Le Journal: Vous cherchez d’autres moyens pour impliquer les citoyens et citoyennes dans la transition énergétique, au-delà d’actes de consommation. Comment vous y prenez-vous?
Marlyne Sahakian: En misant sur le bien-être et le bien-vivre ensemble à l’échelle d’un quartier ou d’un immeuble. La plupart des gens ont envie de s’investir dans des projets collectifs, car participer dans la société dans laquelle on vit est aussi un besoin humain. Nous ne sommes pas que des consommateurs et consommatrices. Mais pour mobiliser cette volonté, il faut éviter les postures trop moralistes et prescriptives. Personne n’a envie qu’on lui dicte sa conduite. Il est important de créer des espaces où il est possible de discuter, de délibérer et d’échanger des points de vue pour arriver à des objectifs communs. La citoyenneté énergétique reste une notion assez abstraite, il est question de comprendre comment imaginer et proposer des actions concrètes pour que les habitant-es d’une commune portent la transition énergétique. Entre se contenter de voter et avoir le courage d’aller se coller au bitume, il y a la place pour d’autres formes d’engagement.
Comment recrutez-vous les participant-es?
Sur une base volontaire, ce qui induit forcément un biais, parce que ce sont pour la plupart des personnes déjà engagées ou en tout cas intéressées par les questions liées au bien-vivre ensemble ou à la transition énergétique. Nous aimerions naturellement dépasser ce nœud de citoyen-nes, pour aller vers un public plus large. Car du point de vue des élu-es, ce biais est problématique. Nous pourrions avoir recours au tirage au sort, expérimenté par mon collègue le professeur Nenad Stojanović, qui est une approche représentative. Il existe différents degrés de participation. On peut simplement informer des gens. On peut les consulter, on peut discuter, débattre ou, finalement, arriver à la co-création de solutions. Notre ambition était de tendre vers la co-création de forums en partenariat avec des collectifs citoyens actifs dans quatre communes de la rive gauche: Collonge-Bellerive, Meinier, Choulex et Vandœuvres. Lesquels se nomment: Collectif Durabilité Collonge-Bellerive, Les Changeurs, Agir pour la vie et Seymaz Vie. J'en profite pour remercier tous les participants et toutes les participantes, les collectifs citoyens, ainsi que les membres de mon équipe: Louise Gallagher, Mallory Zhan, Tanja Fenner, Ai-Peri Dzhumashalieva et Laura Robert.
Vous avez mené ces expériences de citoyenneté énergétique dans des communes aisées du canton. Pour quelles raisons?
Le projet européen auquel ces forums sont intégrés demandait que nous travaillions avec des personnes difficiles d’accès. À Berlin, une population migrante a été choisie. En Grèce, les travaux ont porté sur les petites îles. En Suisse, je me suis dit que les personnes difficiles à atteindre étaient les riches. S’ils/elles sont souvent très occupé-es, leur capacité d’agir pour mettre en place des changements durables est importante.
Quels ont été les résultats de ces forums?
Dans un premier temps, les discussions ont beaucoup tourné autour de la notion de diversité, et d’un appel à une forme de tolérance, avec des propos du type: «Oui, j’ai ma voiture, je ne peux pas faire sans, et je ne vois pas pourquoi je devrais faire l’objet de désapprobation à cause de cela.» Les participant-es ont tout de suite précisé que la démarche ne se plaçait pas sur un plan moral, mais sur la recherche de solutions. Finalement, 114 personnes nous ont rejoint-es dans quatre communes de la rive gauche. À Meinier, nous avons utilisé des bandes dessinées pour parler des liens entre la transition et la satisfaction de besoins humains. À Choulex, en plein hiver, nous avons débattu sur la sobriété dans les bâtiments. Des tables rondes avec des expert-es ont été organisées à Vésenaz. Et il en est sorti un plan d’action avec des thématiques clés, telles que la mobilité, l’alimentation ou encore la consommation énergétique des ménages. Plusieurs propositions sous la forme d’un plan climat ont été présentées aux communes.
Comment s’est établi le lien avec les autorités communales?
Il était très important pour l’équipe de recherche et les collectifs citoyens d’avoir un dialogue avec les mairies en amont des forums, et un retour en aval. Certaines étaient plus réceptives que d’autres, sans doute parce que ces formes de participation citoyenne sont nouvelles. Cela étant, il en émerge une force de proposition et un mode de fonctionnement très intéressant sur le plan démocratique, qui ouvre des champs sur la manière d’imaginer et de mettre en action des efforts pour et de la part des citoyen-nes.
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