pavillons, des délégations trop importantes, et un certain décalage avec les causes et les objectifs de sobriété qui sont défendus.

La conférence s’est terminée le vendredi 18 novembre, alors que le dimanche 20 s’ouvrait la Coupe du monde au Qatar, dont les matchs se jouent dans des stades climatisés. N’est-ce pas décourageant?
Si, ça l’est, mais c’est sans doute aussi assez confortable pour nous de pointer du doigt le Qatar sans plus s’appesantir sur nos façons de faire collectives dans le domaine du tourisme, du sport, de la consommation où tant d’efforts doivent être engagés. La pratique des Suisse-esses dans ces domaines équivaut à près de 14 tonnes d’émissions de CO2 par habitant-e chaque année, ce qui en fait un des pays les plus émetteurs par habitant-e. C’est l’ensemble de nos propres habitudes sociales que nous devons questionner. À cet égard, les politiques climatiques nationales ou locales sont déterminantes en vue de proposer de véritables alternatives aux citoyen-nes.

En matière de transition climatique, la Suisse a-t-elle un rôle à jouer à l’échelle planétaire?
Pour accélérer la transition et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut une réflexion sur la gouvernance multi-niveaux. C’est-à-dire la capacité à emmener – de la commune aux cantons, en passant par les différents secteurs de l’économie – tous les acteurs et actrices d’un État pour avancer ensemble, chacun-e à sa juste mesure, dans un niveau d’ambition partagée. De par sa structure fédéraliste, je pense que la Suisse peut jouer un rôle moteur dans le cadre d’une gouvernance multi-niveaux tournée vers des objectifs très ambitieux. Nous pourrions ainsi contribuer de façon plus vertueuse non seulement en termes d’objectifs, mais également en termes de méthode à ce problème planétaire dont les modalités de résolution se posent à chaque niveau.

 Lire l’interview complète réalisée par l’Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT).

Un étudiant de l’UNIGE à la COP27
La délégation suisse de la COP27 comptait également dans ses rangs Quentin Knight, étudiant suivant le Master en sciences de l’environnement, spécialisation en impacts climatiques, de l’UNIGE. Il y représentait la jeunesse suisse sur mandat du Conseil suisse des activités de jeunesse (CSAJ) et de l’Office fédéral de l'environnement.  

Si, à titre personnel, l’étudiant retient le caractère exceptionnel de l’expérience, il en revient avec un fort sentiment d’inquiétude. «Je reste convaincu qu’il est important pour le monde de se rencontrer pour discuter de la catastrophe climatique qui nous guette. Sans COP, il n’y aurait pas de mécanisme englobant et la situation serait pire, mais les choses vont trop lentement. Le processus doit absolument être accéléré.» Parmi les solutions évoquées pour ce faire, Quentin Knight mentionne notamment la réduction du nombre de participant-es et d’activités annexes pour améliorer l’efficacité du processus. Selon lui, il serait en effet plus efficace de compter sur de petites délégations au sein desquelles les scientifiques seraient mieux pris-es en compte. La présence de près de 600 lobbyistes du pétrole l’a aussi surpris et devrait, à son avis, être mieux réglementée.

 

Analyse